Je viens de lire un livre que
j’ai trouvé à la fois formidablement bien écrit, original et passionnant. Je
voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit
de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de
celui-ci.
Voici le résumé de l’ouvrage.
Ma troisième objection c'est que
ces percées violentes extériorisent, désavouent et projettent un matériau
qui pourrait être assimilé et devenir partie
intégrante du moi. Ils ne font que favoriser les tendances paranoïaques. En
d'autres termes, le matériau qui résulte de ces expulsions est toujours vécu
comme corps étranger. Rien n'a été changé que le théâtre des événements. La
possibilité de devenir adulte et en bonne santé a été escamotée.
Cependant, comparées avec
l'importance de l'énorme pas fait vers l'approche holistique, ces objections
sont de peu d'importance.
Il n'en est pas de même de
l'invention de l'orgone, due à l'imagination de Reich qui, à cette époque,
s'était égarée.
Je peux comprendre ce qui s'est
passé. Ayant fait de la notion de résistance une réalité vérifiable, il lui
fallait faire la même chose avec le thème essentiel de Freud, la libido.
Les résistances existent
vraiment, il n'y a pas de doute à cela. Mais la libido était et reste une
énergie hypothétique inventée par Freud pour expliquer son modèle de l'homme.
Reich s'est hypnotisé lui-même et a hypnotisé ses patients à croire à
l'existence de l'orgone en tant qu'équivalent physique et visible de la libido.
J'ai examiné le fonctionnement de
la « boîte à orgone » avec nombre de ses possesseurs, et chaque fois,
invariablement, j'y ai trouvé le leurre d'une suggestibilité que je pouvais
orienter comme je le voulais. Reich mourut en prison plutôt que de renoncer à
ses idées fixes. L'enfant terrible de l'Institut de Vienne ne se révéla un
génie que pour s'éclipser lui-même en tant que « savant fou ».
Quant à ma quatrième déception,
ma rencontre avec Freud, il est plus difficile d'en parler. Mais non, ce n'est
pas vrai. Je prévoyais que décrire cette rencontre serait plus difficile parce
que, durant ma période exhibitionniste, j'en parlais souvent en termes vagues
et faisais semblant d'en savoir plus long sur Freud que ce n'était précisément
le cas. Le fait est que, sauf en ce qui concerne S. Friedlander et K.
Goldstein, mes rencontres avec des gens aussi importants qu'Einstein, Jung,
Adler, Jan Smuts, Marlène Dietrich et Freud ont été des rencontres
accidentelles. Accidentelles et pour la plupart sans résultat, mais qui me
donnaient prétexte à vantardise et le moyen d'impressionner indirectement mon
auditoire en me gonflant d'importance. Éclat qui obscurcit souvent la vision et
le jugement.
J'ai passé un après-midi avec
Albert Einstein : simplicité, chaleur humaine et fausses prédictions
politiques. Mon embarras se dissipa assez vite, un plaisir rare pour moi à
cette époque. J'aime encore à citer une de ses remarques : « Deux choses sont infinies,
l'univers et la bêtise humaine, encore n'en suis-je pas tout à fait sûr en ce
qui concerne l'univers. »
Ma rencontre avec Sigmund Freud,
en revanche, se trouva être ma quatrième déception de 1936.
J'avais déjà été à Vienne en
1927, sur les conseils de Clara Happel. J'avais été en psychanalyse avec elle,
à Francfort, pendant près d'un an. Un jour, à ma grande surprise, elle me
déclara que mon analyse était terminée et que je devais aller à Vienne soigner
des malades sous la direction d'un psychiatre confirmé.
J'étais heureux, mais sceptique.
Je ne pensais pas en avoir fini avec cette analyse, et le fait que le verdict
tombait au moment où mon argent s'épuisait ne pouvait que me laisser perplexe.
