Paul Goodman
Des amis m’ont demandé d’apporter des
approfondissements sur la gestalt-thérapie. J’ai déjà abordé ce sujet à
plusieurs reprises dans ce blog. En voici quelques exemples :
Le livre de référence sur le sujet
est Gestalt-thérapie, nouveauté,
excitation et développement de Frederick Perls, Paul Goodman
et Ralph Hefferline.
L’ouvrage est divisé en deux parties
distinctes. La première partie porte sur l’orientation du moi et se subdivise
en 4 chapitres. Le chapitre 1 définit l’aspect scientifique de la
gestalt-thérapie. Le chapitre 2 présente différentes expériences visant à
développer ou à accroître chez l’individu sa capacité à entrer en contact avec
son environnement. Les chapitres 3 et 4 présentent les différentes techniques
de prise de conscience intégrée du soi. La deuxième partie de l’ouvrage porte
sur la manipulation du moi. On y retrouve également 4 chapitres qui traitent
globalement de 3 types de mécanismes névrotiques à l’origine des troubles
psychologiques vécus par les individus. Ces mécanismes sont : la rétroflexion,
l’introjection et la projection.
La rétroflexion, suite
Théoriquement, le traitement de
la rétroflexion est simple : il faut renverser la direction de l'acte
rétrofléchi de l'intérieur vers l'extérieur. Alors, les énergies de
l'organisme, anciennement divisées, joindront une fois de plus leurs forces et
se déchargeront vers l'environnement. On donne ainsi à l'impulsion bloquée
l'occasion de s'exprimer, entièrement, et d'être satisfaite. Alors, comme c'est
le cas lorsque tout besoin véritable de l'organisme est satisfait, il peut y
avoir repos, assimilation et croissance. En pratique, cependant, l'expression
d'une rétroflexion n'est pas aussi simple. Chaque partie de la personnalité
s'en mêle, comme pour empêcher une catastrophe. L'individu est submergé par
l'embarras, la crainte, la culpabilité et le ressentiment. L'organisme répond à
la tentative de renverser l'auto-agression, de différencier le dictateur des
deux parties de la personnalité, comme si c'était une attaque contre son corps,
sa « nature », sa vie même. À mesure que les parties entremêlées commencent à
se séparer, la personne expérimente une excitation insupportable, qui peut
mener à un autre blocage pour se soulager. Des sentiments inhabituels sont
ressuscités et l'individu doit d'abord s'y habituer et graduellement apprendre
à les tolérer pour pouvoir les réutiliser. Au début, il est anxieux et
préférerait plutôt se retirer dans un état d'inconscience.
L'une des principales raisons de
la crainte et de la culpabilité que fait naître le renversement des
rétroflexions, c'est que la plupart des impulsions rétrofléchies sont des
agressions, de la plus bénigne à la plus cruelle, de la persuasion à la
torture. Laisser le champ libre à ces impulsions est terrifiant. Mais
l'agression, dans le sens large de l'usage clinique, est indispensable au
bonheur et à la créativité. En outre, le renversement de la rétroflexion ne
fabrique pas une agression qui n'était pas là. Elle existait déjà — mais
s'appliquait contre le moi et non contre l'environnement. Nous ne nions pas que
l'agression peut être pathologiquement mal utilisée contre les objets et les
autres personnes, exactement comme elle est mal utilisée quand elle est
toujours dirigée contre le moi. Mais tant qu'on n'est pas conscient de ses
impulsions agressives et qu'on n'apprend pas à les utiliser d'une manière
constructive, elles seront mal utilisées ! En fait, c'est l'acte de les
réprimer — la mise en place et le maintien de l'impitoyable tension musculaire
— qui fait que ces agressions paraissent si inutiles, « antisociales » et
intolérables. Une fois qu'on leur permet de se développer spontanément dans le
contexte de la personnalité totale, au lieu d'être étouffées et réprimées sous
l'emprise inexorable de la rétroflexion, on regarde différemment et plus
favorablement l'agression.
Ce qu'on redoute également en relâchant une impulsion
bloquée, c'est d'être complètement frustré — car la rétroflexion donne au moins
une satisfaction partielle. Un homme pieux, par exemple, incapable de diriger
sa colère contre le Seigneur à la suite de ses déceptions, bat sa coulpe et
s'arrache les cheveux. Cette auto-agression, évidemment une rétroflexion, est
néanmoins une agression et donne une certaine satisfaction à la partie
rétrofléchie de la personnalité. C'est unes agression, primaire, indifférenciée
— une colère rétrofléchie d'enfant —, mais la partie de la personnalité attaquée
est toujours là et vulnérable aux attaques. L'auto-agression peut toujours être
sûre de sa victime !
Si cette rétroflexion était renversée d'un seul coup, la
personne attaquerait alors les autres de façon aussi inefficace et archaïque.
Et elle soulèverait la même contre-agression qui l'a menée à rétrofléchir.
C'est cette réalisation qui rend le renversement même imaginaire des
rétroflexions producteur de tant de craintes. Ce qu'il ne faut pas oublier,
c'est que le changement peut se faire graduellement, par stades. On peut, pour
commencer, découvrir et accepter le fait de « prendre sur soi ». On peut
devenir conscient des émotions de la partie rétrofléchie de la personnalité —
notamment, la joie sinistre qu'on prend à s'autopunir. Quand ce stade est
achevé, c'est déjà un progrès considérable, car l'agressivité est socialement
si mal jugée qu'il est difficile de la reconnaître et de l'accepter même quand
elle épargne les autres et qu'on la dirige uniquement contre soi. C'est
seulement quand elle est acceptée — c'est-à
dire, quand on la reconnaît comme composante existante,
dynamique de la personnalité —, que l'on peut alors la modifier, la
différencier, la rediriger, dans une expression plus saine. Au fur et à mesure
que l'orientation de l'individu dans l'environnement s'améliore, que la
conscience de ce que l'on veut vraiment faire devient plus nette, qu'on fait
des tentatives pour voir ce qui va se passer, les techniques pour exprimer les
impulsions précédemment bloquées se développent aussi. Elles perdent leur
aspect primaire, terrifiant, à mesure qu'on les différencie et qu'on leur donne
l'occasion de rattraper les parties plus mûres de la personnalité. L'agression,
alors, reste toujours agression, mais elle sera au service de tâches plus
utiles et ne sera plus aveuglément destructrice pour soi et les autres. Elle
s'exprimera selon les demandes de la situation au lieu de s'accumuler jusqu'à
ce qu'on ait l'impression d'être assis sur un volcan.
Jusqu'ici, nous avons parlé uniquement de comportements que
l'individu a été incapable de diriger vers les autres et qu'il a en conséquence
rétrofléchis. Les rétroflexions incluent aussi ce qu'on veut des autres, mais
qu'on n'a pas réussi à obtenir. Ce peut être l'attention, l'amour, la pitié,
la punition, presque n'importe quoi ! Un grand nombre de sentiments
originellement donnés par les autres — notamment par les parents —, on se les
donne à soi en grandissant. Cela peut naturel¬lement être très sain, pourvu
qu'on n'essaie pas de s'octroyer ce qui relève en réalité de besoins
interindividuels.
Voilà. C'est tout pour le moment. Amitiés à tous !
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