Je viens de lire un livre que
j’ai trouvé à la fois formidablement bien écrit, original et passionnant. Je
voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit
de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Je suis toujours aussi peu
disposé à revenir en arrière et à parler de Vienne en 1927. D'où me vient une
telle phobie ? Y a-t-il quelque chose de particulier dont j'aie honte ? Je suis
revenu à plusieurs reprises à Vienne depuis dix ans. J'aime le théâtre, l'opéra,
les cafés, la bonne chère.
Le brouillard commence à se
lever. Malgré leur réputation, die Wiener
Mäderln, les demoiselles viennoises, ne m'attiraient pas spécialement. Je
n'ai jamais eu d'aventures sentimentales à Vienne. Il n'y avait là pas
grand-chose en dehors des extrêmes du puritanisme bourgeois et de la
prostitution. Et la liberté sexuelle que j'avais si bien connue à Berlin et à
Francfort était absente.
Je pris un poste d'assistant à
l'hôpital psychiatrique où Wagner-Jauregg, célèbre pour son traitement de la
syphilis cérébrale par la malaria, et Paul Schilder étaient mes patrons.
Schilder était intelligent et avait une compréhension parfaite des relations de
structure et de fonction de l'organisme. Pendant ses cours, je me sentais mal à
l'aise. Sa voix de fausset et ses gesticulations me crispaient. Et pourtant il
y avait chez lui quelque chose d'aimable et d'honnête. Un autre psychanalyste
qui fit sur moi grosse impression fut Paul Federn, surtout une phrase qu'il
prononça au cours d'une conférence. Imaginez un digne patriarche en train de
dire : Man kann gar nicht genug vögeln (« Pas moyen de baiser tout son saoul
»), et cela dans un milieu où l'on n'estimait en général que la masturbation
intellectuelle.
Quand je le rencontrai plus tard
à New York, nous eûmes beaucoup de discussions sur la nature du Moi. Il
considérait le Moi comme une réalité ; pour moi le « Je » est simplement un
symbole d’identification. Ce que cela veut dire, je n'ai pas envie d'en parler
maintenant.
J'avais comme directeurs Hélène
Deutsch et Hirschman, qui était un homme facile à vivre et chaleureux. Lorsque
je lui demandai un jour ce qu'il pensait des différentes écoles
para-freudiennes qui fleurissaient, il me répondit : « Elles font toutes de
l'argent. » Hélène Deutsch, d'autre part, me semblait très belle et très
froide. Un jour je lui fis un cadeau et, en guise de remerciement, elle me
gratifia d'une interprétation.
Le Maître était là, quelque part
à l'arrière-plan ; le rencontrer aurait été trop présomptueux. Je n'avais pas
encore mérité un tel privilège.
En 1936, je crus que ça y était.
N'étais-je pas à l'origine de la création d'un de ses instituts et n'avais-je
pas fait 6 500 kilomètres pour venir à son congrès ? (Ça me démange d'écrire
Son congrès.)
Je pris rendez-vous, je fus reçu
par une femme d'un certain âge (sa sœur, je crois) et attendis. Puis une porte
s'ouvrit sur environ deux pieds de large, et le Maître apparut à mes yeux. Je
trouvais curieux qu'il ne quittât pas l'embrasure de la porte, mais à ce
moment-là je ne savais rien de ses phobies.
« Je suis venu d’Afrique du Sud
faire une communication au Congrès et vous voir. »
« Ah bon, et quand repartez-vous
? » dit-il. Je ne me souviens plus du reste de la conversation, qui dura
peut-être quatre minutes. J'étais atterré et déçu.
Un de ses fils fut délégué pour
m'emmener dîner. Nous mangeâmes de l'oie rôtie, mon plat favori.
Je m'attendais à être « blessé
» au vif, mais j'étais seulement abasourdi. Puis lentement, les phrases
classiques me vinrent aux lèvres : « Me faire ça, à moi ! C'est comme ça que tu
me récompenses de ma loyauté dans mes discussions avec Kurt Goldstein ? Eh
bien, tu vas voir ! »
Même ces dernières années, avec
un esprit beaucoup mieux équilibré, cette rencontre reste l'une des quatre
choses principales de ma vie que je n’ai pas pu mener à bien. Je ne chante pas
très juste, bien que je fasse des progrès. Je n'ai jamais sauté en parachute.
Je n'ai jamais fait de plongée sous-marine (bien que j'aie découvert une école
de plongée à Monterey ; et j'apprendrai peut-être encore à le faire). La
dernière, mais non la moindre, c'est de n'avoir pu avoir avec Freud une
rencontre d'homme à homme et lui montrer les erreurs qu'il avait commises.
Ce grand besoin a surgi
brusquement, à mon étonnement, pendant une séance de thérapie digne d'un
cirque, il y a quelque temps, avec un stagiaires, séance qui, comme des
centaines d'autres, fut filmée en vidéo et, comme certaines, repiquée en 16 mm.
Ma rupture avec Freud et son
école fut définitive quelques années plus tard, mais le fantôme n'a jamais été complètement exorcisé.
— Repose en paix, Freud, génie têtu,
saint et démon.
Voilà donc l'histoire de mes
quatre déceptions de l'an de grâce 1936.
Le voyage en Europe de 1936 ne
fut pas que déception, loin de là, tout le monde ne se tourna pas contre moi,
même si mes partisans furent peu nombreux. Je reçus l'approbation, par exemple,
d'Ernest Jones, qui m'avait proposé pour le poste en Afrique du Sud. Il
manifesta même quelque enthousiasme au sujet de certaines remarques que je fis
lors d'une discussion sur l'angoisse.
Après le congrès, nous passâmes
quelques jours en Hongrie, à la montagne. Au cours d'une partie d'échecs, il me
dit : « Comment peut-on être aussi patient ? » Compliment que je serrai précieusement
dans le creux de ma poitrine.
Je ne me rappelle pas comment je
revins à Johannesburg.
Probablement par bateau, puisque
dans ce coin du monde il n'y avait pas encore de ligne aérienne régulière. Mon amour-propre
en avait pris un coup et, en même temps, je me sentais libre. Entre les pôles
de mon peu de valeur et de mon arrogance naissait quelque chose comme un noyau
de confiance. Non, ce n'est pas vrai. Cette confiance était souvent là, mais
non reconnue. Le plus souvent, je tenais pour établi que je savais ce que je
voulais. J'avais un choc quand une intuition impressionnante et comme divine,
me prenant par surprise, me laissait à ma petitesse et à mon humilité. Cela
pouvait venir de l'empereur, ou d'un Freud ; être le fait d'une grande actrice,
ou d'une pensée inspirée ; une action
héroïque, un crime audacieux, ou une langue que je ne comprends pas provoquent
chez moi l'admiration, et la prière.
Pendant le voyage, les passagers,
tous étrangers et qui le restèrent pendant trois semaines, me nommèrent
intendant des sports. Et le dernier jour du voyage ils me fêtèrent en chantant
« Auld Lang Syne ». Je n'avais rien fait pour mériter cela. Je fus ému jusqu'à
la moelle, courus à ma cabine et pleurai
toutes les larmes de mon corps. Bohémien solitaire, pleurant son manque
d'attaches.
C'est merveilleux de voir à quel
point cela m'aide d'écrire. J’avais essayé de faire de la psychanalyse ma
maison spirituelle, ma religion. Si ma réserve était grande vis-à-vis de l’approche
de Goldstein, ce n’était pas par loyauté
envers Freud, mais par peur d’être une fois de plus privé de soutien spirituel.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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