Un enfant qui pleure.
Des amis m’ont demandé d’apporter des approfondissements
sur la gestalt-thérapie, la psychothérapie que je préfère actuellement. J’ai
déjà abordé ce sujet à plusieurs reprises dans ce blog. En voici quelques
exemples :
Cet article est la suite de celui-ci.
Le livre de référence sur le sujet
est Gestalt-thérapie, nouveauté,
excitation et développement de Frederick Perls, Paul Goodman
et Ralph Hefferline.
L’ouvrage est divisé en deux parties
distinctes. La première partie porte sur l’orientation du moi et se subdivise
en 4 chapitres. Le chapitre 1 définit l’aspect scientifique de la gestalt
thérapie. Le chapitre 2 présente différentes expériences visant à développer ou
à accroître chez l’individu sa capacité à entrer en contact avec son
environnement. Les chapitres 3 et 4 présentent les différentes techniques de
prise de conscience intégrée du soi. La deuxième partie de l’ouvrage porte sur
la manipulation du moi. On y retrouve également 4 chapitres qui traitent
globalement de 3 types de mécanismes névrotiques à l’origine des troubles
psychologiques vécus par les individus. Ces mécanismes sont : la rétroflexion,
l’introjection et la projection.
Je vais, pour que vous compreniez bien
la démarche de la Gestalt, aborder le thème de la première partie,
l’orientation du moi et plus particulièrement son chapitre 2 « Contact
avec l’environnement ».
Première partie, Orientation du Moi.
Chapitre 2, Contact avec l’environnement.
EXPÉRIENCE 2 : Sentir les forces
opposées
Le pilote d'un avion, sur un
porte-avions, doit décoller sur un espace réduit. S'il ne peut pas atteindre
une vitesse suffisante avant la fin de la piste, il tombera tout simplement à
l'eau. Pour réduire ce risque, il fait d'abord tourner le moteur de son
appareil à pleine vitesse, en mettant les freins pour le maintenir immobile.
Puis, quand le moteur fait tourner les réacteurs si vite que l'avion tremble,
vrombit de toute sa carcasse, il lâche brusquement les freins et s'envole.
Jusque-là, le pilote qui s'identifierait avec son appareil pourrait définir la
situation comme suit : « Je ressens le terrible besoin de m'envoler, mais aussi
la tendance égale et opposée à rester immobile. Si la situation se prolongeait,
j'en mourrais. » Et naturellement, toute la manœuvre n'aurait aucun sens s'il
n'y avait pas la claire intention, le moment venu, de relâcher les freins pour
décoller.
Notez la différence entre le fait de
tourner au ralenti, d'être au point mort, quand aucune force ne pousse à
avancer ou à reculer, et la mise en marche de l'avion les freins bloqués. La
première situation est une situation de « repos », alors que la seconde est une
situation de conflit extrême. Dans le cas de l'avion, l'opposition n'est pas
avant-arrière mais bouger-ne pas bouger. Un ferry-boat, entrant à quai trop
rapidement, et qui fait marche arrière pour ralentir sa marche en avant, est un
autre exemple mécanique de conflit avant-arrière.
La situation du « point d'indifférence »
dans un continuum, où l'on est en suspension devant toutes les situations qui
se présentent, conscient de toutes les solutions et intéressé par toutes,
s'appelle le « pré-engagement créateur ».
On sent les appels de l'action, mais on ne s'est pas encore engagé ni d'un côté
ni de l'autre.
Mais retournons au problème originel ;
quel rapport tout cela a-t-il avec les résistances ? Quand vous rencontrez des
blocages dans la réalisation des tâches que vous vous êtes assignées, vous êtes
en situation de conflit — et, de plus, le conflit se déroule entre une partie
de votre personnalité et une autre. De l'une, vous êtes conscient ; c'est celle
qui assigne les tâches et essaie de les réaliser. De l'autre, celle qui
résiste, vous êtes moins ou pas du tout conscient. Quand vous vous heurtez à
des résistances, loin de vous apparaître comme votre propre création, elles
vous semblent souvent imposées et infligées de l'extérieur.
Si ces expériences vous renvoyaient à
votre travail habituel, vous auriez peu de conflits, car vous savez très bien
comment éviter les conflits dans les situations courantes. Mais le but visé
dans cette tâche, c'est de vous créer des ennuis. Nous voulons que vous preniez
conscience des conflits de votre propre personnalité. Si c'était le seul but de
ce programme, vous pourriez nous accuser justement de malveillance. Mais notre intention
ne s'arrête pas là : nous voulons vous montrer, par une action appropriée,
comment prendre conscience de la résistance pour la transformer en assistance.
La partie de votre personnalité qui
résiste possède une vitalité, une force et nombre d'autres qualités admirables.
Bien que ce soit un travail long et pénible de parvenir à réintégrer pleinement
ces parties désintégrées, si vous vous résignez à exiger moins de vous-même
alors que ce n'est pas nécessaire, vous ratifiiez la perte permanente de
certaines parties de votre personnalité. Le bon côté de la chose, c'est que,
avant même d'avoir été très loin, vous sentirez probablement que vous avez
aussi sauvegardé une bonne partie de votre précieuse énergie.
