Un livre sur la kabbale par un de ses plus grands spécialistes.
Cet article est inspiré par le livre de Mircea Eliade et
Ioan Peter Couliano, Dictionnaire des religions.
Il est la suite de celui-ci : https://jeanfrancoisgerault.blogspot.fr/2017/11/lechelle-du-roi-dans-la-qabale.html.
J’ai conscience que certains lecteurs, après plusieurs
articles très détaillés sur la kabbale peuvent avoir besoin d’une synthèse,
d’une vue d’ensemble sur ce phénomène mystique. La voici.
La kabbale est une forme du
mysticisme juif dont les racines plongent, d'une part, dans ces anciennes
spéculations grammatologiques et numérologiques dont le produit fut le Sefer Yetsirah ou Livre de la Création (4 ème siècle), et de l'autre dans la
littérature des hekhalot (mystiques juifs). Moshe Idel distingue dans la
kabbale une formule « théosophico-théurgique » d'une formule « extatique ».
Le Sefer Yetsirah élabore déjà ce schéma cosmologique qui sera
caractéristique de la kabbale : les 10 sephirot, correspondant probablement aux
dix commandements, et les 22 voies qui les réunissent, correspondant aux 22
lettres de l'alphabet hébreu. C'est ainsi que la création a lieu à partir de
ces 32 éléments primordiaux. Le Sefer
Yetsirah et la littérature hekhalotique (mystique juive) sont au centre de
la pensée du « piétisme des Juifs allemands » (Hasidei Ashkenaz).
Toutefois, la
kabbale ne surgit pas parmi les ashkénazes, mais parmi les séfarades de
Provence, auteurs du Sefer ha-Bahir (Livre de la Clarté, 12 ème siècle), dans
lequel les sefirot assument pour la première fois l'aspect d'attributs divins.
Le premier mystique juif provençal à avoir développé la notion de Bahir fût
Isaac l'Aveugle (1160-1235), fils du rabbin Abraham ben David de Posquières (1120-1198).
De Provence, la kabbale se propagea en Catalogne, où elle fleurit dans le
cercle de Gérone, dont les représentants furent les rabbins Ezra ben Solomon,
Azriel et — le plus fameux — Moïse ben Nahman (ou Nahmanides, 1195-1270). En
Castille, les précurseurs immédiats de l'auteur du Zohar furent les frères Jacob et Isaac Cohen. Les kabbalistes de
cette période mettent au point les techniques de permutation et combinaison des
lettres de l'alphabet et de numérologie mystique (temurah, gematria et
notarikon), dont les prototypes semblent hellénistiques.
Abraham ben Samuel Abulafia, le
grand mystique séfarade du 13 ème siècle, est le représentant le plus marquant
de la kabbale extatique, dont le but est le dveqouth, l'union mystique avec
Dieu. Sa génération compte deux autres figures majeures de la kabbale classique
: Joseph ben Abraham Gikatilla (I 248-1305) et Moïse de Léon (1250-1305),
l'auteur du Sefer ha-Zohar (Livre de la Splendeur), attribué au
maitre Siméon bar Yochai (II siècle).
La kabbale classique intègre la
cosmologie mystique dans l'un des quatre univers spirituels qui se prolongent
l'un l'autre du haut en bas : atsilut, beriyah, yetzirah et asiyah. L'univers
atsilut (émanation) comprend les dix sefirot (Keter, Hokhmah, Binah, Gedullah,
Hesed, Geburah, Tiferet, Netsah, Hod, Yesod, Malkhut) qui forment Adam Kadmon,
l'homme primordial. L'univers beriyah (création) comprend les sept hekhalot
(palais célestes) et la merkabah (char céleste). L'univers yetzirah (formation)
comprend les armées angéliques. L'univers asiyah (fabrication) est l'archétype
du monde visible. Dans celui-ci, la présence des dix sefirot se manifeste dans
l'arc-en-ciel, les vagues de la mer, l'aurore, l'herbe et les arbres. Mais le
kabbaliste développe de nombreux autres procédés mystiques (par exemple, la
visualisation de couleurs, etc.) pour parvenir au monde atsilut.
L'accès est
difficile à cause de la présence du mal — dit « sitra ahara », «
l'autre côté » — dans asiyah. Il est cependant très important de comprendre que
la kabbale ne partage pas systématiquement le dualisme platonicien âme/corps et
le mépris du monde physique. Toutes les actions du kabbaliste relèvent d'un de
ces trois buts : tiqoun ou restauration d'une harmonie et d’une unité
primordiales dans la personne du pratiquant et dans le monde ; kavanah ou
méditation contemplative ; enfin, dveqouth ou union mystique avec Dieu.
Des savants comme Moshe Idel
croient au caractère constant, inamovible, des doctrines centrales de la
kabbale. Cependant, la synthèse d'Isaac Luria, Ari ha-Kadosh, le Saint Lion de
Safed (Ari, Lion, est l'acronyme de « Ashkenazi Rabbi Ishaq ») et de ses
disciples, parmi lesquels le plus important fut Hayyim Vital (1543-1620), est
révolutionnaire en ce qu'elle envisage la création par un processus de
contraction (tsimtsum) de Dieu en lui-même et le mal comme une présence active
de résidus (« coquilles » ou qelippot) spirituels déchus à cause de la «
rupture des vases » (ckhevirat hakelim) censés les contenir. Ce drame cosmique
ressemble à l'événement connu comme la « chute de Sophia » dans le gnosticisme
des premiers siècles chrétiens, preuve que Luria avait parcouru le même
itinéraire intellectuel que les gnostiques. Comme certains groupes gnostiques,
il donna une valorisation positive de la métensomatose (réincarnation de l'âme).
Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.
Cette approche de la kabbale est edifiante. Merci pour tout
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