Fanch Guillemin.
Dans le cadre de mon projet de publier un article chaque jour dans ce blog pour desennuyer les magiciens confinés, le prestidigitateur et historien de la prestidigitation Fanch Guillemin m'a autorisé d'une manière très altruiste à reproduire un de ses anciens articles. Un grand merci à lui pour sa formidable générosité et un grand bravo pour son talent unique d'écrivain et d'historien.
Mages antiques
Virgile
(79 à 19 av. J.C.) fut longtemps considéré comme enchanteur : peut-être par sa
vaste connaissance des sciences mathématiques et naturelles. Sa VIII ème
Bucolique met d'ailleurs en valeur le rapport de la magie et de la poésie. Ses
livres étaient consultés, en tirant un vers au sort, en augure qu'il fallait
savoir interpréter, comme plus tard les poèmes à énigmes de Joachim de Flore et
de Nostradamus.
Saint-Augustin
(354-430) déclarait avoir connu un magicien nommé Alcibérius, capable de «
deviner» des vers de Virgile, sans les voir : comme dans notre moderne version
du « book-test ». Notons que les Anciens utilisaient déjà des méthodes de
mnémotechnie
De son
côté, le Grec Lucien de Samosate (vers 125-192) évoque les techniques du célèbre mage Alexandre
de Abonotica. Celui-ci descellait et recollait discrètement et habilement les
messages préalablement déposés chez lui la veille par ses consultants, afin
d'en connaître le contenu. Puis il y répondait spectaculairement par la voix
supposée d'un grand python apprivoisé qu'il tenait dans ses bras, et auquel il
avait artistiquement fixé une fausse tête à mâchoire mobile qu'il pouvait
actionner secrètement par un fil comme une moderne poupée de ventriloquie...
Les devins médiévaux
Les
Arabes, héritiers des civilisations gréco-latines, introduisirent en Europe les chiffres dits « arabes » (venus en
fait de l'Inde), ainsi que la pratique des carrés magiques permettant de
curieux effets de mentalisme. À la même époque, Alcuin de York (735-804)
présentait à Charlemagne des tours de divination basés aussi sur des procédés mathématiques qu'il révéla dans son manuscrit : De
arithmeticis propositionibus (Université de Trieste).
La Renaissance
Un
étonnant manuscrit, composé à Lyon en 1484 par Maistre Nicolas Chuquet, enseigne une douzaine de
tours de divination : S'ensuyvent
les jeux et esbatemens qui par la science des nombres se font.. On y
trouve par exemple le truc des 3 dés, et surtout celui des 3 choses diverses :
excellents effets de mentalisme encore présentés aujourd'hui. Max Maven m'a
d'ailleurs déclaré que le tour des 3 choses diverses était selon lui le modèle
du genre !
Enfin,
l'exceptionnel manuscrit, rédigé à Bologne entre 1496 et 1499 par le franciscain italien Luca
Pacioli en collaboration avec Léonard de Vinci, nous offre un premier panorama
précis de cet art à cette époque, et d'autres secrets d’illusionnisme : comme
des tours de pièces, de cartes, de liquides, de couteaux, d’œufs ou de feu,
etc.
Giovanni de Jasonne et la
double-vue
Après
l'exposé de diverses techniques, dont l'utilisation de compères, Luca Pacioli suggère de
communiquer par code avec un enfant « dressé » à.cet effet : « Tu
pourras lui enseigner à deviner à distance
quelles cartes auront été touchées par des spectateurs. II faudra pour cela te
mettre d'accord avec lui par l'intermédiaire de nombres, c'est à dire qu'il
faudra donner un numéro aux .figures et aux autres cartes..., Selon
les tours. vous pourrez ainsi procurer beaucoup d'étonnement et de plaisir à
l'assistance, en prenant l'air innocent, de manière que tout semble seulement
produit par art magique divinatoire.
Tu pourras de même lui
transmettre le résultat du jeu des 3 dés ou des 3 choses diverses, qui font
toujours beaucoup d'effet. Mais il faut, comme je te le dis, agir avec grand
soin, prudence et finesse, et que rien ne paraisse suspect, parce que le5
choses sont d'autant plus belle, qu'elles sont secrètes...
Un habitant de Ferrare, nommé
Giovanni de Jasonne , opérait ainsi avec son jeune fils qu'il avait dressé dès
sa plus tendre enfance à de semblables gentillesses. Il communiquait avec lui
par l’intermédiaire de nombres, de signes et de gestes de la main, des pieds,
de la toux, d'exclamations et d'actes convenus, comme de jeter des couteaux sur
une table, etc. Il lui transmettait ainsi le message à deviner, en usant de
mots et de silences significatifs, de manière à ce que l'assistance ne se rende
compte de rien.
Il avait ordonné à son fils
d'avoir les yeux fixés sur ses mains, tout en conservant toujours l'air
innocent, et il composait avec naturel les paroles, les syllabes et les
nombres voulus...
Avec cela, il est venu plusieurs
fois à Venise, où je me trouvais moi-même à cette époque, et il présentait des
tours de cette sorte dans la maison de quelques gentilshommes et gentilles
dames aussi. Et ceux-ci, émerveillés, lui affirmaient que cet enfant avait
certainement un esprit familier qui lui soufflait les réponses et lui révélait
toutes ces choses cachées. Et l'opérateur leur laissait croire cela.
Malheureusement le jeune garçon mourut et l'homme dut continuer ses séances sans lui...
Luca Pacioli, De viribus quantitatis, Livre I, chapitre 30.
Luca Pacioli, De viribus quantitatis, Livre I, chapitre 30.
La double-vue
Le
célèbre illusionniste italien Giuseppe Pinetti présenta également plus tard, à Londres vers
1785, un numéro de double-vue avec son épouse, comme en témoignent des
journaux de l'époque, qui rapportent aussi des prestations du même genre
effectuées par Cornus et sa femme.
De son côté, d'après les Mémoires du marquis de
Bombelles, le magnétiseur M. de Puységur en fit autant avec son sujet
Magdeleine qui opérait les yeux bandés...
Si les techniques et les codes
étaient variés, cette expérience était donc très ancienne, ce qui n'empêcha pas
Robert-Houdin de prétendre à plusieurs reprises, dans ses Mémoires et révélations, avoir
inventé, vers 1845, ce tour qu'il effectuait avec son jeune fils, comme le
faisait Giovanni de Jasonne avec le sien, plus de 350 ans auparavant !
Selon Jules Vallès. la double-vue fut popularisée par
Leduc au XIXème siècle :
« Le Christophe Colomb qui
découvrit cette mine à surprises fut, dit-on, un garçon perruquier de Londres,
qui s'en amusait avec son patron. Ils vendirent
leur secret à sir Lepsom, un fantaisiste anglais qui venait se faire raser
chez eux et qu'intrigua cette étrange communication.
Sir Lepsom était, en même temps,
un amateur forcené des arts mécaniques. Dans un voyage qu'il fit à Paris, il
remarqua chez Robert-Houdin deux pantins, baptisés Auriol et Debureau. dont il
s'amouracha, et voulut à tout prix devenir le propriétaire. Robert-Houdin ne
consentit pas facilement à abandonner ses automates qui lui rapportaient
beaucoup d'argent. Il ne se décida à s'en défaire que le jour où sir Lepsom lui
vendit en échange le secret de la double-vue. »
J. Vallès. Le Figaro. 20 juillet 1865. Œuvres. N.R.F. Gallimard, 1975.
J. Vallès. Le Figaro. 20 juillet 1865. Œuvres. N.R.F. Gallimard, 1975.
Enfin, Gandon, en 1849, puis
Cazeneuve, en 1869, publièrent les
premiers codes complets de cette technique de double-vue qui, bien présentée,
semblait un vrai miracle...
Voilà. C'est tout pour le moment. Amitiés à tous.
Voilà. C'est tout pour le moment. Amitiés à tous.
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