Un autre livre sur la Gestalt-thérapie.
Je viens de lire un livre que j’ai
trouvé à la fois passionnant, précis et instructif sur la création de la
Gestalt-thérapie. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de
ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une
poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de celui-ci.
Voici le résumé de ce livre.
A ce point, je
n'ai pas envie de parler des niveaux et de « l'économie » de l'abstraction.
Nous avons ce qu'il nous faut pour notre prochaine étape, mais je veux
cependant préciser que le plus haut niveau d'abstraction est le nombre, d'où
tout le concret a été banni, toute caractéristique balayée : de la chose, du
fait ou du phénomène il ne reste que le nombre.
Avec le jeu
des nombres, l'impossible devient possible. Par exemple, une personne vivant en
Amérique du Sud peut avoir 1,2 piqûres de moustique par jour, tandis que sa
part augmenterait considérablement si elle vivait au Kenya.
Laissez-moi
répéter une fois de plus notre jeu des sigles. Nous avons T pour toxique, et N
pour nourrissant. Nous avons Z pour la zone ou le lieu où se produit un
événement. Ce système s'appelle la topologie. Nous avons distingué en gros
Z.E., la zone extérieure ; Z.M., la zone de Moi, pour ainsi dire la zone sous
la peau, et j'ai écrit qu'à l'intérieur de la Z.M. il y a la Z.D.M. qui empêche
la communication directe entre le moi et les autres, qui nous empêche d'être «
en contact ». La Z.D.M. est appelée souvent « esprit » ou conscience, ce qui
crée la confusion eu égard à ce qui se passe réellement. Si je sens une
démangeaison, j'en suis conscient, mais si je dis que cette démangeaison est
dans ma conscience, je peux être taxé de folie. Le mouvement Christian Science fait bon usage de
cette confusion. Je peux d'ordinaire repérer facilement les adeptes de la «
Science chrétienne » et leurs enfants par leur genre de confusion.
L'un de mes
deux « parasites » de San Francisco était une femme d'un certain âge qui était
venue me voir à Miami dans un état schizoïde. Elle avait été élevée dans une
atmosphère saturée de Christian Science
et de moralité. Chaque signal qu'elle captait était aussitôt déformé et utilisé
pour son propre système hallucinatoire.
Si nous
appelons « l'esprit » imagination et
utilisons la théorie de la conscience, nous nous trouvons sur le terrain solide
de la réalité. Le terme imagination/fantaisie occupe une position clé dans ma
philosophie de la Gestalt. Il est aussi important pour notre existence sociale
que la formation de la Gestalt pour notre existence biologique.
Il est tout à
fait banal d'opposer imagination et rationalité, en ce sens que toute fantaisie
ou imagination est chose « loufoque » et que l'on tient la rationalité pour
l'épitomé de la santé mentale. J'utilise les mots fantaisie et imagination
comme des synonymes, bien que le second implique quelque chose de plus actif :
je veux partir en vacances. Alors je fais des projets. Ces projets sont de
l'imagination rationnelle. Je pourrais m'appuyer sur des éléments de la Z.E.
comme des cartes, les conseils des agences de voyages, etc., mais pour la
plus grande part mon imagination travaille sous la forme d'anticipations, de
besoins ou de souvenirs. Alors je rogne sur mon imagination ou lui laisse
libre cours, jusqu'à ce que dans ma tête, ou de concert avec l'agent de
voyages, je parvienne à une décision en accord avec mes besoins, le temps dont
je dispose et mon portefeuille.
J'ai déjà dit
que toutes les théories et hypothèses sont des produits de l'imagination qui
n'ont de valeur que s'ils concordent avec des faits observables.
En d'autres
termes, c'est imagination rationnelle que l'on entend dans l'expression : « Il
est sain d'esprit. »
Le lecteur : «
Bien, Fritz, jusqu'ici je peux vous suivre. Mais les souvenirs ? Vous semblez
les inclure. Si vous mêlez souvenirs et imagination, vous perdez la tête ou
vous mentez. »
C'est juste.
On parle de mémoire fidèle, ce qui déjà laisse planer un doute sur la mémoire
en général. On pose que chaque souvenir est l'abstraction d'un événement. Ce
n'est pas l'événement lui-même. Si vous lisez un journal, le journal lui-même
reste dans la Z.E. Vous ne mangez pas, vous n'avalez ni ne digérez le
journal lui-même. Qui plus est, vous choisissez ce qui vous intéresse.
En outre, la façon dont les nouvelles sont rapportées dépend de la position
politique du journal. Bien plus, ce qui en paraît est choisi par le journaliste
en fonction de son pouvoir d'observation, des occasions qui se présentent à lui
et, qui sait, de son besoin de sensationnel.
Le lecteur : «
Je suis d'accord, mais si je vis une expérience, je puis m'en souvenir très
clairement. »
A quel point
vous souvenez-vous de l'expérience ? A quel point êtes-vous partial ? A quel
point vous rappelez-vous le ton de la voix, les hésitations ? Avez-vous digéré
l'incident, ou bien revenez-vous vraiment sur cet événement par la mémoire — ce
qui est impossible, puisque l'événement est passé, tandis que le retour, lui,
est actuel ? Ce retour nous donne déjà beaucoup plus, un matériau beaucoup
moins déformé, que les souvenirs figés qui, en fait, sont déformés par notre
attitude présente à leur égard — hostile ou favorable.
Il existe
beaucoup d'études sur la partialité et la sélectivité de la mémoire, par
exemple, chez les témoins d'un accident. J'aimerais que vous ayez vu le film Rashomon afin de vous rendre compte
combien chaque personne interprète différemment les mêmes évènements selon les
besoins de son amour-propre.
En d'autres
termes, même l'observation la plus fidèle est une abstraction. Je vois déjà
qu'il me faudrait écrire encore bien des pages pour montrer clairement le rôle
capital de l'imagination.
En
psychopathologie, les fantasmes les plus importants sont ceux dont le patient
ne peut reconnaître l'irrationalité. Le cas le plus extrême serait celui d'un
schizophrène paranoïde qui imagine et est persuadé que son médecin a
l'intention de le tuer. Pour éviter cela, il sort dans la Z.E. Autrement dit,
il tire pour de bon sur le médecin.
Nombre d'entre
nous imaginent des situations catastrophiques sans se donner la peine de
vérifier si cela est rationnel ou non, développent des phobies, et cessent de
vouloir prendre des risques raisonnables.
Nous sommes
nombreux aussi à imaginer des situations « anastrophiques », sans nous donner
la peine de vérifier si cela est rationnel ou non. Nous perdons toute prudence
et cessons de faire attention.
Certains
d'entre nous sont en équilibre entre ces deux tendances : ils prennent des
risques rationnels en fonction des événements possibles.
Les rôles et
les jeux joués en imagination sont d'une infinie variété, allant de la torture
extrême de soi-même à l'assouvissement sans limite du désir.
Je voudrais
pouvoir m'arrêter ici. Cependant, il me faut poursuivre jusqu'à cette
abstraction qui a engendré l'existence imaginaire d'un « esprit ».
J'en étais
resté là la nuit dernière, et je me suis réveillé aujourd’hui avec une espèce
de rancune : « Non, je ne vais pas en faire tout un discours. Je ne veux pas
couper les cheveux en quatre jusqu'à l'idée du « mot « en tant
qu'abstraction d'une abstraction, ni de la pensée en tant que langage «
subvocal », façon de parler en imagination. »
Voilà. C’est tout pour le moment comme
dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième
siècle. Amitiés à tous.