Un autre roman de
Jean-Patrick Manchette.
Face à la crise que nous connaissons
aujourd’hui, ses analyses sur notre société me paraissent être totalement
d’actualité. Il décrit des situations
analogues à celle que nous vivons en ce moment : nous connaissons une
vulgarité, un racisme et une stupidité généralisés. Voilà pourquoi, j’ai décidé
de partager avec vous l’essentiel de mon étude sur cet écrivain à travers
plusieurs articles de ce blog.
« Vulgarité, racisme,
stupidité généralisés
La vulgarité et le racisme sont deux
indicateurs de l’incapacité des personnages à communiquer entre eux et à
accepter la différence. Chacun vit dans son monde en haïssant les autres.
Le champion toutes catégories de ce type
de comportement est bien entendu Henri Butron dans L’Affaire N’Gustro. C’est au
point que ce livre qui a été le premier roman policier écrit par Manchette a
d’abord été refusé par Albin Michel puis par le comité de lecture de la Série
Noire (en majorité de tendance gauchiste) qui a cru qu’il s’agissait d’un livre
d’extrême droite. Ils lui ont demandé d’exécuter un petit exercice de style
avec Jean-Pierre Bastid qui a donné Laissez bronzer les cadavres !
Une anecdote
croustillante : A.D.G., qui a maintenant exprimé ouvertement sa sympathie pour
tout ce qui est partis et journaux fascisants, a adoré ce roman parce qu’il a
cru lui aussi qu’il s’agissait d’un ouvrage de droite !
En fait l’auteur s’est exprimé plusieurs
fois sur le sujet : il a voulu au maximum se distancier et il lui a paru
intéressant d’exagérer (à peine) les propos et les actions d’un jeune homme
affilié à l’OAS, de montrer son itinéraire qui passe d’abord par la délinquance
et surtout son manque total de réflexion personnelle qui le fait adhérer à ces
idéologies lui fournissant des schémas de pensée tout prêts et faciles à
assimiler.
La vulgarité de Butron et son
agressivité s’expriment d’abord par rapport à ses parents :
« ma maman, cette vieille conne. » (p.
14) ; « mon père, ce vieux con. » (p.15) ; « le vieux taré, le salaud. » (p.
30)
Il provoque délibérément l’assistance au
moment de l’enterrement de sa mère, instant sacré par excellence :
« Au milieu de l’enterrement, pendant un
silence, j’eus une impulsion et je fis un prout avec mon trou de balle, puis je
souris largement aux gens furtifs, pour qu’on comprenne bien que j’étais
l’auteur. Je venais ainsi de choisir mon camp. » (p. 26)
Quand son père meurt lui aussi, il veut
tout détruire dans l’appartement dont il a hérité.
« Je suis dévoré par l’idée de chier partout
sur les tapis. » (p. 54)
C’est une tête brûlée et il n’a peur de
rien. Il est capable d’insulter n’importe qui. Le commissaire Goémond, pourtant
représentant des forces de l’ordre dont il devrait redouter la réaction, s’en
prend plein la figure :
« Diarrhée, dis-je. Merderie. Policier.
Mal blanc. Chiotte. Goguenot.
Salope. Trouduc.
Il comprend que je lui suis plutôt
hostile. » (p. 54)
Son racisme omniprésent s’exprime dans
tout le roman d’une façon odieusement vulgaire :
« Elle doit se croire belle au second
degré avec son nez bougnoul. C’est sûrement une juive sephardim. Je connais
assez bien les juifs, j’ai enfilé plusieurs juives. » (p. 14)
Le deuxième accessit en ce qui concerne
la xénophobie et la vulgarité peut revenir à Gérard Sergent, le frère de la
victime dans Morgue pleine mais aussi son meurtrier. Voici quelques
échantillons du discours de ce sympathique personnage:
« Je suis avec un ami à vous. Un Juif.
Il avait mis ses lèvres contre
l’appareil pour chuchoter les deux derniers mots. Charmant garçon. » (chap. 7)
« Il faut vous dire, les gens de cinéma,
c’est presque rien que des métèques. » (chap. 9)
« Sale Juif, m’a dit Gérard Sergent, ce
qui était absurde car je suis de l’Allier. » (chap. 22)
Dans Le Petit Bleu de la côte ouest,
Alonso Emerich y Emerich, le commanditaire de l’assassinat de Gerfaut, est lui
aussi bêtement raciste. Il parle de la « pureté de son sang, indemne de tout
croisement avec des races inférieures, indienne, juive, nègre ou autre ».
Mais le summum est atteint quand, en une
parodie dont il a le secret, Manchette fait tenir aux Africains eux-mêmes de
L’Affaire N’Gustro un discours xénophobe : « Sale nègre, pense le Maréchal
Oufiri. » (p. 75)
Finalement on débouche sur une sorte de
stupidité généralisée. Butron a des idées stéréotypées mais les exécutants de
l’assassinat de N’Gustro sont eux-mêmes tout à fait ridicules, débitant des banalités
pseudo-philosophiques sur Hegel pendant que le leader tiers-mondiste est
suspendu par les pieds dans leur cave avant d’être finalement tué.
D’ailleurs dans la plupart des romans,
conscients de leur propre médiocrité et de celle des autres, les personnages
s’insultent vulgairement.
Ainsi Haymann demande à Tarpon dans Que
d’os ! :
« Elle ne va pas se suicider, hein ?
a-t-il demandé.
— Vous êtes vraiment con, ai-je dit.
— Excusez-moi. » (chap. 8)
Charlotte Malrakis dans Morgue peine
déclare à ses compagnons d’extrême gauche au sujet de Tarpon:
« Vous voyez bien qu’il est complètement
con! [...]. » (chap. 12)
Ce mépris mutuel arrive à son apothéose
dans La Position du tireur couché où Félix Freux méprise Terrier et l’insulte,
où Anne renvoie vertement balader son mari et où finalement le tueur montre
tout son dédain pour celui qu’il considère comme un « cave ».
« Tu es con, affirma-t-il d’un ton
émerveillé. C’est pour ça. Il fallait être con pour t’en aller dix ans et
t’imaginer... [...] Mais je suis intelligent. Je ne suis pas con comme toi. »
(chap. 11)
« Laissez-le, c’est un ahuri, déclara
Terrier. » (chap. 11)
La violence omniprésente
La vulgarité, le racisme et la bêtise se
manifestent souvent dans les propos des personnages mais parfois ceux-ci
passent à l’acte. Ainsi Henri Butron dans L’Affaire N’Gustro mais aussi les
membres du commando dans Nada.
Contrairement à ce qu’ont cru certains critiques
à l’époque, Manchette n’a jamais recommandé ce genre d’actions surtout
lorsqu’il y a mort d’homme. Les membres du commando sont excusables parce
qu’ils sont malheureux et répondent par la violence à celle de la société mais
ces formes d’action terroristes doivent être totalement proscrites parce
qu’elles renforcent les critiques habituelles de la société capitaliste à
l’encontre de l’extrême gauche.
Mais ce que Manchette introduit de
nouveau dans la thématique du roman policier, c’est la notion de violence
primitive, à la limite du sadisme, provoquant une véritable jouissance chez
ceux qui la commettent et réveillant les pulsions les plus bestiales chez les différents
protagonistes.
Qui plus est, elle peut concerner tout le monde, pas seulement
tueurs, truands ou policiers : un cadre moyen comme Gerfaut dans Le Petit Bleu
de la côte ouest assassine deux personnes sans trop de remords et ensuite
revient à une vie normale comme si de rien n’était ! De même le frère de la
victime dans Morgue pleine, Gérard Sergent: sous des dehors moralisateurs, il
dissimule en fait un pervers refoulé et un tueur.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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