mercredi 22 mars 2017

Compte rendu de "L'art et la science de se souvenir de tout" de Joshua Foer (deuxième partie).




Ben Pridmore, trois fois champion du monde de mémoire.


Récemment est paru en livre de poche L’art et la science de se souvenir de tout qui est en fait le même livre que l’ouvrage en grand format Aventures au cœur de la mémoire (tous les deux la traduction de Moonwalking with Einstein).

Aventures au cœur de la mémoire est un livre référence dans le monde de la mémoire. Il y est question de l’histoire de la mémoire et de la mnémotechnie, de la naissance des Mémoriades, les Championnats du monde de mémoire, en 1991, mais surtout de la manière dont un journaliste indépendant, Joshua Foer, est devenu champion de mémoire des États-Unis en 2006 alors qu’il ne savait même pas ce qu’était une technique de mémorisation un an auparavant !

Voici comment l’auteur raconte sa découverte de l’univers des champions de mémoire et notamment du champion Ben Pridmore (lire de celui-ci Comment être génial avec sa mémoire).

Son histoire commence par une recherche naïve sur Google pour trouver « l’homme le plus intelligent du monde » qui lui procure bien des réponses farfelues.

«Cependant, dit-il, au milieu des réponses que Google apportait à mes requêtes, je tombai sur un personnage tout à fait étonnant qui, s'il n'était pas l'homme le plus intelligent du monde, était tout de même une sorte de génie insolite. Il s'appelait Ben Pridmore et avait la capacité de mémoriser en une heure l'ordre exact d'une série de mille cinq cent vingt-huit chiffres. Il pouvait aussi mémoriser— précision pour ceux que les arts émeuvent davantage que les nombres — n'importe quel poème qui lui était soumis. Il détenait le titre de champion du monde de mémorisation.

Les jours suivants, je ne cessai de repenser à Ben Pridmore. Ma propre mémoire me paraissait plus que moyenne. J'oubliais régulièrement un tas de choses : l'endroit où j'avais laissé les clés de ma voiture (voire, d'ailleurs, où j'avais garé celle-ci) ; le plat dans le four ; le fait qu'on écrit « s'il » et pas « si il » ; l'anniversaire de ma copine, la date anniversaire de notre rencontre et la Saint-Valentin ; la faible hauteur de la porte d'accès à la cave chez mes parents (aïe) ; les numéros de téléphone de mes amis ; pourquoi je venais juste d'ouvrir le frigo ou de recharger mon téléphone portable ; le nom du chef de cabinet du président Bush ; l'ordre des aires de repos du New Jersey Turnpike ; en quelle année les Redskins avaient remporté le Super Bowl pour la dernière fois ; de baisser la lunette des toilettes.

Ben Pridmore, lui, était capable de mémoriser en trente-deux secondes l'ordre précis d'un jeu de cartes mélangées. En cinq minutes, son cerveau enregistrait une fois pour toutes les événements historiques attachés à quatre-vingt-seize dates. Le bonhomme connaissait aussi cinquante mille décimales de pi. Comment ne pas l'envier ? J'avais lu quelque part que l'individu moyen gaspille environ quarante jours par an à rattraper les trucs qu'il a oubliés. Nonobstant le fait que Ben Pridmore était temporairement au chômage, quel n'était pas son avantage sur le commun des mortels en termes de productivité ?!

Chaque jour, semble-t-il, apporte son lot de choses dont il faut tenter de se souvenir : toujours plus de noms, de mots de passe, de rendez-vous. Avec une mémoire comme celle de Ben Pridmore, pensai-je, la vie devait être qualitativement différente — meilleure. Dans notre monde moderne, nous recevons un flot ininterrompu de nouvelles informations. La plupart d'entre elles entrent par une oreille pour ressortir aussitôt par l'autre ; nos cerveaux n'en retiennent qu'une infime partie. Si nous ne lisions des livres que pour engranger des connaissances, la lecture serait sans doute la plus infructueuse de toutes mes activités. Je passe souvent une demi-douzaine d'heures à lire un livre pour ne conserver après coup qu'une vague notion de son contenu. Ses informations, ses anecdotes, même les plus intéressantes (celles qui auraient mérité d'être soulignées sur la page), font brièvement impression sur mon esprit — et puis elles s'évaporent. Il y a des livres, sur mes étagères, dont je ne me souviens même pas si je les ai lus.

Quel homme aurais-je été, me demandai-je, si j'avais eu tout ce savoir perdu à disposition dans la tête ? Je ne pouvais m'empêcher de penser que j'aurais été plus persuasif, plus confiant et, de manière générale, plus intelligent. J'aurais assurément été un meilleur journaliste, mais aussi un meilleur ami et petit ami. J'imaginais par-dessus tout que, possédant une mémoire comme celle de Ben Pridmore, j'aurais été plus attentif et réceptif aux choses, peut-être même plus sage. Si l'expérience est la somme de nos souvenirs et la sagesse le fruit de l'expérience, avoir une meilleure mémoire m'aurait apporté une meilleure connaissance non seulement du monde, mais aussi de moi-même. Bien sûr, la tendance à l'oubli qui nous afflige est en partie saine et nécessaire. Si je n'avais pas oublié un grand nombre des bêtises que j'ai faites dans ma vie, je serais sans doute insupportablement névrosé. Mais combien d'idées précieuses n'avais-je pas eues, pensai-je encore, combien de prises de conscience importantes ne s'étaient pas produites dans ma cervelle à cause des lacunes de ma mémoire ?

Dans une interview, Ben Pridmore avait dit un truc qui m'avait frappé — qui m'obligeait à m'interroger sur les différences susceptibles d'exister entre sa mémoire et la mienne : « C'est avant tout une question de technique et de compréhension du fonctionnement de la mémoire, avait-il déclaré au journaliste. À vrai dire, tout le monde peut faire la même chose que moi. »

Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. Amitiés à tous.

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