mardi 28 mars 2017

Compte rendu de "L'art et la science de se souvenir de tout" de Joshua Foer (dixième partie).




Tony Dottino.


Récemment est paru en livre de poche L’art et la science de se souvenir de tout qui est en fait le même livre que l’ouvrage en grand format Aventures au cœur de la mémoire (tous les deux la traduction de Moonwalking with Einstein).

Aventures au cœur de la mémoire est un livre référence dans le monde de la mémoire. Il y est question de l’histoire de la mémoire et de la mnémotechnie, de la naissance des Mémoriades, les Championnats du monde de mémoire, en 1991, mais surtout de la manière dont un journaliste indépendant, Joshua Foer, est devenu champion de mémoire des États-Unis en 2006 alors qu’il ne savait même pas ce qu’était une technique de mémorisation un an auparavant !

Joshua Foer le présente ainsi: « Tony Dottino prit place sur l'estrade pour son discours d'introduction. C'est lui qui a fondé le championnat des États-Unis de mémorisation en 1997, et le dirige depuis lors. Disciple de Tony Buzan, âgé de cinquante-huit ans, mince, cheveux argentés et petite moustache, il gagne sa vie en conseillant des compagnies comme IBM, British Airways et Con Edison (d'où l'improbable site d'accueil du championnat) sur la façon d'améliorer la productivité de leurs employés grâce aux techniques de mémorisation.

« Vous, mesdames et messieurs, vous montrez aux gens de ce pays que l’entraînement de la mémoire n’est pas une activités de geeks, déclara-t-il aux geeks rassemblés devant lui. Vous êtes les modèles qu'un jour tout le monde imitera. Nous n'en sommes encore qu'à l'enfance de cette nouvelle ère. Et c'est vous (il pointa les deux index en direction du public), c'est vous qui en faites l'histoire ! » Je tournai le dos, remis mes bouchons d'oreilles et fis un dernier tour dans mes palais. Je vérifiai, suivant le conseil d'Ed, que toutes les fenêtres étaient ouvertes et qu'un beau soleil de milieu de journée entrait dans chaque pièce, afin que mes images soient aussi claires que possible.

Le panel des héros qui devaient « faire l'histoire » du perfectionnement de la mémoire se composait de trois douzaines d'athlètes mentaux venus de dix États différents — dont un pasteur luthérien du Wisconsin, T. Michael Harty, et une demi-douzaine d'ados du Dixième talentueux de Raemon Matthews. Il y avait aussi Paul Mellor, un mnémoniste professionnel de Richmond, en Virginie, qui avait couru le marathon dans chacun des cinquante États américains et qui avait formé un groupe de policiers du New Jersey, la semaine précédant le championnat, à mémoriser rapidement des numéros de plaques minéralogiques.

Les concurrents dont Dottino avait prédit qu'ils étaient susceptibles de décrocher le titre, les gros calibres de la mémoire, furent installés aux tables dans le fond de la salle. Je me sentis flatté d'être compté parmi eux, même si c'était pour me voir attribuer le dernier siège de la rangée. (J'avais discuté avec Dottino plusieurs fois au cours de l'année et je l'avais tenu au courant de l'évolution de mes scores d'entraînement ; il savait que j'avais une chance de l'emporter.) Parmi mes voisins se trouvait un ingénieur informaticien âgé de trente ans, venu de San Francisco, qui s'appelait Chester Santos mais portait le nom de guerre de « Ice Man » — un pseudo qui collait mal avec son caractère plutôt timide et son embonpoint. Il avait terminé à la troisième place en 2005. Je me doutais bien qu'il ne m'aimait pas beaucoup.


Près d'un an plus tôt, Dottino m'avait transféré un e-mail que Chester lui avait envoyé après la publication dans Slate de mon article sur le championnat. « Ice Man » s'y plaignait que mon papier était « HORRIBLE » parce que je présentais Lukas et Ed comme des types « formidables » tandis que les concurrents américains passaient pour « des amateurs et des gros flemmards ». Que j'aie ensuite l'impudence de participer contre lui à la compétition après une seule année d'entraînement tenait de l'insulte suprême.


Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous !

Compte rendu de "La Phoenix seu artificiosa memoria" de Pierre de Ravenne.



 

 Un ouvrage déterminant sur l'histoire de la mnémotechnie.



Le célèbre Pierre de Ravenne (Pietro Tommai), (1448-1518)  auteur d’un petit traité de mémoire artificielle,  La Phoenix seu artificiosa memoria, (Venise, 1494), qui aura un grand retentissement et ne sera pas sans influence sur Giordano Bruno, affirmait pouvoir disposer de plus de cent mille lieux qu’ils s’étaient construits afin de dépasser quiconque dans la connaissance des écritures saintes et du droit. Il écrivait ainsi : « Lorsque je quitte ma patrie pour visiter en pèlerin les villes d’Italie, je peux dire véritablement « Omnia mecum porto », et cependant je n’arrête pas de construire des lieux pour la mémoire. » Devant son maître de jurisprudence, Alessandro Tatagnii di Imola, à l’Université de Pavie, Pierre de Ravenne, à peine âgé de vingt ans, s’était montré en mesure de réciter par cœur « totum codicem juris civilis », texte et commentaires, et de répéter mot pour mot les leçons d’Alessandro. Plus tard, à Padoue, il avait stupéfié le chapitre des chanoines réguliers, en récitant par cœur les sermons entendus une seule fois. 

Il parle de son habileté à plusieurs reprises dans des pages où il où il associe une subtile « propagande » au désir manifeste de susciter l’admiration dans l’esprit de ses lecteurs : « L’université de Padoue m’en est témoin : je lis chaque jour, sans avoir besoin d’aucun livre, mes leçons de droit canon, exactement comme si j’avais mon livre devant mes yeux, je me rappelle par cœur le texte et les commentaires et je n’omets pas la moindre syllabe… J’ai placé sur dix-neuf lettres de l’alphabet vingt mille passages de droit canon et de droit civil et, dans le même ordre, sept mille passages des livres saints, mille chants d’Ovide… deux cents sentences de Cicéron, trois cents maximes de philosophie, la plus grande partie de l’œuvre de Valère Maxime. » 

Moins suspect que celui de l’intéressé apparaît le témoignage d’Eléonore d’Aragon, qui appelait toute la ville de Ferrare à témoigner de la prodigieuse mémoire de Pierre de Ravenne, ou celui de Bonifacio del Monferrato qui, après avoir constaté son extraordinaire faculté, le recommandait aux rois, aux princes, « aux magnifiques capitaines » et aux nobles italiens.

L’immense réputation dont jouit en Italie et en Europe cette figure singulière de juriste était due, plus qu’à ses indéniables connaissances juridiques, au fait qu’il se présentait comme la preuve vivante de la validité d’un « art » sur lequel se portaient tous les espoirs et les aspirations de bien des gens. Professeur de droit à Bologne, Ferrare, Padoue, Pietro Tommai contribua assurément à propager dans toute l’Italie l’intérêt pour l’ars memorativa.

Il fit une grande tournée en Europe, mais, accusé de « comportements peu corrects », il revint en Italie. La notoriété de ce personnage aura d’importantes conséquences : son livre sur la mémoire artificielle, La Phoenix seu artificiosa memoria, exercera une très grande influence sur toute la production ultérieure de la mnémotechnie. Il fut traduit en allemand, en français, en anglais et influença pour ainsi dire tous les grands mnémotechniciens qui suivirent.

L’ouvrage est construit suivant les canevas habituels de la tradition. Cependant, Pierre de Ravenne se soucie davantage de la fonction exercée par les images que des règles concernant la recherche des lieux. Pour être vraiment efficaces, celles-ci doivent se présenter véritablement comme des « excitants » de l’imagination  (et pour exciter l’imagination, Pierre de Ravenne est le seul mnémotechnicien que je connaisse  qui utilise des images de jeunes femmes !) : « Je place habituellement dans les lieux de très belles jeunes filles qui excitent fort ma mémoire…. Et crois-moi : si j’utilise comme images de très belles jeunes filles, je retrouve plus facilement et plus régulièrement les notions confiées aux lieux. Tu possèdes désormais un secret très utile à la mémoire artificielle, un secret que j’ai longtemps tu par pudeur ; si tu veux te souvenir très vite, place dans les lieux de très belles vierges ; en effet, la mémoire est merveilleusement bien excitée par le recours aux jeunes filles… Ce précepte ne sera d’aucun profit à ceux qui détestent et méprisent les femmes et ceux-là éprouveront les plus grandes difficultés à recueillir les fruits de cet art. Que me pardonnent les hommes chastes et religieux ; j’avais le devoir de ne pas taire une règle qui m’a procuré dans cet art louanges et honneurs et je veux de toutes mes forces laisser d’excellents successeurs. »

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.