Dans ces remarques théoriques, nous
avons découpé votre personnalité en deux camps en lutte. Si vous êtes
incrédule, nous renforcerons votre incrédulité encore un peu plus en vous
demandant d'accepter comme vôtre le conflit entre ces deux factions.
Comment allez-vous faire pour acquérir
le sentiment des facteurs opposés dans votre caractère '? Eh bien, d'après ce
que nous venons de dire, ne faut-il pas en déduire que les désirs et
inclinations de cette partie qui résiste, et dont vous avez si peu conscience,
sont l'opposé de ceux qui vous poussent à accomplir la tâche et dont vous êtes
conscient ? Ne s'ensuit-il pas alors que vous pouvez avoir une notion de cette
résistance, si vous essayez d'imaginer l'opposé direct de ce dont vous êtes
conscient ?
Si cela vous semble valoir la peine d'essayer, faites la chose suivante :
Examinez quelques situations, objets ou activités
de votre vie quotidienne, comme s'ils étaient précisément l'opposé de ce qu'ils
sont d'habitude. Imaginez-vous dans une situation qui est le contraire de la
vôtre, où vos désirs et inclinations sont le contraire de vos désirs habituels.
Observez les objets, les images et les pensées comme si leur fonction et leur
sens étaient l'antithèse de ce que vous pensez qu'ils sont d'habitude. Plus
encore, confrontez-les avec vos critères de bon et de mauvais, de désirable et
de répugnant, d'intelligent ou d'idiot, de possible ou d'impossible. Entre les
deux — ou plutôt en vous plaçant au-dessus de cette alternative, au point zéro
—, intéressez-vous aux deux côtés de la situation sans prendre parti.
Un des bénéfices que vous tirerez en
développant votre capacité à voir le contraire des choses — à vous intéresser,
sans vous engager, aux deux aspects de la situation — sera de pouvoir faire vos
propres évaluations. La psychanalyse a ainsi apporté nombre de renversements.
Ce qui était habituellement considéré comme bon — par exemple, l'inhibition
sexuelle — est à présent jugé mauvais ; ce qu'on rejetait est à présent
accepté. Quand les patients venaient voir Freud, pleins de secrets, il les
poussait à les dévoiler. Quand il a remarqué que les rêves étaient de nouvelles
unités synthétiques, il a commencé à les analyser en éléments séparés. Mais
quand on juge que tout cela est bon, quels critères applique-t-on ?
Comment le patient peut-il savoir que
l'évaluation de son analyste, sur l'inhibition sexuelle, par exemple, est meilleure
que la sienne ? Si l'analyste emploie ses connaissances et son autorité pour
imposer son évaluation — et dépréciant en même temps l'évaluation inverse du
patient en tant que résistance, transfert négatif ou conscience irrationnelle —
il peut, en convainquant le patient qu'il a tort, lui imposer une nouvelle
compulsion dans la direction opposée ! Si, au contraire, le patient parvient à
sentir en lui la lutte réelle des évaluations opposées sans être démonté ou
contraint, alors, au lieu de se sentir toujours jugé, il commencera à
comprendre (ainsi que vous le verrez plus tard) le cœur du problème — à savoir
que, en dernier ressort, c'est lui, l'individu, qui juge.
Faites cet exercice d'un esprit léger.
N'attachez pas d'importance aux aspects amusants ou tragiques que la situation
inverse peut avoir. Comme l'a dit Socrate, le comique et le tragique ne sont
pas très éloignés et le même événement aperçu de points de vue différents peut
être tragique ou comique. Les malheurs d'un enfant ou d'un adolescent peuvent
sembler comiques à un adulte — par exemple, « il est si mignon quand il pleure
», ou « c'est son premier chagrin d'amour ». Et les infortunes des adultes sont
comiques pour les dieux. Essayez de changer de place pour une fois.
Mettez un « p » à la place d'un « q »
quand vous tapez à la machine ou retournez le « p » pour en faire un « b ».
Renversez d'autres lettres qui changent le sens du mot. Remarquez ce qui se
produit quand vous épelez les mots à l'envers, par exemple, « nom » et « mon ».
Certains enfants ne différencient pas ces renversements et éprouvent de grandes
difficultés à lire et à écrire.
Imaginez que les mouvements autour de
vous se produisent dans le sens inverse, comme dans un film tourné à l'envers.
Exemple : un plongeur s'envole gracieusement du plongeoir pour entrer dans
l'eau puis, avec autant de facilité, s'envole de l'eau vers le plongeoir.
Renversez les fonctions. Dans quelles circonstances
peut-on utiliser une chaise pour manger et une table pour s'asseoir ? Au lieu
de regarder la lune avec un télescope, faites comme si l'on vous regardait de
la lune. Si le plafond de votre chambre est blanc et les murs bleus, imaginez
l'inverse. Regardez des photos à l'envers. Laissez les sous-marins et les
poissons voler dans l'air. Laissez-vous aller aux possibilités schizophréniques
de votre imagination — car la plupart
d'entre elles ne sont pas plus étranges que la conviction profondément
enracinée que les individus et la société dans son ensemble agissent d'une
manière intelligente.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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