vendredi 20 mars 2020

Histoire de la mnémotechnie (L'Antiquité).



Un des ouvrages les plus importants.


La mnémotechnie sert aux personnes qui mémorisent mal dans un ou plusieurs domaines. Elle aide à retenir les noms de personnes que l’on vous présente, des numéros de téléphone à la volée, mais aussi des listes de notions ou d’objets, des dates de l’histoire de France et même les préfectures et sous-préfectures des départements français.

Pour le professionnel du mentalisme, elle permet d’effectuer des démonstrations de mémoire prodigieuse :

             la mémorisation d’un livre entier : le spectateur vous lit la première ligne d’une page et vous pouvez indiquer le numéro de la page,
             le nombre de paragraphes de cette page,
             le nombre de lignes du premier paragraphe, raconter les faits et gestes des différents personnages dans cette page, etc.
             la récitation d’un jeu de 52 cartes par cœur,
             une mémorisation en un bref laps de temps d’un jeu de cartes mélangé par plusieurs spectateurs.
             Vous pourrez indiquer de tête, en écrivant sur un tableau, 30 à 50 décimales après la virgule du chiffre Π (Pi).

En bref, c’est un ensemble de méthodes permettant de mémoriser plus vite et mieux par association d’idées et visualisation.

Au cours d’un banquet, le poète Simonide de CEOS chanta un poème lyrique en l’honneur de son hôte, mais il y inclut un passage à la gloire de Castor et Pollux. L’hôte mesquin dit au poète qu’il ne lui paierait que la moitié de la somme convenue pour le panégyrique et qu’il devait réclamer la différence aux dieux jumeaux.

Un peu plus tard dans la soirée, on avertit Simonide que deux jeunes gens, qui désiraient le voir, l’attendaient à l’extérieur de la salle. Il quitta le banquet et sortit mais ne trouva aucune trace des jeunes gens. Pendant son absence, le toit de la salle de banquet s’écroula, écrasant tous les invités sous les décombres.  

Comme Simonide fut capable de se rappeler les places que chacun occupait à table, il permit d’identifier tous les cadavres atrocement broyés.

Cette aventure suggéra à Simonide les principes de l’art de mémoire, dont on dit qu’il fut l’inventeur.

Ce récit de la façon dont Simonide inventa l’art de mémoire est donné par CICERON dans De l’orateur, au passage où il traite de la mémoire comme de l’une des cinq parties de la rhétorique :

 « Aussi, pour exercer cette faculté du cerveau, doit-on, selon le conseil de Simonide, choisir en pensée des lieux distincts, se former des images des choses qu’on veut retenir, puis ranger ces images dans les divers lieux. Alors l’ordre des lieux conserve l’ordre des choses ; les images rappellent les choses elles-mêmes. Les lieux sont les tablettes de cire sur lesquelles on écrit ; les images sont les lettres qu’on y trace. »

CICERON souligne que l’invention de l’art de la mémoire par Simonide ne repose pas seulement sur la découverte de l’importance d’une disposition ordonnée, mais aussi sur la puissance du sens de la vue.

Simonide de Céos (ou l’inventeur, quel qu’il fut, de la mémoire artificielle) vit fort bien que, de toutes nos impressions, celles qui se fixent le plus profondément dans l’esprit sont celles qui nous ont été transmises et communiquées par les sens ; or, de tous nos sens, le plus subtil est la vue. Il en conclut que le souvenir de ce que perçoit l’oreille ou conçoit la pensée se conserverait de la façon la plus sûre, si les yeux concouraient à le transmettre au cerveau.

Les trois premières sources latines sur la mnémotechnie sont La rhétorique à Hérennius (d’auteur inconnu, écrite vers 86-82 avant Jésus-Christ), chapitre 4 consacré à la mémoire, L’Institution oratoire de QUINTILIEN (35-96 après Jésus-Christ), De l’orateur de CICERON (106-43 avant Jésus-Christ).

La rhétorique à Hérennius est le plus détaillé de ces traités.

