jeudi 30 mars 2017

Compte rendu de "L'art et la science de se souvenir de tout" de Joshua Foer (douzième partie).




 Bill Cosby.


Récemment est paru en livre de poche L’art et la science de se souvenir de tout qui est en fait le même livre que l’ouvrage en grand format Aventures au cœur de la mémoire (tous les deux la traduction de Moonwalking with Einstein). 

Aventures au cœur de la mémoire est un livre référence dans le monde de la mémoire. Il y est question de l’histoire de la mémoire et de la mnémotechnie, de la naissance des Mémoriades, les Championnats du monde de mémoire, en 1991, mais surtout de la manière dont un journaliste indépendant, Joshua Foer, est devenu champion de mémoire des États-Unis en 2006 alors qu’il ne savait même pas ce qu’était une technique de mémorisation un an auparavant ! Cet article est la suite de celui-ci

Joshua Foer le présente ainsi : « La gagnante était une nageuse de compétition âgée de dix-sept ans, venue de Mechanicsburg en Pennsylvanie, qui s'appelait Erin Hope Luley. Elle avait accompli l'impressionnante performance de mémoriser cent vingt-quatre noms et prénoms — un nouveau record pour les États-Unis et un score, en lui-même, qui pouvait lui valoir le respect des meilleurs Européens. Quand son résultat fut annoncé, elle se leva et agita la main d'un air penaud. Je jetai un coup d'œil vers Ram et le surpris qui cherchait mon regard. Il haussa les sourcils, l'air de dire : « D'où elle sort, celle-là ?

Second évènement de la matinée : les nombres écrits. J’y étais toujours lamentable. Pour cette épreuve, les conseils d’Ed ne m’avaient guère aidé… car je les avais pour ainsi dire ignorés. Il  m'avait longtemps exhorté à développer un système personnel pour les nombres — pas forcément l'équivalent du « vaisseau de guerre à soixante-quatre canons » du PAO du millénaire, dont la création lui avait pris des mois, mais quelque chose qui aurait été un peu en avance, au moins, sur le simple Code chiffres-sons utilisé par la plupart des autres Américains. Pour donner satisfaction à Ed, j'avais inventé un système PAO pour les cinquante-deux cartes à jouer — mais je n'avais jamais pu me résoudre à en faire autant pour chaque combinaison de deux chiffres de 00 à 99.

M'appuyant donc sur le Code chiffres-sons, comme les autres athlètes mentaux, je tirai parti de mes cinq minutes de temps de mémorisation pour m'assurer, croyais-je, quatre-vingt-quatorze nombres. Un score médiocre même selon les critères américains. Et je trouvai en plus le moyen de me gourer sur le quatre-vingt-huitième : au lieu de Bill Cosby, j'aurais dû voir un papa, une maman et leurs deux enfants jouer tous ensemble au Destin. Je rejetai la faute de cette pitoyable performance sur Maurice que j'avais entendu, malgré mon casque antibruit, hurler : « Ah, mais ça suffit, là, les photos ! » contre un photographe de presse. Malgré quoi mes quatre-vingt-sept nombres me laissaient tout de même à la cinquième place du classement. Maurice en avait engrangé cent quarante-huit — nouveau record des États-Unis. Ram terminait deuxième avec cent vingt-quatre nombres. Erin était loin derrière, à la onzième place, car elle n'avait pu en mémoriser que cinquante-deux. Je me levai, m'étirai et allai me payer un troisième gobelet de café à la machine. « On les appelle les A.M., ou "athlètes mentaux", entendis-je Kenny Rice déclarer avec ferveur devant la caméra. Mais à ce stade de la compétition, A.M. pourrait aussi vouloir dire les "angoissés mentaux". »

J'avais travaillé avec un système mnémotechnique dépassé pour l'épreuve des nombres en cinq minutes. Mais pour le record de vitesse aux cartes, la manche suivante, j'étais le seul concurrent armé de ce qu'Ed appelait « la toute dernière machine de guerre européenne ». La plupart des Américains plaçaient encore une seule carte dans chaque lieu, et même les concurrents qui étaient sur le circuit depuis des années, tels Ram et « Ice Man » Chester, transformaient au mieux deux cartes en une seule image. Jusqu'en 2003, à vrai dire, on n'avait jamais vu personne mémoriser un paquet de cartes entier au championnat des États-Unis. Grâce à Ed, le système PAO que j'utilisais transformait trois cartes d'un coup en une seule image, ce qui signifiait qu'il était au moins 50 % plus efficace que n'importe quel système employé par les Américains. J'avais un avantage considérable. Même si Maurice, Chester et Ram devaient m'évincer dans les autres épreuves, j'espérais bien pouvoir faire grimper mon score au classement général grâce au record de vitesse aux cartes.

Chaque concurrent se vit assigner un juge, muni d'un chronomètre, qui prit place en face de lui. Le mien était une dame d'une cinquantaine d'années qui me sourit lorsqu'elle s'assit et dit quelque chose que je n'entendis pas à travers mes bouchons d'oreilles et mon casque antibruit. Pour cette épreuve, j'avais apporté mes lunettes de mémorisation peinturlurées en noir, et jusqu'à l'instant où le paquet de cartes fraîchement battues apparut sur la table devant moi, j'hésitai à les utiliser. Je ne m'étais pas entraîné sans ces lunettes depuis des lustres ; en outre, la salle de compétition du siège Con Edison était pleine de sources de distraction visuelles. Et trois caméramen de la télévision circulaient parmi les concurrents — l'un d'eux venait justement de zoomer sur mon visage. Je songeai à tous les gens que je connaissais et qui regardaient peut-être l'émission : copains et copines de lycée que je n'avais pas revus depuis des années, amis et connaissances qui ignoraient tout de mon obsession pour l'art de la mémoire, les parents de ma copine... Que penseraient-ils s'ils allumaient la télé et me voyaient affublé de ces immenses lunettes en plastique noires et de ce casque de chantier antibruit ? La honte l'emporta sur mon instinct de compétition : j'abandonnai les lunettes au pied de la table. »

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous !