lundi 26 octobre 2015

Le bouddhisme tibétain, le premier des six exercices secrets du yoga de Naropa : Tumo ou chaleur intérieure



 Maurice Daubard, un yogi français, utilise tumo pour résister aux plus grands froids.



J’ai parlé la dernière fois de développer dans ce blog différents thèmes comme la pratique d’exercices secrets dans le bouddhisme tibétain.

Je vais donc commencer par ces fameux exercices. Ils sont de deux sortes : le « naro chödrug » (en français les « six yogas ou pratiques de Naropa ») et le Mahamudra. Attention, deux de mes six sources pour cet article déconseillent de pratiquer ces exercices sans être encadré par un guide spirituel (Les six yogas de Naropa, les pratiques secrètes du bouddhisme tibétain de Takpo Tashi Namgyal et Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme par Philippe Cornu. Celui-ci, au sujet de tumo, précise : « Il va sans dire qu’il est très dangereux sans les instructions orales d’un maître qualifié en Yoga ».), 

La première étape du naro chödrug se nomme donc « tumo » ou chaleur intérieure. Elle a été popularisée par les livres d’Alexandra David-Neel, la première femme occidentale à entrer dans les temples bouddhistes tibétains et qui s’est convertie à cette religion, comme Mystiques et magiciens du Tibet ou Le bouddhisme du Bouddha. J’utiliserai, entre autres documentations, pour décrire cet état de tumo, l'excellent petit livre mentionné plus avant, qui est à la fois clair, précis et détaillé, Les six yogas de Naropa, les pratiques secrètes du bouddhisme tibétain du lama du seizième siècle Takpo Tashi Namgyal traduit par l’érudit Erik Sablé.

La pratique du tumo peut se diviser cinq étapes principales :

1) Le pratiquant expulse de ses poumons les souffles viciés puis se visualise sous la forme d’une déité (pour moi c’est le dhyani-bouddha Amitabha). Il perçoit son corps comme creux, vide et lumineux.

2) L’élève voit ensuite certains de ses nadis, canaux subtils d’énergie dans son corps. A quatre doigts sous le nombril, se rejoignent les canaux latéraux « rasana » (à droite) et « lalana » » (à gauche). Le canal central « avadhuti » est visualisé vertical du nombril jusqu’au sommet de la tête. Il est comme un bambou, droit, fin, creux, avec des nœuds. Les quatre chakras-roues principaux sont aussi perçus : la roue d’émanation au nombril, la roue de la réalité au cœur, la roue de jouissance à la gorge et la roue de grande béatitude au sommet de la tête.

3) Dans un troisième temps, le pratiquant visualise des lettres. Il imagine la lettre tibétaine HAM blanche renversée tête-bêche au sommet de sa tête puis au niveau du nombril, un « petit a » (tibétain a-shad) rouge, trait vertical épaissi en triangle à sa base, effilé vers le haut.

4) La respiration en vase : l’élève apprend à effectuer des rétentions d’air, ce qui pousse les souffles des canaux latéraux dans le canal central sous le nombril. Puis il projette le souffle à l’extérieur comme une flèche. Par l’entraînement, il augmentera la durée de rétention et, en se concentrant sur l’a-shad, le trait vertical rouge au niveau du nombril engendrera la chaleur. C’est cela, « allumer la flamme du feu interne ».

5) Peu à peu, la flamme attisée rougeoie, se stabilise, grandit et monte dans le canal central, donnant l’impression de chaleur intense qui a fait la réputation de cette méditation. Elle traverse les chakras jusqu’à toucher le HAM du sommet de la tête. La goutte de la bodhicitta blanche qui correspond à la lettre HAM fond et se met à goutter dans la roue-chakra de la grande félicité, produisant l’expérience de félicité dite de la joie partagée (mudita). Elle atteint ensuite la roue de la jouissance (chakra de la gorge), produisant l’expérience de la joie immense (pramudita, la première étape, bhumi, de la carrière d’un bodhisattva.), puis celle du cœur, produisant la joie éminente (visesamudita) et enfin celle du nombril, provoquant l’expérience suprême de la joie innée ou simultanée (sahajamudita).

Après sa première phase d’entraînement au tumo, le pratiquant s’imaginera en union sexuelle avec une dakini, une divinité féminine. Alors, son énergie montera et il expérimentera les quatre joies dans l’ordre inverse, nombril, cœur, gorge, haut du crâne. La dakini, symboliquement, représente la sagesse et l’esprit de l'élève.

Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. La prochaine fois, j’aborderai la pratique du corps illusoire. La suite au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées américaines contemporaines.


Amitiés à tous.

Le sutra du cœur (deuxième partie)



Un des livres-interprétations du Sutra du cœur par Gueshe Kelsang Gyatso, maître bouddhiste tibétain qui enseigne actuellement en Angleterre



Arrivé à ce point du blog et de mes articles sur le bouddhisme, je me suis dit qu’il fallait effectuer une pause et relire ce que j’avais écrit (soyez rassurés, je continuerai par la suite sur le bouddhisme tibétain). J’ai décidé de retranscrire simplement pour l’instant l’un des sutras que je trouve parmi les plus beaux et les plus instructifs, le Sutra du cœur. En voici la deuxième partie que j‘ai arbitrairement séparée du reste du sutra :

« Il n’y a pas non plus de douleur, ni cause de la douleur,
Ni cessation de la douleur,
Ni noble chemin menant hors de la douleur ;
Ni même sagesse à atteindre !
L’atteinte aussi est vacuité.

Sachez donc que le bodhisattva
Ne s’attachant à rien qui soit,
Mais demeurant dans la sagesse prajna,
Est libéré d’obstacles illusoires,
Débarrassé de la peur nourrie par ceux-ci,
Et atteint l’éclatant nirvana.

Tous les bouddhas du passé et du présent,
Les bouddhas du temps futur,
Utilisant cette sagesse prajna,
Arrivent à une vision complète et parfaite.

Sachez donc que la Prajnaparamita est le grand dharani,
Le radieux mantra, sans égal,
Dont les mots apaisent toute souffrance ;
Écoutez et croyez en sa vérité !

Gate gate paragate parasamgate boddhi svaha
Gate paragate parasamgate bodhi svaha
Gate paragate parasamgate boddhi svaha. »

Explications : Avant-dernier paragraphe ; la Prajnaparamita signifie en sanskrit «  La réalisation de la sagesse ». Je rappelle que, comme je l’ai écrit dans l’article précédent, le Sutra du cœur appartient à un recueil de sutras intitulé le Prajnaparamita sutra. La conception bouddhiste de la sagesse, prajna, est très différente de la nôtre. C’est une sagesse intuitive et immédiate et non une sagesse abstraite et soumise à l’intellect. L’instant décisif dans celle-ci est celui de la compréhension et de la prise de conscience de la Vacuité (Shunyata), qui est la vraie nature du monde. Prajna est aussi l’une des six perfections (Paramitas) réalisées par les bodhisattvas au cours de leur cheminement.

Dans le même paragraphe ; un dharani désigne un bref sutra contenant des formules « magiques » et constitué de syllabes au contenu symbolique (ici : « Gate gate paragate parasamgate bodhi svaha »). Dharani est aussi le féminin de dharana, qui est l'art de la mnémotechnique. En ce sens, c’est une formule mémorielle par laquelle on peut retenir de longs textes, tout simplement un moyen mnémotechnique (dont j’ai beaucoup parlé au début de ce blog). Dans une culture essentiellement orale, on devine aisément l'importance des techniques de mémoire artificielle. Ainsi, Ananda, l’intendant personnel et le cousin de Bouddha Sakyamuni, était doué d'une grande érudition et d'une excellente mémoire, mais aussi utilisait des formules mnémotechniques. Il put ainsi participer à l'établissement du premier canon bouddhique, en récitant par cœur tous les discours qu'il avait entendu le bouddha prononcer.

C'est vraisemblablement à partir de cette acception mnémotechnique que s'est opéré un glissement de sens vers la magie. Celle-ci, en parvenant à condenser l'essentiel d'une instruction ou d'un enseignement, semble douée d'une efficacité mystérieuse aisément réorientée vers le surnaturel. Quoi qu'il en soit, dharani en vint à signifier « formule magique ».

En fait, il  peut aussi bien représenter l’essence d’une doctrine qu’un certain état de conscience, renouvelable à volonté par sa fréquente répétition, et joue un rôle très important dans le bouddhisme tantrique tibétain. 

Je vous donne la traduction de ce dharani-mantra mais il dépasse totalement son sens littéral : « Aller, aller, aller au-delà, au-delà du par delà, que l'éveil soit réalisé ! »

Voilà. Vous avez pu lire la fin du sutra du cœur, un texte que je trouve très parlant, très évocateur. La prochaine fois, je reprendrai mes articles sur l'ésotérisme du bouddhisme tibétain avec la pratique du premier des six yogas secrets de Naropa, Tumo.

La suite au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou les séries télévisées américaines actuelles.



Amitiés à tous.