vendredi 20 mars 2020

Histoire de la mnémotechnie (du Moyen Age à nos jours).







1) Marcianus CAPELLA et le De nuptiis Philologiae et Mercurii.

Pendant la terrible période de catastrophe que fut la première moitié du Vème siècle (le sac de Rome par Alaric en 410, la mort de saint Augustin pendant le siège d’Hippone par les Vandales en 430...), le carthaginois Marcianus CAPELLA écrivit son De Nuptiis Philologiae et Mercurii, ouvrage qui préserva, pour le Moyen Âge, le schéma du système pédagogique de l’Antiquité, fondé sur les sept arts libéraux (grammaire, rhétorique, dialectique, arithmétique, géométrie, musique, astronomie).

Au cours de l’exposé qu’il fait des parties de la rhétorique, Marcianus donne, dans le chapitre consacré à la mémoire, une brève description de la mémoire artificielle.

2) Albert le Grand et Saint Thomas d’AQUIN.

Albert le Grand et Saint Thomas d’AQUIN lurent le De l’invention oratoire de CICERON et accordèrent toute leur attention aux définitions qu’il donne des quatre vertus cardinales et de leurs parties : la prudence, la tempérance, la force et la justice.

C’est pourquoi leurs Traités scolastiques sur l’Art de la mémoire ne font pas partie d’un ouvrage sur la rhétorique, comme c’était le cas dans l’Antiquité, mais se sont déplacés de la rhétorique à l’éthique.

Albert le Grand et Saint Thomas d’AQUIN traiteront de la mémoire comme d’une partie de la prudence. Cette vertu nous apprend quatre choses : le souvenir du passé, la disposition du présent, la prévoyance de l’avenir, et la discrétion dans les choses douteuses.

L’éducation de la mémoire, conçue comme activité vertueuse et recommandée par Albert le Grand et son élève Saint Thomas, dans sa Somme théologique, va connaître un développement extraordinaire.
Ils ont considéré comme acquis que « la mémoire artificielle » concernait le souvenir du Paradis et de l’Enfer, ainsi que les vertus et les vices conçus comme « signes mnémoniques », qui doivent nous aider à gagner le Ciel et éviter l’Enfer.

Albert le Grand et Saint Thomas d’AQUIN feront également l’examen des préceptes de la mémoire artificielle en utilisant les termes de la psychologie aristotélicienne exposée dans son traité De la mémoire et de la réminiscence.

En général, la rhétorique était plutôt rabaissée par la scolastique, mais cette partie de la rhétorique qu’est la mémoire artificielle quitte sa place à l’intérieur du système des arts libéraux pour devenir une partie d’une vertu cardinale, la Prudence.

3) À la fin du Moyen Âge et durant la Renaissance, nombreux furent les mages et mystiques qui découvrirent des systèmes magiques pour atteindre, mémoire ultime, la connaissance divine.

Raymond LULLE (1235-1315) inventa le grand art de la mémoire.

Différent de la méthode des lieux, le grand art est plutôt l’ancêtre des codes, avec l’idée qu’une combinaison magique permettait d’accéder à la compréhension de Dieu.

4) Pierre HERIGONE, mathématicien sous le règne de Louis XIII et la régence de Louis XIV, crée ensuite le code chiffre-lettre. 

L’invention de celui-ci apparaît dans un chapitre de son énorme
Cours de mathématique en plusieurs volumes.

Le code chiffre-lettre propose de remplacer les chiffres par des lettres, consonnes ou voyelles et syllabes.

Grâce à celui-ci, on peut transformer les nombres complexes à mémoriser en mots ou pseudo-mots, en choisissant à son gré une consonne, une voyelle ou une syllabe.

Une des applications qu’en donne Pierre HERIGONE est une longue chronologie universelle.

Dans le système de Pierre HERIGONE, les chiffres sont désignés par les voyelles suivantes : 1= t, 2= n, 3= m, 4 = r, 5= l, 6= g, 7= k, 8= f, 9= p, s= 0.


 5) Au dix-huitième siècle, Gregor von FEINAIGLE fut un mnémotechnicien extrêmement réputé qui propagea sa méthode grâce à des cours et conférences dans toute l’Europe. Il ne publia ses techniques dans aucun livre, ce qui lui valut d’être oublié par la suite. Né en 1760 au Luxembourg et mort à Dublin en 1819, il fut moine dans l’ordre cistercien de Salem.

