Réception
critique
1) Des débuts prometteurs
Zelazny
publie sa première nouvelle dans Amazing, Le Mystère de la passion,
en août 1962. Deux ans plus tard, une de ses nouvelles Une rose pour
l’ecclésiaste est nominée pour le prix Hugo. L’année 1965 est l’année des
premiers honneurs ; il est nominé au prix Nebula pour sa nouvelle Les
Autos sauvages et gagne le Nebula, catégorie novelette, pour Les Portes
de son visage, les lampes de sa bouche et catégorie novella pour Le
Façonneur. Il lui faut cependant attendre 1966 et la sortie de ses deux
premiers romans Le Maître des rêves et Toi l’immortel pour que
paraisse sur lui un article dans un fanzine, Cosign, écrit par Mike
Ashley. Celui-ci proclame Zelazny « plus grand talent de la
décennie » et résume sa carrière d’écrivain. Huit autres articles
paraissent la même année. Trois sont particulièrement importants : un de
John Bangsund, un autre d’Algis Budrys, le dernier de Ted White. John Bangsound
est le plus enthousiaste des trois et affirme dans l’Australian Science
Fiction Review que Toi l’immortel est une « superbe
création ». Cette année-là, Toi l’immortel gagne le prix Hugo,
catégorie roman, et trois nouvelles de Zelazny sont nominées pour différents
prix.
En
1967, à nouveau un article d’Algis Budrys dans Galaxy encense Zelazny
pour son recueil de nouvelles Une rose pour l’Ecclésiaste. Il affirme
que Zelazny est au début de son apogée et le compare aux plus grands auteurs.
Egalement, l’introduction de Theodore Sturgeon à ce recueil est
particulièrement importante ; Zelazny y est adoubé par un de ses pairs, un
auteur qu’il révère particulièrement et qui a été une de ses sources
d’inspiration. Le préfacier présente avec humour tout le bien qu’il pense de
Zelazny :
« Les
authentiques poètes en prose, ce n’est pas cela qui manque mais, bien souvent,
quand on fait appel pour les jauger aux critères du rythme et de la structure,
que de déboires ! Par ailleurs, nous avons indiscutablement eu de grands
conteurs dont les récits sont solidement architecturés, construits à chaux et à
sable, efficaces de la première à la dernière ligne. Seulement, et plus souvent
qu'a leur tour, leur style est une sorte de magma indigeste péniblement agencé.
Bien rare, hélas, sont ceux que j’appellerai des «experts ès personnages», des
écrivains possédant le don particulier de créer des héros mémorables, plus
réels, en quelque sorte, que des modèles bien photographiés... des êtres vivants qui changent comme change tout ce qui est vivant, pas
simplement pendant qu’on lit le livre, mais qui changent aussi dans le souvenir
du lecteur à mesure que celui-ci vit et change, qu'il devient capable d'ajouter
un peu de lui-même a ce que l'auteur lui a apporté. Mais, là
encore, les « experts ès personnages» ont tendance à
faire du don précieux qui est le leur une obsession (et à susciter de petites
chapelles de fanatiques qui en font autant) et à traiter par-dessus la jambe la
construction de l’œuvre et son contenu. Une comparaison me vient à l'esprit:
une pièce de théâtre bénéficiant d'une distribution admirable, adroitement
montée, mais dont on aurait omis d'écrire le scénario.
Peut-être
pensez-vous que je m'apprête à dire que Zelazny nous prodigue tous ces trésors
et évite toutes ces chausse-trapes, que rien, chez lui, ne manque à I'appel la
substance et la construction, la fin et les moyens, la texture, la cadence et
le rythme — Eh bien, vous avez tout à fait raison. »
C’est
aussi la période où Harlan Ellison publie Dangereuses visions, un
recueil à la gloire de la nouvelle science-fiction. Bien sûr, Zelazny est de la
partie et lui fournit sa nouvelle Auto-da-fe. Dans son introduction,
l’enthousiaste Harlan Ellison affirme que Zelazny est la réincarnation de
Geoffrey Chaucer.
Mais
des critiques se font jour également comme celle de Richard Delap dans le
fanzine Yandro qui considère le roman Seigneur de lumière comme
un « inepte fouillis ». Alexis A. Gilliland, dans The WSFA Journal,
écrit au sujet d’Une rose pour l’Ecclésiaste que Zelazny est devenu plus
compliqué, à la limite d’une écriture compréhensible.
Toutefois,
malgré ces quelques égratignures, l’accueil pour Seigneur de lumière et Une
rose pour l’ecclésiaste est dans l’ensemble très favorable et consacre
Zelazny comme un des nouveaux grands auteurs de science-fiction.
2) Un auteur
majeur
Par
la suite, les articles sur Zelazny sont si nombreux qu’il est impossible de
tous les citer. Mentionnons quand même en 1968 un article de Brian Stableford,
un des grands de la science-fiction dans le fanzine Speculation mais
aussi une étude de 11 pages par une autre vedette du genre, Samuel R. Delany,
« Faust and Archimedes » qui fait le parallèle entre Zelazny et un
autre auteur Thomas. M Disch. Il compare Zelazny aux meilleurs écrivains de
littérature générale et le relie au symbolisme, à ce qu’il appelle le
« symbolisme intensif ». La caractéristique de ce mouvement est
« d’intensifier la perception immédiate de l’existence grâce à une langue
vive et concentrée ». Il considère les premiers romans de Zelazny comme
« les plus élégants exemples de symbolisme intensif dans la prose
américaine ».
De
même, il est impossible à partir de ce moment de citer toutes les nominations
de Zelazny à différents prix puisqu’il sera nominé tous les ans pour le Hugo et
le Nebula jusqu’à sa mort en 1994 (à l’exception de cinq années 1970, 1978,
1989, 1991, 1992), soit presque trente ans de nominations presque constantes.
