Le Bouddha atteint l’Eveil sous
un figuier après une longue méditation (Dhyâna), la septième observance du
Raja-Yoga (Yoga Royal)
II) Le Yoga de la connaissance, Jñana Yoga
Le yoga de la connaissance est un
yoga basé sur le discernement et la connaissance des textes sacrés.
A) Il y a quatre qualifications préalables requises pour ce yoga qui
semblent presque être bouddhistes :
1) Le yogi doit faire
la discrimination entre ce qui est
permanent et impermanent. La réalité empirique, quotidienne, est soumise à
un changement incessant. Ce qui est à un moment, et n’est plus à l’instant
d’après, ne saurait être réel. Dans le bouddhisme,
une des trois caractéristiques des phénomènes est l’impermanence : tout est constamment
changeant, tout est flux, rien n'est figé une fois pour toutes.
2) Le détachement.
Le yogi doit avoir un désintérêt profond pour tous les objets de
jouissance, étant donné leur caractère impermanent (troisième noble vérité du bouddhisme).
3) Le Yoga de la
connaissance demande de posséder ces six
trésors : a) calme de l’esprit (pensée
juste), b) maîtrise de soi (parole
juste, action juste), c) cessation de toute activité en vue d’un but
intéressé (moyens d’existence justes),
d) endurance (courage et patience pour poursuivre son effort malgré les
difficultés et les obstacles) (effort
juste), e) complète concentration et stabilité de l’esprit (attention juste), f) foi venant d’ une
adhésion délibérée de l’entendement à la vérité telle qu’elle est exposée dans
les textes sacrés et d’une ferme conviction dans la possibilité d’atteindre
soi-même la Délivrance.
4) L’intense aspiration à la Délivrance.
Attention, cette
notion est très importante :
le yogi doit posséder le désir ardent de
s’affranchir de toutes les formes de servitude pour parvenir à la
Délivrance.
B) Le but : devenir un délivré-vivant.
Celui qui possède les
qualifications que l’on vient de voir et qui se concentre uniquement sur la
Connaissance peut devenir un délivré-vivant.
Le délivré-vivant est un peu comme un Bouddha.
Bien que demeurant en contact avec son corps, qui continue à vivre, il n’est
nullement déterminé par les conditionnements qui en découlent. Sa mort (comme
le Parinirvâna en Bouddhisme) ne
touche pas plus le délivré que la chute d’une feuille n’affecte l’arbre en
automne.
III) Le Samkhya
Dès ses plus anciennes
formulations dans les Upanishad, dans l’épopée La Bhagavad Gita, dans les Yoga Sutra et leurs commentaires, le
Yoga se présente comme étroitement lié à un autre « point de vue »
(darsana) traditionnel, au Samkhya. Celui-ci établit des principes sur lesquels
le Yoga fonde sa pratique et définit avec clarté le but que le Yoga se donne
pour cible, de sorte que toutes les disciplines que propose le Yoga sont dépourvues
de sens si l’on ne comprend pas la cosmologie, la psychologie et la doctrine du
Salut fournies par le Samkhya. Lui et le Yoga, que l’on tient pour les deux
plus anciens enseignements (Le Mahabharata les appelle « les deux
doctrines éternelles ») sont souvent considérés comme les deux aspects,
l’un théorique, l’autre pratique, d’une même doctrine. Cependant, il se trouve que maints concepts développés
par la suite par les bouddhismes ressemblent furieusement à l’enseignement du
Samkhya. Détaillons-les !
A) Insatisfaction de la condition humaine ordinaire
Nous vivons tous une triple
misère existentielle :
1) celle qui provient
de soi-même, essentiellement la souffrance mentale : a) Obtenir ce qu’on n’aime
pas, b) ne pas obtenir ce qu’on aime, etc.
2) celle qui provient
des autres êtres : a) morsure du serpent, agression du loup qui a faim, b)
haine ou jalousie de la part des autres, c) perte des personnes chères.
3) celle qui vient du
ciel : a) sécheresse, cyclone, catastrophes naturelles, etc. b) influences
planétaires.
Les moyens de salut
fournis par la religion officielle, rituelle et sacrificielle, sont considérés
par le Samkhya comme insuffisants. Pour lui,
« l’éternité » proposée par différentes croyances est elle aussi
impermanente du fait qu’il y aura encore après des renaissances perpétuelles (transmigrations, cycle ininterrompu des actes et de leurs conséquences :
karma).
De plus, la misère
existentielle demeure exactement semblable dans l’opulence et la richesse.
L’homme, même quand tous ses besoins et ses troubles physiques, mentaux, moraux
et financiers ont été éliminés, demeure avec une sorte d’inquiétude et
d’agitation intérieure, une instabilité, une insatisfaction, un manque, quelle
que soit l’ampleur de ses succès extérieurs.
Ces considérations
correspondent exactement à la première noble vérité du bouddhisme : tout
est souffrance (dukkha) que je développerai plus tard.
Les bouddhistes croient
aussi comme les hindouistes à la
réincarnation, mais avec une variante, cela s’appelle la métensomatose ; leur réincarnation est physique et non psychique : l’ancien corps
transmet au nouveau corps certains de ses éléments. Il y a cependant une
exception à cette doctrine dans le bouddhisme tibétain avec les Tulkous, personnalités
religieuses (lamas en général) reconnues
comme réincarnations d'un maître ou d'un lama disparu.