Un maître de rhétorique romain dont nous ignorons le nom a rédigé, vers 86-82 avant Jésus-Christ, un manuel pratique pour ses étudiants intitulé Rhétorique à Hérennius. Ce texte anonyme ne nous est donc parvenu sans autre information que le nom de son dédicataire. Ce maître traite des cinq parties de la rhétorique (inventio, dispositio, elocutio, memoria, pronuntiato).

Quand il en arrive à la mémoire, comme partie essentielle du bagage de l’orateur, il commence son exposé par ces mots :

«Tournons-nous maintenant vers la salle au trésor des inventions, vers le gardien de toutes les par-ties de la rhétorique, la mémoire. »

Ensuite, l’auteur distingue deux sortes de mémoires :
             La mémoire naturelle, gravée dans notre esprit et née en même temps que la pensée.
             La mémoire artificielle, qui est une mémoire renforcée ou consolidée par l’exercice.

La Rhétorique à Hérennius est la source principale sur l’art classique de la mémoire des Grecs et des latins, car les remarques de Quintilien et de Cicéron ne constituent pas des traités complets et supposent que le lecteur connaît déjà la mémoire artificielle et sa terminologie. Ce traité jouera aussi un rôle d’une importance capitale pour la transmission de l’art de mémoire de l’Antiquité au Moyen Âge.

1) Règles pour les lieux

La mémoire artificielle est fondée sur des lieux et des images. Les lieux doivent être aisément retenus par la mémoire : maison, rue... Les images sont des formes ou des symboles de ce dont nous désirons nous souvenir. L’art de la mémoire est comme une écriture intérieure car les lieux ressemblent beaucoup à des tablettes enduites de cire ou à des papyrus, les images à des lettres, l’arrangement et la disposition des images à l’écriture.

 Si nous voulons nous rappeler beaucoup de choses, nous devons nous munir d’un grand nombre de lieux.

Ces lieux doivent être choisis dans un bâtiment de taille moyenne, peu fréquenté ou désert et solitaire, pas trop brillamment éclairé.

Un homme qui se déplace lentement dans un bâtiment solitaire et s’arrête de temps à autre, le visage attentif, est un étudiant en rhétorique qui forge un ensemble de lieux de mémoire...

Des lieux de mémoire bien fixés peuvent être parcourus dans les deux directions : en avant ou en arrière.

2) Règles pour les Images

Il y a deux types d’images.

La mémoire « pour les choses » fabrique des images pour rappeler un argument, une idée ou une « chose », tandis que la mémoire « pour les mots » doit trouver des images pour rappeler chaque mot.
Il faut aider la mémoire en suscitant des chocs émotionnels à l’aide d’images frappantes et inhabituelles, belles ou hideuses, comiques ou grotesques.

Nous devons donc créer des images capables de rester le plus longtemps possible dans la mémoire.

Et nous y réussirons :
si nous établissons des ressemblances aussi frappantes que possible ;
si nous créons des images qui ne soient ni nombreuses, ni vagues mais actives ;
si nous leur attribuons une beauté exceptionnelle ou une laideur particulière ;
si nous les enlaidissons d’une façon ou d’une autre, en introduisant par exemple une personne tachée de sang, souillée de boue ou couverte de peinture rouge de façon à ce que l’aspect en soit plus frappant ;
ou encore si nous donnons un effet comique à nos images.

Mais une condition est essentielle : il faut régulièrement parcourir en esprit tous les lieux originaux
pour raviver les images.

Dans l’Antiquité, qui ignorait l’imprimerie, une mémoire exercée avait une importance vitale.
La gymnastique intérieure, le travail invisible de concentration auxquels se soumettaient les Anciens
leur donnaient une mémoire puissante et organisée.

Ils aimaient surtout les triomphes de mémoire : Sénèque le Rhéteur, professeur de rhétorique, était capable de répéter deux mille mots, dans l’ordre dans lequel on les lui avait donnés. Il pouvait également retenir des centaines de vers et les répéter à l’envers. Un tel exploit atteste le respect que l’Antiquité avait pour l’art invisible de la mémoire et pour l’homme possédant une mémoire entraînée, une mémoire aux pouvoirs « presque divins », écrira Cicéron.

Voilà. C'est tout pour le moment. Amitiés à tous.

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