Christian Rosenkreutz
Cet article est inspiré du livre « Histoire, théories
et pratiques de la Rose-Croix » par Michel Lamy.
A la veille de l'édition des
Manifestes rosicruciens, la crise morale engendre inquiétudes et troubles en
Europe. Chacun aspire à une « nouvelle Réforme ». C'est dans ce contexte que la
Rose-Croix lance son appel en proposant de nouvelles données propres à
restaurer l'harmonie. D'une manière générale, on peut dire que l'ordre de la
Rose-Croix propose l'hermétisme comme solution à la détresse ambiante. Dans ce
but, il fait publier en 1614, à l'imprimerie Wilhelm Wessel de Kassel, un
manifeste anonyme qu'on appelle par commodité Fama Fraternitatis. Cependant, son titre intégral est : Réforme universelle et générale du monde
entier ; avec les échos de la louable Fraternité de la Rose-Croix écrite à tous
les érudits et souverains d'Europe ; également une courte réponse de Monsieur
Haselmayer pour laquelle il a été arrêté et mis aux fers sur une galère.
Aujourd'hui publiée et communiquée à tous les cœurs sincères. Le texte qui
en constitue la partie centrale, la Fama
Fraternitatis, circulait déjà en Allemagne depuis 1610 sous forme
manuscrite. Il sera d'ailleurs le seul à être conservé dans les éditions
modernes de ce manifeste.
Les Nouvelles du
Parnasse
Introduit par une courte préface,
le premier Manifeste rosicrucien se compose de trois textes distincts. Le premier
évoque la nécessité d'une réforme générale du monde. Bien que rien ne
l'indique, il s'agit d'une traduction de l' aduis
soixante-dix-sept du livre de Traiano Boccalini intitulé Ragguagli di Parnaso (Les Nouvelles du Parnasse) et publié à
Venise en 1612. Ce texte est généralement peu connu. Pourtant, il est important
dans la mesure où il place le projet rosicrucien dans son contexte, celui de la
nécessité d'une réorganisation d'une Europe déchirée. Il est donc intéressant
d'en présenter le propos. Son auteur, un ami de Galilée, appartient au courant
antipapal vénitien de Paolo Sarpi. Cet ouvrage satirique utilise la mythologie
pour peindre le climat politique qui règne en Europe. Il critique l'hégémonie
monarchique espagnole des Habsbourg sur l'Europe chrétienne. À plusieurs
endroits, Henri IV apparaît comme un héros, et l'une des scènes de l'ouvrage
insiste sur le désespoir survenu après son assassinat en 1610.
La réforme d'Apollon
L'extrait des Nouvelles du Parnasse qui est traduit
dans la Fama Fraternitatis raconte
qu'Apollon apprit de l'empereur Justinien que les habitants de la Terre
souffraient d'un grand désespoir à cause des querelles incessantes qui les
opposaient les uns aux autres. Apollon, qui pourtant n'avait pas ménagé ses
efforts pour envoyer auprès des hommes d'innombrables guides et philosophes
dans le but de leur enseigner les bonnes mœurs, se décide alors à proposer une
réforme universelle propre à rendre à l'humanité sa pureté primitive. Pour
mener à bien ce projet, il convoque alors au Parnasse les sept sages de la
Grèce, ainsi que Caton, Sénèque et d'autres. Chacun y fait ses propositions.
Thalès, qui estime que l'hypocrisie et la dissimulation sont la cause
principale des maux de l'humanité, suggère de percer une petite fenêtre dans le
cœur des hommes pour imposer la candeur et la transparence dans leurs
relations. Aussitôt, quelqu'un pose une objection : si chacun peut lire dans le
cœur des princes qui dirigent ce monde, il deviendra impossible de gouverner !
La proposition de Thalès est aussitôt abandonnée.
Solon pense que les désordres
sont provoqués par les haines et les jalousies qui sévissent parmi les hommes.
Il conseille donc de répandre la charité, l'amour et la tolérance entre eux. Il
ajoute que si les biens étaient plus équitablement répartis, les choses iraient
beaucoup mieux. Là encore, les critiques s'élèvent et les sages du Parnasse
crient à l'utopie. Caton propose une solution extrême : un nouveau Déluge pour
supprimer d'un seul coup tous les « méchants ». Finalement, après que tous
aient exposé leurs idées, le projet de réforme universelle d'Apollon se solde
par une réglementation du prix des légumes et des anchois. Par cette satire,
Traiano Boccalini montre combien les institutions, qu'elles soient religieuses,
politiques ou philosophiques, sont incapables de faire évoluer les choses.
La Fama Fraternitatis
Au pessimisme de ce texte qui
désespère de voir aboutir une réforme propre à ramener la quiétude en Europe
succède l'optimisme du premier Manifeste rosicrucien. En effet, après le texte
de Traiano Boccalini vient la Fama
Fraternitatis proprement dite, un écrit assez court dans la mesure où il ne
représente qu'une trentaine de pages sur un livre qui en compte cent quarante-sept
au total. Malgré son petit volume, il constitue le cœur du premier Manifeste
rosicrucien. Ici, les Frères de la Fraternité de la Rose-Croix s'adressent aux
dirigeants, aux religieux et aux scientifiques européens. Après avoir salué
l'époque heureuse qui a vu tant de découvertes apportées par des esprits
éclairés, ils soulignent qu'elles n'ont malheureusement pas apporté à l'humanité
la lumière et le bien-être auxquels elle aspire. Ils blâment des hommes de
science, plus préoccupés par leurs succès personnels que par le fait de mettre
leurs compétences au service de l'humanité. De même, ils montrent du doigt ceux
qui s'accrochent aux vieilles doctrines, les tenants du pape, de la philosophie
d'Aristote et de la médecine de Galien, ceux qui refusent de se remettre en
question. Les Frères de la Rose-Croix évoquent l'opposition qui règne entre
théologie, physique et mathématiques. Cette position n'est pas sans évoquer la
manière dont Henri Corneille Agrippa définissait ce qu'il présentait comme la
véritable science : la magie. En effet, au début du premier livre de son De Occulta Philosophia, il présente
cette dernière comme l'accomplissement de toutes les sciences, puisque toute
philosophie se divise en trois branches de savoir qui se complètent : physique,
mathématiques et théologie. Après cet « état des lieux » de leur époque, les
Frères de la Rose-Croix proposent d'offrir à leurs contemporains une
connaissance régénératrice. Cette connaissance aux axiomes infaillibles leur
vient du père C. R., le fondateur de leur fraternité, qui posa jadis les bases
d'une réforme universelle.
Qui est donc ce personnage
étrange ? C'est ce que raconte la suite de la Fama Fraternitatis. Il s'agit de , un jeune
Allemand (la Confessio Fraternitatis
nous apprendra qu'il est né en 1378). À
l'âge de seize ans, il accompagne un frère du couvent chargé de son éducation à
un pèlerinage au Saint-Sépulcre de Jérusalem. Ce périple vers l'Orient sera
pour lui un véritable voyage initiatique. Son compagnon meurt à Chypre. La
mythologie fait de cette île le lieu de la naissance d'Aphrodite (Vénus), dont
l'union avec Hermès donna naissance à Hermaphrodite, un enfant androgyne. Cette
allusion à Chypre dans la biographie de Christian Rosenkreutz n'est pas dénuée
de connotation alchimique. Elle annonce déjà des thèmes qui seront développés
dans les Noces chymiques de Christian
Rosenkreutz.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous !
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