Gaz asphyxiants dans les Flandres.
Je viens de lire un livre que j’ai
trouvé à la fois passionnant, précis et instructif sur la création de la
Gestalt-thérapie. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de
ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une
poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de celui-ci.
Voici le résumé de ce livre.
Premier
lecteur. — Hé ! là ! arrête ce bla-bla-bla sentimental ! J'ai payé pour pouvoir
jeter un coup d'œil sur ce que tu as fait. Tu as quitté le Japon, et ensuite où
es-tu parti ?
Fritz. — A
Hong Kong, bien sûr.
Deuxième
lecteur. — Tu as dû faire pas mal d'achats intéressants ?
Fritz. — Oui
et non. J'ai trouvé un manteau pour trente dollars, mais il était trop étriqué.
Et j'ai acheté un smoking blanc que j’ai utilisé pour les dîners à bord, mais
depuis il est resté accroché des années dans ma penderie avant que je m’en
serve.
Troisième
lecteur. — Quelle était alors la situation politique ?
Fritz. — Je ne
m'en souviens pas. Je suis allé pour me marrer voir les fils de fer barbelés
qui séparent la Chine de la colonie de la Couronne, rien que pour pouvoir dire
que j'avais jeté un coup d'œil sur la République populaire.
Le troisième
lecteur, à nouveau. — Y avait-il beaucoup de réfugiés de Chine populaire ?
Fritz. — Oui,
ils vivaient sur les collines dans des cabanes terriblement surpeuplées ou des
sortes d'H.L.M. plus que bondées. Eh ! les gars, mais qu'est-ce que vous faites
? Vous voilà comme des journalistes, à me poser des questions, comme à un
V.I.P. qui leur fait l'aumône de ses réponses...
Les trois
lecteurs ensemble. — Calme-toi, Fritz ! D'abord, nous sommes un produit de ton
imagination. Et c'est toi qui te prends pour un V.I.P.
Fritz. — Bon,
bon, je l'admets. Voulez-vous que je profite de l'occasion pour parler des
projections ?
Les lecteurs.
— Non, non. Nous voulons que tu continues de raconter ton voyage autour du
monde. Tu as dit que la flèche était prête à bondir vers son but, Esalen, bien
avant que tu y arrives, et que cela n'était pas sans rapport avec ton voyage
autour du monde.
Fritz. — C'est
juste. En dépit de ma nature toujours agitée de bohémien, je cherchais un endroit
où planter ma tente pour quelque temps. J'avais pensé à Kyoto et à ses
charmants habitants, et aussi à Eilat, en Israël.
Lecteurs. —
Ha, ha ! Le vieux juif qui revient sur la terre de ses pères. Nous qui te
prenions pour un athée !
Fritz. — C'est
juste. Bien que j'aie eu au moins une expérience religieuse dans ma vie, en
1916, dans les tranchées des Flandres. J'étais médecin, attaché au 36°
bataillon de Pionniers. C'était une unité spécialement entraînée pour attaquer
l'ennemi avec des gaz asphyxiants. Mon ordre original de rester auprès de
l'officier médical de la troisième tranchée fut changé et je dus me rendre à la
première tranchée, la plus dangereuse. Nous étions épaulés par deux compagnies
de lanceurs de gaz. A trois heures du matin, nous fîmes une attaque aux gaz,
mais, en l'espace de quelques minutes, nous fûmes soumis à un tir de barrage britannique.
Deux heures d'enfer, et pourtant je n'ai pas eu beaucoup de blessés à soigner.
J'ai eu moi-même une blessure superficielle au front, qui est encore visible,
sauf quand je suis bronzé ; sur quelques photos, on dirait un troisième œil.
Plus tard, j'ai appris que la troisième tranchée avait reçu un coup au but et
que le médecin et ses deux assistants avaient été tués.
Pendant notre
retour, un lever de soleil d'une beauté stupéfiante. Je sentis la présence de
Dieu. Ou était-ce de la gratitude, ou bien le contraste entre la canonnade et
ce silence serein ? Qui peut le dire ?
De toute
façon, ce n'était pas assez pour me convertir. Goethe a peut-être raison quand
Faust répond à Marguerite :
Religieux est
l'homme
Qui se voue à
l'art
Ou encore s'il
le peut
S'appuie sur
la science experte.
Mais sans un
tel soutien,
Un homme à qui
est échu
Un vide qu'il
ne peut remplir
Un tel homme a
besoin de croire en Dieu.
Voilà qui est
bien mal traduit. Goethe est le seul poète que personne ne puisse traduire. Il
a une unité de langage, un rythme, une sensibilité dont la subtilité disparaît
dès qu'on lui fait parler une autre langue.
Non, mon
retour n'était pas celui du juif dans sa patrie, bien que pendant quelque temps
j'aie caressé l'idée de m'installer en Israël. Mais pour moi, et non pour le
pays ni pour ses habitants.
Ma relation
avec le judaïsme et les juifs est tout ce qu'il y a de moins définie. Je
connais assez bien l'histoire allemande, grecque ou romaine. Quant à l'histoire
du peuple juif — je ne puis même pas dire de mon peuple, tant je m'identifie
peu avec lui —, je n'en sais pratiquement rien. Les juifs d'Europe orientale,
avec leurs caftans et leurs « payes » (longs favoris bouclés) tels que je les
vis dans ma jeunesse, avaient pour moi quelque chose d'étrange et d'inquiétant,
d'effrayant même, comme les moines. Ils n'appartenaient pas à mon univers. Et
pourtant j'aime les histoires juives et leur féconde vivacité d'esprit.
Des Israéliens
viennent souvent à mes séminaires, et j'ai un préjugé en leur faveur, surtout
s'ils sont Sabra (nés en Israël). J'ai de l'estime et de la vénération pour le
juif droit qui ne fait qu'un avec sa religion, son Histoire et son mode de vie.
Leur sionisme a un sens, bien que je persiste à le considérer comme une
manifestation de sentimentalité dépourvue de réalisme et de bon sens.
La plupart des
juifs ne sont pas venus en Israël dans un esprit sioniste. Ils arrivèrent en
tant que réfugiés fuyant Hitler, et il y a beaucoup d'endroits au monde où leur
ingéniosité aurait pu faire fleurir plus facilement les déserts, en semant
moins d'hostilité. Mais, à tout prendre, je te salue, Israël, toi et ton esprit
Makabbi.
Voilà. C’est tout pour le moment comme
dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième
siècle. Amitiés à tous.
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