Citons les prix les plus importants qu’il reçut par la suite : prix Hugo,
catégorie roman pour Seigneur de lumière en 1968, prix Nebula, catégorie
novella, en 1975, et prix Hugo, catégorie novella, en 1976 pour Le Retour du
bourreau, prix Hugo, catégorie novella, en 1982 pour Les licornes sont
contagieuses, prix Hugo, catégorie novella, en 1986 pour Twenty-four views
of Mont Fuji, by Hokusaï, prix Hugo, catégorie novelette en 1987 pour Permafrost.
Si
l’on fait un décompte rapide, on s’aperçoit que Zelazny a gagné six fois un
prix Hugo, trois fois un prix Nebula, qu’il a été nominé treize fois pour un
Hugo et seize fois pour un Nebula.
L’étape
suivante dans la consécration de Zelazny fut le mémoire de maîtrise de Thomas
Frances Monteleone à l’Université de Maryland en 1973 « Science Fiction as
Literature : Selected Stories and Novels of Roger Zelazny » . Le
titre est signifiant : la science-fiction de Zelazny est considérée
comme de la littérature. Elle est consacrée par l’Université.
Thomas
Frances Monteleone a utilisé les commentaires de Zelazny sur son œuvre et sur
ses buts enregistrés au magnétophone. Il rappelle la théorie du critique
Northrup Frye selon laquelle la science-fiction peut former une nouvelle
mythologie parce qu’elle est une littérature qui utilise encore le mythique.
Monteleone
considère que l’immortalité est le thème majeur de Zelazny. Il trouve dans son
œuvre un grand appétit de vie et une confiance totale en l’homme pour venir à
bout des difficultés de l’existence.
Par
la suite paraîtront trois ouvrages sur la vie et l’œuvre de Zelazny : un
livre de son ami Carl Yoke en 1979, Roger Zelazny, un livre de Theodore
Krulik en 1986, Roger Zelazny, une étude réalisée par sa dernière
compagne Jane Lindskold, parue en 1993 deux ans avant sa mort.
L’œuvre
de Zelazny a donné lieu également à quatre ouvrages bibliographiques, un de
Joseph Sanders en 1981, un de Daniel Levack en 1983, un autre de Phil
Stephenson-Payne en 1991, un dernier de Christopher Stephens en 1993.
3) Une réception française enthousiaste
Une rose
pour l'Ecclésiaste paraît en France dans le
mensuel Fiction n° 151 en juin
1966, soit trois ans après sa sortie aux Etats-Unis. Suivent en décembre de la
même année dans la même revue En cet instant de la tempête et en mai
1967, Les Portes de son visage, les
lampes de sa bouche.
Mais la reconnaissance française lui vient véritablement avec
son roman L’Ile des morts publié en 1971 dans Galaxie-bis
et mis en valeur par la remarquable traduction d’Alain Dorémieux. Un article du
Monde de Jacques Goimard résume l’impression générale :
«[…] Zelazny rénove
de façon fort habile le mythe homérique du
héros accompagné et protégé par les dieux,
si habile même que nous ne savons jamais si ces dieux existent
ou non, ce qui suffirait, pour les puristes à faire de L'Ile des morts un roman fantastique. C'est une épopée pourtant,
et de la plus haute volée : l'auteur a beau suggérer que ces dieux sont
fantasmatiques, il ne les en prend pas moins au
sérieux, et son duel final, qui dure trente pages, est digne de Hugo par l'intensité dramatique et
visionnaire.
Un tel mélange de sublime et de subtil
situe Zelazny comme un poète plutôt que comme un romancier. De fait, l'ultime vision de son héros dans le pays des
morts, au terme de sa quête, est typiquement mallarméenne : seules ses œuvres lui apparaissent au fond de la nuit. Et sa
prédilection pour les descriptions insolites et splendides, son style
précieux et flamboyant (admirablement rendu
par un traducteur digne de ce nom - Alain Dorémieux) achève de faire de
lui ce que fut Sturgeon pour la génération précédente : un Pur écrivain n'existant que par les mots. »
L’Ile des morts gagne en 1972 le prix Apollo, l’équivalent français du prix Hugo, qui a été créé cette année-là. Zelazny est interviewé dans les deux grandes revues de science-fiction de l’époque Fiction et Galaxie, par Patrick Duvic dans Fiction n° 227, par P. Noël dans Galaxie, n° 96.
En 1973, après Royaumes d'ombre et de lumière, paraît Toi l'immortel dans la mythique collection
« Présence du futur » qui donne lieu à un autre article enthousiaste
du critique du Monde, Jacques Goimard. Il désigne Zelazny comme «
un maître de la poésie et de l'insolite, le plus important sans doute en science-fiction
depuis Bradbury ».
Une
nouvelle étape de la reconnaissance de Roger Zelazny en France a été la
parution sur son œuvre d’un Livre d’or de la science-fiction en décembre
1983. C’est Marcel Thaon, un psychanalyste spécialiste de science-fiction, qui
préface l’anthologie, remarquable panorama des meilleures nouvelles de Zelazny.
Pour la première fois, une bibliographie exhaustive de l’œuvre de Zelazny y est
réalisée en français.
La
critique et le lectorat français seront toujours fidèles à Zelazny jusqu’à son
décès en 1995. Une nouvelle bibliographie française a été réalisée sur son
œuvre en 2001 à l’occasion de la sortie de Lord Démon, un roman qu’il
avait écrit en collaboration avec Jane Lindskold. Le fanzine Présences
d’esprit a sorti en 2002 un très bon numéro spécial sur sa vie et son
œuvre.
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