Le cycle d'une Gestalt.
Je viens de lire un livre que
j’ai trouvé à la fois formidablement bien écrit, original et passionnant. Je
voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit
de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de
celui-ci.
Voici le résumé de ce livre.
Je veux mettre bien en évidence
une interprétation erronée de Freud, et la comparer avec la Gestalt
traditionnelle et avec ma propre conception de la Gestalt, et démolir quelques
similitudes superficielles. Dans ce contexte, je veux montrer l'inutilité de la
thérapeutique freudienne et de toutes celles fondées sur une théorie de
l'instinct.
Freud a observé que certains de
ses patients avaient besoin d'avoir un comportement stéréotypé et répétitif.
Par exemple, certains se sabotaient
eux-mêmes lorsqu'arrivait la réussite. C'est ce qu'il appela une «
répétition compulsive ». A coup sûr, c'est une observation valable et exprimée
en termes adéquats. Dans de nombreuses névroses, on trouve facilement des
cauchemars répétitifs et des Gestalts stéréotypées. On peut se demander s'il
faudrait inclure dans cette catégorie le besoin d'aller cinq fois par semaine
chez le même analyste, à la même heure, au même endroit, sur le même divan,
qu'il pleuve ou qu'il vente, qu'on soit gai ou triste, calme ou énervé.
Freud, pour finir, a émis cette
théorie que la vie est un conflit entre Eros et Thanatos. Comme chacun de nous
participe à la vie, il participe, selon cette théorie, à Thanatos, l'instinct
de mort. Ce qui signifie que chacun de nous souffre de répétition compulsive.
Ce qui semble une hypothèse poussée un peu trop à l'extrême.
Comment passe-t-on de la
répétition compulsive à l'instinct de mort ? (Comment les épinards poussent-ils
sur le toit ? Les vaches ne peuvent pas voler !) Un simple tour de passe-passe,
messieurs dames ! Vous voyez, voici la répétition — maintenant c'est une
habitude. Une habitude vous enlève la liberté de choisir. Elle pétrifie votre
vie. La pétrification c'est la mort. Voilà ! Simple, n'est-ce pas ? Et
maintenant, regardez : cette mort, ce peut être la vie aussi. Si vous retournez la pétrification sur les
autres, c'est l'agression, qui, elle, est bien vivante. Je suis un vrai fils de pute, mais il faut
que quelqu'un voie la nudité de l'empereur.
Par où le raisonnement pèche-t-il
? Par l'hypothèse que toutes les habitudes sont des pétrifications. Les
habitudes sont des Gestalts intégrées, et, en fait, en tant que telles, en
principe, des stratagèmes économiques de la nature. Comme Lore me l'a fait
remarquer un jour, les « bonnes » habitudes sont celles qui favorisent la vie.
Quand vous apprenez à taper à la
machine, il faut, au départ, situer chaque touche, puis apprendre à diriger le
doigt vers cette touche que vous enfoncerez avec une certaine force. Votre
façon de situer les touches, ainsi que leur manipulation, évoluera de la
nouveauté à la maîtrise, du courant infini de découvertes et de redécouvertes à
la certitude — c'est-à-dire à la connaissance. Il faut de moins en moins de
temps et de concentration pour que cette aptitude devienne automatique, fasse
partie du moi, quitte le premier plan et laisse la place à la « pensée » qui
n'est plus dérangée par la recherche des touches sur le clavier. En d'autres
termes, les « bonnes » habitudes font partie d'un processus de maturation,
l'actualisation d'une capacité potentielle.
Il est vrai qu'une fois
l'habitude prise — une fois la Gestalt établie — elle est là, et fait partie de
l'organisme. Pour changer une habitude,
il faut l'extraire à nouveau de l'arrière-plan et investir de l'énergie (comme
dans le cas de H20) afin de désintégrer ou de réorganiser l'habitude.
La bourde de Freud, c'est de
n'avoir pas fait la différence entre la répétition compulsive pathologique et
la création d'habitudes intégrées à l'organisme.
La répétition compulsive ne peut quitter l'avant-scène pour être
assimilée. Au contraire, elle demeure une source constante d'attention et de
stress précisément parce que la Gestalt ne peut se conclure, précisément parce
que la situation demeure inachevée, précisément parce que la blessure ne veut
pas cicatriser.
La répétition compulsive n'est pas orientée vers la mort, mais dirigée
vers la vie, c'est une tentative répétée pour maîtriser une situation
difficile. Les répétitions sont des investissements en vue de l'achèvement
d'une Gestalt, afin de libérer son énergie pour grandir et se développer. Les
situations inachevées ralentissent les rouages, elles bloquent la voie vers la
maturation.
Un des exemples les plus simples
de situation inachevée est la maladie. Une maladie se termine par la guérison,
par la mort ou par une modification de l'organisme.
Le fait que la maladie, forme
faussée de la vie, disparaît avec la guérison ou la mort est une évidence. Et
aussi qu'une maladie, surtout si elle est douloureuse, peut revêtir
l'importance d'une forme chronique, refusant d'être reléguée à l'arrière-plan,
encore moins d'être assimilée et de disparaître en permanence du premier plan.
Le changement se traduit souvent par une modification
de l'organisme.
Une personne presque aveugle
consacrera beaucoup d'efforts à essayer de conserver ou d'améliorer ce qu'il
lui reste de vision. C'est une situation constamment inachevée. Cette personne
est occupée et préoccupée. Vienne la cécité complète, la situation évolue le
plus souvent de façon dramatique. La personne est guérie de l'illusion de
l'espoir. Aux yeux de ses amis, c'est une infirme, mais elle devient elle-même
un organisme différent, vivant dans un Umwelt (environnement) différent,
dépendant d'une orientation différente. C'est un organisme sans yeux, comme
nous sommes des organismes avec deux jambes, et non dix. Ses chances de satisfaction
sont nettement plus grandes. A ce sujet, voir Helen Keller, qui souffrait de
plusieurs infirmités.
Si nous n'exerçons pas de contrôle, si
l'organisme n'est pas dirigé par des ordres, comment sommes-nous capables de fonctionner
? Comment peut se réaliser la coopération de ces milliards de cellules ?
Comment sont-elles capables de pourvoir à leur subsistance et aux autres
exigences de la vie ? Si nous rejetons même la dichotomie esprit/corps, quel
pouvoir miraculeux nous anime ?
Avons-nous en nous un dictateur
qui prend les décisions ? Un conseil qui décide à l'unanimité, un gouvernement
doté du pouvoir exécutif ? Y a-t-il un inconscient, ou des émotions, ou un
cerveau électronique faisant le boulot ? Y a-t-il un Dieu, une âme imprégnant
le corps et prenant à son compte toutes ses exigences et ses buts avec une
sagesse infinie ?
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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