jeudi 23 mars 2017

Compte rendu de "L'art de la mémoire" de Frances A. Yates (deuxième partie).





Un traité considérable évoquant en profondeur la mnémotechnie.


Le premier livre que j’ai lu sur l’histoire de la mnémotechnie est un ouvrage formidable, une étude de référence, L’art de la mémoire de l’historienne britannique Frances Yates. Elle étudie cet art depuis l’utilisation qu’en faisaient les orateurs de l’Antiquité jusqu’à la forme occultiste qu’il prit à la Renaissance et au début du XVII ème siècle en passant par la métamorphose morale que le Moyen Age gothique lui fit subir. Sont abordés notamment des orateurs latins puis Giulio Camillo, Giordano Bruno, Pierre de La Ramée et Robert Fludd.

Frances Yates recense d’abord les trois premières sources latines sur la mnémotechnie : La rhétorique à Hérennius (d’auteur inconnu, écrite vers 86-82 avant Jésus-Christ), chapitre 4 consacré à la mémoire, LInstitution oratoire de Quintilien (35-96 après Jésus-Christ), De l’orateur de Cicéron (106-43 avant Jésus-Christ). 

Aujourd’hui, j’évoquerai La rhétorique à Hérennius qui est le plus détaillé des traités latins.

Un maître de rhétorique romain dont nous ignorons le nom a rédigé, vers 86-82 avant Jésus-Christ, un manuel pratique pour ses étudiants intitulé Rhétorique à Hérennius. Ce texte anonyme ne nous est donc parvenu sans autre information que le nom de son dédicataire. Ce maître traite des cinq parties de la rhétorique (inventio, dispositio, elocutio, memoria, pronuntiato). 

Quand il en arrive à la mémoire, comme partie essentielle du bagage de l’orateur, il commence son exposé par ces mots : «Tournons-nous maintenant vers la salle au trésor des inventions, vers le gardien de toutes les parties de la rhétorique, la mémoire. » Ensuite, l’auteur distingue deux sortes de mémoires :

1) La mémoire naturelle, gravée dans notre esprit et née en même temps que la pensée.

2) la mémoire artificielle, qui est une mémoire renforcée ou consolidée par l’exercice.

La Rhétorique à Hérennius est la source principale sur l’art classique de la mémoire des Grecs et des Latins, car les remarques de Quintilien et de Cicéron ne constituent pas des traités complets et supposent que le lecteur connaît déjà la mémoire artificielle et sa terminologie. Ce traité jouera aussi un rôle d’une importance capitale pour la transmission de l’art de mémoire de l’Antiquité au Moyen Âge.

Les règles de la Rhétorique à Hérennius.

1) Règles pour les lieux.

La mémoire artificielle est fondée sur des lieux et des images. Les lieux doivent être aisément retenus par la mémoire : maison, rue… Les images sont des formes ou des symboles de ce dont nous désirons nous souvenir.

L’art de la mémoire est comme une écriture intérieure car les lieux ressemblent beaucoup à des tablettes enduites de cire ou à des papyrus, les images à des lettres, l’arrangement et la disposition des images à l’écriture.

Si nous voulons nous rappeler beaucoup de choses, nous devons nous munir d’un grand nombre de lieux. Ces lieux doivent être choisis dans un bâtiment de taille moyenne, peu fréquenté ou désert et solitaire, pas trop brillamment éclairé. Un homme qui se déplace lentement dans un bâtiment solitaire et s’arrête de temps à autre, le visage attentif, est un étudiant en rhétorique qui forge un ensemble de lieux de mémoire… Des lieux de mémoire bien fixés peuvent être parcourus dans les deux directions : en avant ou en arrière. Ce qui explique les capacités de Sénèque le Rhéteur ou de l’ami de Saint Augustin à réciter à l’envers.

2) Règles pour les images.

Il y a deux types d’images. La mémoire « pour les choses » fabrique des images pour rappeler un argument, une idée ou une « chose », tandis que la mémoire « pour les mots » doit trouver des images pour rappeler chaque mot. 

Il faut aider la mémoire en suscitant des chocs émotionnels à l’aide d’images frappantes et inhabituelles, belles ou hideuses, comiques ou grotesques.

Nous devons donc créer des images capables de rester le plus longtemps possible dans la mémoire. Et nous y réussirons si nous établissons des ressemblances aussi frappantes que possible ; si nous créons des images qui ne soient ni nombreuses ni vagues mais actives ; si nous leur attribuons une beauté exceptionnelle ou une laideur particulière ; si nous les enlaidissons d’une façon ou d’une autre, en introduisant par exemple une personne tachée de sang, souillée de boue ou couverte de peinture rouge de façon à ce que l’aspect en soit plus frappant ; ou encore si nous donnons un effet comique à nos images. Mais une condition est essentielle : il faut régulièrement parcourir en esprit tous les lieux originaux pour raviver les images.

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire