lundi 21 août 2017

« Le Théâtre de la Mémoire » de Giulio Camillo (sixième partie).



Le Pimandre.

Je me suis rendu compte, plusieurs semaines après avoir écrit mon article « Histoire de la Mnémotechnie : Moyen Age, Renaissance & Dix-Septième siècle » que j’avais oublié de mentionner le travail de Giulio Camillo (1480-1544), un érudit italien, qui a consacré toute sa vie à la fabrication d’un édifice qu’il appela le Théâtre de la Mémoire et qui était un gigantesque théâtre décoré d’images, conçu afin de mémoriser l’ensemble des connaissances de l’époque.
Vers la fin de sa vie, Camillo consacra sept matinées à dicter à Girolamo Muzio une esquisse de son Théâtre. Après sa mort, le manuscrit passa entre d’autres mains et il fut publié à Florence et à Venise en 1550 sous le titre L'Idea del Theatro dell' eccellen. M. Giulio Camillo. C'est cet ouvrage qui nous permet de reconstruire le Théâtre dans une certaine mesure. Il a été traduit en français sous le titre Le Théâtre de la Mémoire de Giulio Camillo aux éditons Allia et comporte sept chapitres. Je vais vous donner un résumé du texte de chacun de ceux-ci avec des commentaires explicatifs par rapport aux croyances de l’époque et de l’auteur.
Le texte du chapitre d’ouverture « Le premier degré » se poursuit de cette façon : 
« Ce septénaire est le nombre parfait parce qu'il contient l'un et l'autre sexe et qu'il est composé de pair et d'impair : c'est pourquoi en voulant exprimer « la béatitude parfaite », Virgile a dit : « O trois et quatre fois ».En parlant de la création du monde, Mercure (Hermès) Trismégiste se demande dans le Pimandre : « D'où les éléments de la nature ont-ils surgi? » Ce à quoi Pimandre répond : "De la Volonté de Dieu, qui, ayant reçu en elle le Verbe et ayant vu le beau monde archétype, l'imita, façonnée qu'elle fut en un monde ordonné, selon ses propres éléments et ses semences vitales. Or l'Esprit Dieu, empli par la fécondité des deux sexes, étant vie et lumière, enfanta de sa parole un autre esprit démiurge qui, étant Dieu du feu et du souffle, façonna sept gouverneurs qui enveloppent dans leur cercle le monde sensible. En réalité, si la divinité a déployé au-dehors ces sept mesures, c'est le signe qu'elle les contient encore implicitement dans son divin abîme puisque « nul ne donne ce qu'il ne possède déjà ». Isaïe appelle ces colonnes des femmes lorsqu'il dit : « Et sept femmes saisiront un homme » (Is 4, i). En les appelant « femmes », il veut dire qu'elles sont passives, c'est-à-dire produites. Mais si, comme dit Paul, « Il soutient tout par la puissance de son verbe » (He 1, 3), et ailleurs, « Un en tout et tout en un » (Rm 12, 5), et aux Colossiens, « Il est l'image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature, car c'est en lui qu'ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances ; tout a été créé par lui et en lui » (Col I, 15-17), nous ne pouvons donc trouver demeure plus juste que celle de Dieu. 
C'est pourquoi, si les orateurs de l'Antiquité confiaient jour après jour les parties des discours qu'ils avaient à prononcer à des lieux caducs comme si c'étaient des choses caduques, il est légitime que nous, qui voulons confier pour l'éternité le caractère éternel de toutes les choses pouvant être revêtues par un discours, avec le caractère éternel du discours lui-même, nous trouvions des lieux éternels. Notre plus haute tâche consistait donc à trouver dans ces sept mesures un ordre qui soit juste, suffisant, distinct, qui tienne toujours l'esprit en éveil et qui frappe la mémoire. »

Commentaire :
Camillo définit ainsi son projet et sa position par rapport aux procédés mnémotechniques de la rhétorique classique. Il s'agit donc pour le Théâtre de convertir une pratique contingente dans sa forme et son objet en une règle universelle : trouver des lieux de mémoire éternels, c'est-à-dire une topique universelle, pour des choses éternelles, les principes qui régissent l'univers, et enfin un discours éternel pour les exprimer, c'est-à-dire une éloquence et une expression ayant atteint leur perfection.


Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro.