Je viens de lire un livre que
j’ai trouvé à la fois formidablement bien écrit, original et passionnant. Je
voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit
de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de
celui-ci.
Voici le résumé de l’ouvrage.
Pour comprendre mon appréciation
de Reich, il nous faut d'abord revenir à l'analyste que j'avais avant lui, un
Hongrois nommé Harnick. J'aimerais pouvoir décrire tant soit peu l'état de stupidité et de lâcheté morale dans lequel
m'avait plongé son prétendu traitement. Peut-être cela n'entendait-il pas
être un traitement. Il se peut que cela ait été une analyse didactique destinée
à me préparer pour le rôle d'analyste accrédité. Cela n'a jamais été précisé.
Tout ce qui a été affirmé, c'est qu' « un thérapeute doit être libéré des
complexes, de l'angoisse et de la culpabilité ». J'ai entendu dire plus tard
que Harnick était mort dans un asile
d'aliénés. Je ne saurais dire si la psychanalyse y fut pour quelque chose.
Il croyait à l'analyse passive.
Cette expression contradictoire veut dire que pendant dix-huit mois, cinq fois
par semaine, je me suis allongé sur son divan sans être analysé. Il ne me
serrait jamais la main ni quand j'arrivais ni quand je partais, alors que c'est
en Allemagne un geste naturel. Cinq minutes avant la fin de l'heure, il
grattait le sol du pied pour signaler que le temps qu'il m'accordait venait à
expiration.
Il prononçait tout au plus une
phrase par semaine. Au début, il me dit que je lui apparaissais comme un homme
à femmes. A partir de là, le sentier était tout tracé ! Le vide que j'éprouvais
dans ma vie de divan, je le remplis du récit de mes amours, pour étayer l'image
à la Casanova qu'il s'était faite de moi. Pour conserver l'allure, il me
fallait raconter de plus en plus d'aventures, imaginaires pour la plupart. Au bout d'un an environ, j'eus envie de
me dégager de lui. J'étais moralement trop lâche pour présenter une demande
directe. Après l'échec de mon analyse avec Clara Happel, quelles seraient mes
chances de jamais devenir analyste ?
A cette époque, Lore me poussait
au mariage. Je savais que je n'étais pas le genre à me marier. Je n'étais pas follement amoureux d'elle,
mais nous avions beaucoup d'intérêts communs,
et souvent de bons moments. Lorsque j'en parlai à Harnick, il me répondit par
le truc psychanalytique classique : « Vous n'êtes pas autorisé à prendre de
décisions importantes pendant le cours de votre psychanalyse. Si vous vous
mariez, j'arrête votre analyse. » Trop lâche pour prendre sur moi d'interrompre
les séances, je lui en laissai la responsabilité et échangeai la psychanalyse
contre le mariage.
Mais je n'étais pas prêt à
abandonner la psychanalyse. Toujours hanté par l'idée fixe que c'était moi qui étais perturbé ou stupide, je
m'adressai à Karen Horney, une des rares personnes en qui j'avais vraiment
confiance. C'est elle qui décida : « Le seul analyste qui pourrait à mon avis
parvenir à communiquer avec vous, c'est Wilhelm Reich. » Ainsi commença le
pèlerinage vers le divan de Reich !
Eh bien, cette nouvelle année de
divan fut fort différente ! Reich était un insurgé plein de vitalité, de
personnalité. Il ne demandait qu'à discuter de n'importe quelle situation,
surtout politique ou sexuelle, et pourtant, bien entendu, il pratiquait
toujours l'analyse et joua à remonter jusqu'aux origines génétiques. Mais avec
lui l'importance des faits commence à s'estomper. L'intérêt se porte davantage
sur les attitudes et passe au premier plan. Son livre, L’analyse caractérielle, est une
œuvre de base.
A ses séminaires j'ai rencontré
quelques personnes charmantes qui, par la suite, sont devenues de bons
psychothérapeutes, tels que Helmuth Kaiser. Puis Hitler frappa. Reich aussi dut
partir en hâte vers la Norvège. Dès lors, il semble être devenu assez bizarre.
Je n'ai gardé le contact avec lui qu'à travers un de ses livres traduit par une
de mes étudiantes sud-africaines, Sylvia Beerman. Je ne le revis qu'au Congrès
de 1936, où il fut ma troisième déception. Il s'assit loin de nous et me
reconnut à peine, les yeux dans le vague et noyé dans ses pensées.
Je perdis de nouveau le contact
avec lui, jusqu'à ce que je lui rende visite, dix ans plus tard, à mon arrivée
aux États-Unis. Il me fit vraiment peur. Il était enflé comme un crapaud-buffle,
le visage dévoré par l'eczéma. Sa voix retentissante prit un ton pompeux pour
me demander avec incrédulité : « Vous n'avez pas entendu parler de ma
découverte, l'orgone ? » Alors je me suis renseigné. Et voici ce que j'appris :
Sa première découverte, la
cuirasse musculaire, avait été un pas important au-delà de Freud. Elle avait
ramené à la réalité la notion abstraite de résistance. Les résistances
devenaient alors des fonctions organiques totales, et la résistance anale, le
cul constipé, dut renoncer à son monopole sur les résistances.
Un autre pas qui nous éloigna du
divan fut accompli lorsque le thérapeute entra en contact pour de bon avec le
patient. Le « corps » obtint ses droits. Plus tard, lorsque je travaillai avec
des malades qui avaient été soignés par des élèves de Reich, je trouvai chez
eux des symptômes paranoïdes, quoique peu graves, et dont on venait facilement
à bout. Je jetai alors un autre coup d'œil sur la théorie de la cuirasse et je
me rendis compte que l'idée de cuirasse en elle-même était une forme paranoïde,
car elle suppose une attaque de la part de l'environnement et une défense
contre cette attaque. Cette cuirasse musculaire joue en fait le rôle d'une
camisole de force, d'une sauvegarde contre les explosions de l'intérieur. Les
muscles ont assumé une fonction implosive.
Ma deuxième objection à la
théorie de la cuirasse, c'est qu'elle renforce la théorie aristotélo-freudienne
de la défécation. « Les émotions sont gênantes. Une catharsis est nécessaire
pour libérer l'organisme de ces perturbateurs de l'ordre. »
La nature n'est pas assez
prodigue pour créer des émotions qui soient gênantes. Sans émotions, nous sommes des machines coupées de tout, nous nous
ennuyons à mourir.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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