B) L’ignorance
Dans l’état actuel des
choses, la seule raison qui, pour le Samkhya, puisse expliquer pourquoi les
âmes, essentiellement libres, sont entraînées et enchaînées dans le cycle des
renaissances perpétuelles, est l’ignorance. Etant avant tout un système pour parvenir au Salut, le Samkhya ne cherche pas à savoir qui a causé cette ignorance,
mais comment y mettre fin. Un homme en train de se noyer ne réfléchit pas sur
la nature du faux mouvement qui l’a précipité dans l’eau mais ne pense qu’aux
moyens par lesquels il peut être sauvé. Pour les hindouistes, ce qui transmigre
est le corps subtil et il faut donc agir sur son karma (voir paragraphe
suivant).
Précisons en passant,
que comme je l’ai déjà noté plusieurs fois, un des trois poisons pour le bouddhisme est l’ignorance.
C) Le karma
La notion de karma
existe à la fois dans l’hindouisme et le bouddhisme.
Les hindous croient au cycle des morts et des
renaissances. Cinquante-deux millions de naissances sont nécessaires avant de
renaître comme un humain. Une fois la naissance humaine acquise, il ne faut pas
la gaspiller en se faisant du mauvais karma, car cela engendrerait une réincarnation rétrograde.
Le karma de chacun
est de bien faire son devoir sans en chercher les fruits (« Ainsi, l’homme doit agir par sens du devoir, détaché du fruit
de l’acte, car par l’acte libre d’attachement, on atteint le Suprême », Bhagavad-Gîtâ, III, 19). La vie humaine, dans
l'hindouisme, donne l'opportunité de se libérer du cycle du karma. Le karma
acquis n’est véritablement déterminant
qu’à cinquante pour cent dans notre vie, le reste est liberté. L’état de
libération de ce cycle du karma est appelé nirvana ou moksha.
C’est donc par compréhension de cette loi
impersonnelle, et dans son propre intérêt, que l’hindou s’abstient d’actes aux
conséquences nuisibles, et non par considération d’un «autre», un Dieu
quelconque garant de l’ordre spirituel.
Dans le bouddhisme, tout résultat est issu de causes (Karma)
qui ont la capacité de le produire. Si on plante des pépins de pomme, c'est un
pommier qui poussera, pas du piment rouge.
De la
même manière, si nous agissons de manière positive, le bonheur s'en suivra; si
nous agissons de manière destructrice, il en résultera des problèmes. Tout
bonheur et toute chance qui nous arrivent dans nos vies viennent de nos propres
actions positives, tandis que nos problèmes résultent tous de nos propres
actions destructrices.
Les
graines de nos actions restent avec nous d'une vie à la suivante et ne se
perdent pas. Mais si nous ne créons pas la cause ou le karma de
quelque chose, nous n'en récolterons pas les résultats : si un fermier ne sème
pas, rien ne poussera.
D) Méthodes du Samkhya
1) Ce que le disciple doit faire :
a) Une étude
intellectuelle de la vérité.
b) Une réflexion
permanente sur les principes de la doctrine.
2) Ce qu’il faut éviter
a) Se reposer sur la
Nature elle-même, attendre qu’elle fasse tout le travail pour faire surgir la
connaissance libératrice.
b) Se fier aux moyens
extérieurs : se comporter comme un ascète ne produit pas la Délivrance.
c) Compter sur le
temps. Surtout ne pas dire : « Bah ! Avec le temps,
j’obtiendrai bien la Délivrance. A quoi bon l’étude des principes ? ».
Celui qui pense que la Délivrance viendra d’elle-même, dans son propre temps,
lui non plus, ne l’atteint pas.
d) S’accommoder de son
état en pensant que la Délivrance est une question de chance, qu’elle vient
parfois tôt, parfois tard, avec ou sans effort, selon la chance de chaque
individu. Pour celui qui se satisfait ainsi, il n’est pas de délivrance.
En résumé, la seule
voie indiquée par le Samkhya est la
méditation ininterrompue sur les principes de la doctrine, grâce à l’enseignement oral de maîtres, avec le support de textes traditionnels et l’aide d’amis authentiques qui ont compris
la vérité.
Mais cette pratique est justement celle du Centre bouddhiste Triratna de Paris : toute soirée de la Sangha (communauté) comporte une longue méditation, la plupart du temps
la lecture d’un texte sacré (par exemple récemment le « Kalama
Sutta : Discours aux Kalamas », Anguttara Nikaya III, 65, texte de la
corbeille Tipitaka, partie consacrée aux sermons de Bouddha : « Sutta
Pitaka » du bouddhisme Theravada) et son commentaire, puis un échange sur
un thème avec des membres ordonnés et des amis spirituels (que l’on connaît au
fur et à mesure des cours et des soirées).
In fine, un érudit m’a expliqué
qu’en fait, si, entre le bouddhisme et l’hindouisme, le but n’est pas exactement
le même, la Sādhana, la réalisation, exécution quotidienne,
pouvait être presque semblable.
Voilà. C’est tout pour
aujourd’hui. Je désirais cette mise au point pour montrer que beaucoup de
religions sont proches l’une de l’autre. La suite au prochain numéro comme dans
les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées
américaines modernes. Amicales salutations.