La mnémotechnie lui doit presque tous les procédés modernes, et notamment la table de rappel.

Heureusement, des disciples publièrent des traités à partir de notes de ses conférences, qui permettent de nous représenter de façon assez complète le système astucieux de FEINAIGLE.

J’en ai trouvé un sur internet, édité par Thomas Naudin en 1808, et écrit par un certain DIDIER. Il s’intitule Traité complet de mnémonique, et contient un grand nombre de techniques basées en partie sur l’imagerie et la méthode des lieux, mais il présente surtout des innovations à partir du code chiffre-lettre, et naturellement la table de rappel.

La table consiste à construire une liste de 100 mots-clés, à partir du code chiffre-lettre, qui codent les 100 premiers nombres.

Ainsi « or » code le chiffre 4 (4 vaut R), « tison » code 10, « miroir » vaut 34, etc...

L’utilisation de cette table se fait en deux temps : apprentissage par cœur comme une table de multiplication de la table de rappel, puis apprentissage de chaque mot de la liste à mémoriser en liaison avec les mots-clés.

6) Dans le sillage des inventions technologiques, le XIXe siècle fut le siècle des techniques de la mémoire.

Sous l’intitulé de « mnémotechnie », manuels et traités vont connaître un engouement sans précédent en France sous le nom d’école française.

Le chef de file de l’école française est un professeur de musique, contemporain d’Alexandre Dumas, Aimé PARIS (1798-1866).

Dans son Exposition et pratique des procédés de la Mnémotechnie (Paris, 1825) il reproduit néanmoins la table imagée de FEINAIGLE ; 1 : observatoire ; 2 : cygne... jusqu’à 100 : balance, mais n’utilise plus la méthode des lieux.

En revanche, il perfectionne le code chiffre-lettre en faisant correspondre aux chiffres non pas des consonnes arbitraires, mais des groupes consonantiques apparentés d’après les règles phonologiques, par exemple « t ou d » pour les occlusives, « f ou v » pour les fricatives...

Ces perfectionnements phonologiques seront définitivement adoptés et son code est celui que l’on trouve dans les livres contemporains.

Le principal rival d’Aimé PARIS au 19ème siècle fut l’abbé MOIGNO (1804-1884), auteur du Manuel de mnémotechnie en 1879, qui étonna par sa mémoire le grand scientifique Arago lui-même.


7) Le chef de file de la renaissance de l’art de la mémoire à la fin du vingtième siècle fut Tony BUZAN, un pédagogue britannique âgé de soixante-sept ans.

BUZAN a fondé le Championnat du monde de mémoire en 1991, puis des championnats nationaux dans plus d’une douzaine de pays — de la Chine au Mexique en passant par l’Afrique du Sud.
Il dit avoir œuvré avec l’ardeur du missionnaire, depuis les années 1970, pour faire entrer les techniques mnémoniques dans les écoles du monde entier.

Il s’agit pour lui d’une « révolution éducative globale dont le but est d’apprendre à apprendre».

Un collectionneur américain Morris N. YOUNG a réussi à réunir une gigantesque bibliographie (431 pages) recensant tous les ouvrages sur la mémoire depuis l’Antiquité jusqu’à 1961, « Bibliography of Memory ».

Les mnémotechniciens déterminants du vingtième siècle en France furent notamment TREBORIX, SANAS (André DELCASSAN), SARRAZIN (Marcel VASSAL) et Charles BARBIER. Le belge Claude KLINGSOR a lui aussi développé une méthode de mnémotechnie très riche et très intéressante.

Les grands mnémotechniciens actuels sont l’américain Harry LORAYNE, les français : Benoît ROSEMONT, Vincent DELOURMEL, Jean-Claude ARRESTIER alias ATOMIX, Pierre ONFROY (Féodor), Rodolphe CANDELA, Jean-François GERAULT. Ainsi que plusieurs champions du monde de mémoire : Dominic O’BRIEN, Ben PRIDMORE, Andi BELL, Ed COOKE, etc.

Voilà. C'est tout pour le moment. Amitiés à tous


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