Cet article ne prétend pas être exhaustif
sur le vaste sujet du « détournement d'attention ». Il ne s'agit que
de réflexions basées sur une expérience personnelle.
Avez-vous jamais écouté les
réflexions de spectateurs avant une séance de prestidigitation ? Une idée
revient souvent dans l'esprit des profanes : « Pendant qu'il fait quelque
chose avec une main, il faut surtout regarder l'autre main, c'est toujours
comme ça que ça se passe.... », ou « S'il vous regarde ou vous pose
une question, surtout ne quittez pas ses mains des yeux.... » . Sans
réussir à le définir vraiment, ces personnes flairent l'une des techniques les
plus efficaces de tout magicien : le détournement d'attention (les anglo-saxons
parlent de "misdirection")
Tout d'abord, voici ma définition
: Le détournement d'attention, c'est l'ensemble des techniques mises en œuvre
pour cacher aux spectateurs, l'idée même qu'une action secrète s'est déroulée
sous leurs yeux.
Dans cette définition, le terme « idée »
est le centre du problème. En effet, l'important n'est pas de cacher une action
secrète aux spectateurs, c'est surtout que les spectateurs n'aient même pas eu
l'idée qu'une telle action puisse s'accomplir.
Il est tout à fait possible que
les spectateurs n'aient pas vu que vous veniez de faire un saut de coupe, par
contre ont-ils senti qu'il se passait quelque chose de pas tout à fait normal ?
Si les spectateurs sentent ça, même sans savoir exactement ce qu'est ce quelque
chose, l'illusion finale risque d'être gâchée.
Qu'est-ce qu'une action secrète ?
Un comptage Elmsley, une levée double, un faux-mélange total, le faux dépôt
d'une pièce ne sont pas des actions secrètes ; on pourrait plutôt les qualifier
d'actions faussées car elles montrent quelque chose qui n'est pas la réalité.
Au contraire, une action secrète
demeure (doit demeurer !) parfaitement invisible et inconnue du public. On peut
ranger dans cette catégorie les lapping, changes, transferts, dépôt, saut de
coupe, empalmages, utilisation d'un swami,
etc.
Les quelques règles qui suivent
ne sont pas forcément universelles et immuables. Elles ne sont pas non plus
exhaustives et certaines sont plus générales que d'autres.
La technique
1ère règle : Pour bien cacher une action secrète, il est primordial de
savoir l'exécuter parfaitement.
C'est une évidence, mais on peut
quand même la rappeler. Savoir exécuter parfaitement et sans aucune hésitation une
action secrète est nécessaire (mais loin d'être suffisant) pour un bon
détournement d'attention. Attention ! Je ne dis pas que l'action doit être
techniquement parfaite, mais que l'on doit la maîtriser sans aucune hésitation.
Ceci au moins pour trois raisons : éviter les tâtonnements, faire face à toutes
les conditions qui peuvent se présenter et enfin, avoir confiance en soi. Un
bon détournement d'attention peut cacher un saut de coupe techniquement
imparfait, mais il ne cachera pas un saut de coupe approximatif, voire
maladroit.
Moment fort – Moment faible
2ème règle : Profitez d'un moment faible pour effectuer une action
secrète.
Lorsqu'un magicien effectue une
routine, il y a toujours des moments forts et des moments faibles. Les moments
forts sont ceux qui demandent une attention soutenue du public ou de l'artiste.
Lorsque vous tendez un éventail de cartes à un spectateur pour qu'il choisisse
une carte, ou lorsque vous coupez une corde en deux à l'aide d'une paire de
ciseaux, il s'agit de moments forts : Il y a une action directe et importante
sur les objets que vous manipulez et votre action est le centre de tous les
regards.
Les moments faibles sont les
moments où, du point de vue du public, rien d'important ne se passe vraiment :
vous mélangez négligemment un jeu de cartes en discutant avec le public, vous
rangez la paire de ciseaux dans votre poche à la fin d'une routine.
Les moments forts sont des
moments de stress pour vous et votre public. Les moments faibles, sont des
moments de détente et de respiration.
Effectuez un saut de coupe ou un
empalmage pendant un moment fort et vous pouvez être sur que, même si personne
n'a pas vu la manipulation secrète, certains ont senti qu'il s'est passé « quelque
chose ». Une seconde après avoir fait rire votre public, au contraire,
vous pouvez empalmer le jeu entier sans que personne ne s'en aperçoive…
Le regard
3ème règle : Regardez le public
et non pas ce que vous faites lorsque vous faites une action secrète.
Le regard est une forme de
communication non verbale très forte. Lorsque vous regardez dans une direction,
le spectateur a tendance naturellement à suivre votre regard. Pour peu que tout
votre corps se tourne vers cette direction, il sera quasiment impossible pour
le public de regarder vers un autre endroit.
La parole
4ème règle : Parlez au public en
faisant une action secrète (Si possible, évitez les banalités)
La parole est une technique très
puissante pour retenir l'attention du public. Lorsque vous parlez aux
spectateurs, ils sont dans l'obligation de vous écouter. Donc une partie de
leur attention est retenue par ce que vous dites. Pour peu que vous posiez une
question à un membre du public, l'attention de l'assemblée va se tourner vers
le spectateur en attendant sa réponse. C'est le moment idéal pour effectuer un
coupable empalmage, par exemple. Dans ce cas précis, le geste secret est fait
dans un moment fort pour le spectateur qui répond à la question, mais faible
pour le magicien.
La question posée par le magicien
peut aussi être tout à fait formelle et n'appelant pas de réponse de la part du
public (exemple : en faisant un faro : « Savez-vous pourquoi on appelle ce
mélange, un mélange « parfait' » ? »).
Personnellement j'ai toujours
quelques questions prêtes qui peuvent me servir en diverses occasions.
Le rire
5ème règle : Le rire est une
excellente couverture pour exécuter une action secrète
Si cela va avec votre
personnalité, le rire que vous pouvez provoquer chez les spectateurs est l'un
des moyens les plus efficaces pour détourner leur attention. En effet, ce n'est
pas pour rien que l'on dit que le rire « détend l'atmosphère ». Il la
détend tellement bien et il détend tellement bien les spectateurs, que les
actions les plus secrètes resteront complètement invisibles si elles sont
effectuées dans un éclat de rire. Le rire est LE moment faible par excellence.
Pour voir comment le rire peut être utile, il suffit de regarder Juan Tamariz
travailler.
Les gestes
6ème règle : Montrez pour cacher.
Un proverbe chinois dit : « Montrez
la lune du doigt à un idiot, l'idiot
regarde le doigt ». Heureusement, tout le monde n'est pas idiot et lorsque
vous désignez de l'index droit une pièce qui est sensée se trouver dans votre
poing gauche, les spectateurs ont le regard attiré vers la main désignée. Le
simple fait de tendre la main vers un point de l'espace incite à suivre la
direction montrée. La tentation est encore plus grande si les deux mains se
tournent vers la même direction. Bien sûr si vous joignez la parole et le
regard au geste, cette tentation devient une quasi obligation.
Les gestes ne servent pas qu'à
désigner et peuvent faire partie intégrante d'une action. Pendant une chasse
aux cigarettes ou aux pièces, vous pouvez montrer votre main droite vide, sous
toutes les coutures, tout en prenant une « charge » avec la main
gauche.
La main, le bras, ou même le
corps, en mouvement attirent l'attention du spectateur. Un mouvement ample
cachera aussi un mouvement plus petit. Par exemple, si vous faites un long
ruban de cartes sur la table à l'aide de la main droite, la main gauche peut
aller déposer dans la poche du pantalon et en toute tranquillité, une carte
empalmée.
Cela va à l'encontre de pas mal
d'idées reçues, mais je peux vous garantir que, paradoxalement, une carte
empalmée sera moins visible si la main ne bouge pas, mais reste au repos, dans
une position naturelle.
Pour travailler, je profite d'un
maximum d'occasions (réunion de travail, repas, pause-café) pour empalmer une
carte, une pièce, ou un petit objet quelconque et pour maintenir cet objet dans
la main, le plus longtemps possible. Observez aussi la position naturelle des
mains des personnes qui vous entourent. C'est très formateur.
La respiration
7ème règle : Expirez en faisant une action secrète
Christian Chelman a une approche
tout à fait intéressante de la respiration dans la présentation magique. Il
explique (par exemple dans la vidéo Blitz
& Overblitz ou dans son ouvrage Légendes
Urbaines) que toute manipulation secrète doit être effectuée dans une
expiration. La théorie qui sous-tend ceci est tirée des arts martiaux, mais
aussi du yoga et de la sophrologie : l'inspiration crée un stress (étouffement)
alors que l'expiration est synonyme de relâchement et de détente. Si vous
faites une manipulation pendant une inspiration, vous ajoutez du stress au
stress; si au contraire, vous la faites dans une période d'expiration, elle
sera faite pendant que vous vous relâchez, et le public, inconsciemment le sait
et se relâche aussi, ce qui amène un temps plus faible, donc propice à toutes
sortes de choses…
Le naturel
8ème règle : Soyez naturel!
