Voyage en bateau.
Je viens de lire un livre que j’ai
trouvé à la fois passionnant, précis et instructif sur la création de la
Gestalt-thérapie. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de
ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une
poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de celui-ci.
Voici le résumé de ce livre.
Comment la cible d'Esalen a-t-elle
atteint ma flèche, pointée vers elle des années avant que je connaisse
l'existence même de la cible ?
Aux environs de 1960, j'exerçais à Los
Angeles. Je souffrais encore violemment des suites de deux interventions
chirurgicales à Miami, du gâchis qu'avait entraîné ma séparation d'avec Marty et
de mes trop fréquents « voyages » au L.S.D. Rien qui en valût vraiment la peine
ne se produisit. Malgré le soutien moral de Jim Simkin, je n'arrivais pas à
communiquer avec mes confrères et ne pouvais me débarrasser d'un sentiment
d'être condamné à vivre. Je n'étais même pas déprimé. Simplement j'en avais ras
le bol de toute la filouterie psychiatrique. Je ne savais pas ce que je
voulais. La retraite ? Des vacances ? Un changement de profession ?
Je décidai de faire un voyage de Los
Angeles à New York, mais dans l'autre sens, un tour du monde en bateau.
J'ai toujours aimé voyager en bateau
autant que je déteste les avions de transport surpeuplés. Sauf la fois où, au
plus fort de notre amour, Marty et moi partîmes en avion pour l'Europe. C'était
si bon, alors, d'être assis tout près l'un de l'autre.
En général, je suis coincé entre des gens que je ne connais pas et qui m'empoisonnent
de leurs questions et de leur besoin d'attention. Je suis là qui attends dans
ma cage aérienne et bénis les moments où je m'assoupis.
Autant j'aime piloter un avion, autant
je déteste être piloté.
Pour la voiture, c'est l'inverse :
autant j'aime être conduit, autant je déteste conduire moi-même.
Ce voyage en bateau de Los Angeles à New
York prit quinze mois. Première escale, Honolulu à Hawaii : du déjà vu à Miami Beach.
Avant d'arriver au port, j'eus peut-être
la plus grande expérience visuelle de ma vie.
Quand on arrive de nuit à Los Angeles
par avion, on voit des arbres de Noël énormes et tout aplatis qui vous
attendent. Le miroitement, le scintillement, vous fait oublier que c'est du néon,
vous fait oublier l'affreux nuage de smog qui salue votre entrée dans une cité
aux cent villes.
Maintenant, multipliez ce scintillement
multicolore par mille et prenez-y une douche. C'est ce qui m'est arrivé avant
Hawaii.
Comme tout le monde, j'aime voir
étinceler d'argent le firmament. Là, le phénomène était intensifié par l'air
limpide de l'océan et j'étais curieux de voir si je pouvais en tirer un plus
bel effet encore. Je pris un peu de L.S.D., et c'est alors que la chose arriva.
Indescriptible est un mot plat. Il n'y
avait pas de distance, ni deux dimensions. Chaque étoile était plus proche ou
plus lointaine, chacune dansait une danse de couleurs, comme la planète Vénus
avant de plonger dans l'océan. L'Univers, le vide entre tous, était pour une
fois empli.
Puis le Japon, Tokyo et Kyoto. Impossible de décrire le contraste entre ces
deux villes, seulement distantes d'une nuit en chemin de fer, par train rapide
à grand rendement. A Tokyo, les gens insensibles, inconscients les uns des
autres, dans une cohue telle qu'en comparaison les sardines en boîte ont plus
de Lebensraum, du moins elles ne se meurtrissent pas l'une l'autre. J'y ai
connu pourtant une expérience suprême : les yeux pleins d'amour d'une vieille
femme, accroupie dans le caniveau, en train de nettoyer mes chaussures. Je
jetai un mégot de cigarette et elle le ramassa avec avidité. Je lui donnai
alors le demi-paquet qui me restait. Elle tourna la tête vers moi. Ses yeux
noirs fondirent, ils brillèrent d'un amour qui me fit trembler les genoux. Je
vois encore ces yeux, de temps en temps. L'impossible amour devenu possible.
Une seule fois dans ma vie, auparavant,
j'avais vu un tel amour dans les yeux de quelqu'un. Lotte Cielinsky, mon
premier amour.
Voilà. C’est tout pour le moment comme
dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième
siècle. Amitiés à tous.
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