C'est cette année-là que j'avais
rencontré Lore. Sans doute lui étais-je apparu, à elle et à quelques autres à
l'université, comme un célibataire d'âge à se marier. Il était temps d'échapper
aux tentacules de la pieuvre menaçante du mariage. Je n'avais pas pensé une
seconde que Lore me rattraperait partout où j'irais.
Vienne, ville de mes rêves, ou,
devrais-je dire, de mes cauchemars ?
J'allai à Vienne sans argent. Je
n'avais pas de fortune personnelle et ne gagnais pas grand-chose. Quand j'avais
de l'argent, j'aimais le dépenser, et, quand je n'en avais pas, je vivais de
rien. Clara Happel ne m'avait pas guéri, et je lui en suis reconnaissant, de ma
nature inquiète de bohémien. Je pris une chambre meublée à bas prix dans
l'Eisengasse, que j'abandonnai bien vite pour -deux raisons. D'abord, il y
avait un cafard mort dans mon lit, fait qui ne m'eût pas tracassé en soi. Mais
la famille du défunt, venue nombreuse exprimer son chagrin, non, non, non !
Et puis, le verdict de ma
propriétaire :
« Pas
de femmes dans votre chambre après dix heures. »
« Mais
pourquoi justement dix heures ? »
« Avant
dix heures il se passerait peut-être quelque chose, mais après dix heures,
sûrement. »
Il n'y avait pas d'argument
contre ce genre de raisonnement. Freud appelait ça : Suppen Knödellogik-Matzohballogik.
Je trouvai Vienne plutôt
déprimante.
A Berlin j'avais beaucoup d'amis
et m'intéressais à beaucoup de choses passionnantes. Nous pensions, fous que
nous étions, que nous pourrions construire un monde nouveau sans guerres. A Francfort,
j'avais le sentiment d'appartenir, pas complètement mais un peu en marge, au
groupe existentiel de la Gestalt qui avait là un centre. La psychanalyse avec
Happel était plutôt une obligation, une idée fixe, une régularité
contraignante, avec quelques expériences — mais peu nombreuses.
A Vienne, tout tournait pour moi
autour de la psychanalyse. Je tombai légèrement amoureux d'une splendide et
jeune doctoresse qui suivait là sa formation. Elle était, comme toute la clique
freudienne, bourrée de tabous. C'était comme si tous les hypocrites catholiques
viennois avaient colonisé les praticiens de la « science juive ».
J'ai du mal à parler de cette
année à Vienne. Je viens d'écrire les quinze dernières pages sans effort, entre
deux séminaires. Finalement, écrire m'a passionné tellement que cela semble
m'avoir complètement absorbé. Je m'aperçois que j'ai parlé plusieurs fois de
centre. Jusqu'à présent, la dernière semaine d'écriture semble constituer mon
centre, l'intérêt se déplaçant, des prises de vues et des enregistrements que
j'ai faits, vers l'expression personnelle. Je n'écris plus en vers. Ha ! Pas
vrai, pas complètement. Voici une contradiction intéressante : mon mépris de la
poésie s'atténue. Je vis Esalen, notre belle résidence, et mes étudiants (j'ai
un séminaire qui va durer quatre semaines) en poète. Je n'éprouve pas le même
sentiment à l'égard du passage biographique actuel. La semaine dernière, j'ai
écrit un poème pour les filles qui travaillent à la réception, et je ne
considère pas que cela soit de la poésie. Il me vient de temps en temps à l'imagination
un poème sur l'opposition mort/agonie. Cela serait digne de servir de thème de
poésie. Pourtant les vers que j'ai écrits pour ces filles, toujours submergées
de visiteurs et de questions sans fin, étaient amusants à écrire. Nous les
avons même utilisés pour le film « Fritz » que Larry Booth est en train de
tourner. Qui plus est, j'ai été content de voir les rushes du film : bonne
prononciation, sentiment, et mon affreux accent berlinois pas trop sensible.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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