« Soyez naturel! »
était le conseil favori de Dai Vernon lorsqu'on lui demandait le secret de sa
patte très particulière (La « Vernon touch »). Faites des gestes
naturels, épurés, évitez les comportements, discours, mouvements qui sont
forcés et artificiels. L'idéal est que toutes vos actions, et tous vos
comportements aient l'air spontanés et motivés. Et cette spontanéité demande
beaucoup de travail. Plus vous serez naturel et moins les spectateurs seront sur leurs gardes
et plus il seront facilement trompés.
Les sons et les bruits
On ne compte plus le nombre de
manipulations avec des pièces dans lequel le bruit (sonnant et trébuchant)
renforce l'illusion que l'on veut créer. Dans une chasse au pièces, le dépôt « sonore »
de la collecte dans un seau de métal participe très fortement à l'effet. Ces
bruits indiquent aux spectateurs de manière quasi subliminale que la pièce est
bien là où l'on s'attend qu'elle soit (détournement d'attention) et renforcera
donc une possible surprise finale.
Le toucher
Un des premiers tours que j'ai
appris et celui où l'on place une allumette marquée dans un mouchoir et où un
spectateur est prié de casser cette allumette en deux, à travers le mouchoir.
Ce petit tour est d'une simplicité enfantine et pourtant, le spectateur est
tellement persuadé qu'il a brisé une allumette (ce qui est vrai…) qu'il a un
choc lorsqu'il déplie lui-même le mouchoir pour retrouver l'allumette… intacte.
Les effets qui mettent en œuvre le toucher sont relativement rares et il y a
certainement, là, des terres vierges à défricher…
Les « erreurs »
volontaires
Un excellent moyen de détourner
l'attention est de faire « malencontreusement » tomber un objet par
terre. Il est impossible pour un
spectateur de ne pas suivre du regard, ne serait-ce qu'un instant, une carte qui
tombe sur le sol. Il s'agit là sans doute du détournement d'attention le plus
sûr pour un numéro de scène ou de salon. L'action secrète peut se faire lors de
la chute de l'objet, ou au contraire, lors du ramassage. Personnellement,
j'utilise cette technique de temps en temps lorsque je fais du mentalisme avec
une prédiction écrite (c'est fou comme le crayon peut m'échapper des mains...).
Pour persuader le public que les
cartes sont bien mélangées, elles peuvent vous échapper des mains et tomber sur
la table en vrac. Cela éloigne l'idée d'un contrôle quelconque sur le jeu et
vous permet aussi de faire un mouvement secret.
Le timing
Le timing correspond à deux
choses : quand faire la passe secrète et avec quel rythme la faire.
Un peu trop tôt ou un peu trop
tard et votre détournement d'attention n'est plus aussi efficace pour masquer
une action secrète.
Trop rapide ou trop lent et votre
empalmage risque de se sentir.
Un bon timing ne s'apprend que
par l'expérience. Un magicien expérimenté arrive à « sentir »
lorsqu'il peut passer sa manipulation secrète.
Il est bon de garder deux règles
simples à l'esprit :
- Attendez le bon moment, ne vous
précipitez pas.
- Travaillez la vitesse et la
fluidité de vos mouvements secrets. Ni trop lent, ni trop rapide.
Si vous avez accès à la vidéo, il
s'agit du moyen idéal de travailler et de corriger vos timings.
Conclusion
Bien compris, bien utilisé, et
bien travaillé, le détournement d'attention est sans doute l'une des armes les
plus efficaces du magicien.
Les techniques présentées ici
seront bien sûr d'autant plus fortes qu'elles seront utilisées les unes avec
les autres (regard, parole, geste par exemple).
Personnellement j'essaie de
travailler mes détournements d'attention (gestes, paroles, questions, mimiques)
aussi soigneusement que mes manipulations.
Le détournement d'attention est
une manipulation de l'esprit des spectateurs. Dans ce domaine il est
intéressant de connaître les techniques de psychologie comme la PNL
(programmation neuro-linguistique) et l'analyse transactionnelle (AT).
La PNL permet d'apprendre comment
« bien communiquer » c'est à dire communiquer « juste » et
avec le même référentiel que vos interlocuteurs.
L'AT permet de comprendre la
manière dont se passent les échanges entre les personnes (les « transactions »).
Ces techniques de psychologies
trouvent des applications directes dans tous les arts du spectacle en général
et particulièrement en magie.
Voilà. C’est tout pour aujourd’hui.
Amitiés à tous.
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