La Mélancolie de Lucas Cranach l’Ancien.
Chaque chapitre du livre Méditer, jour après jour de Christophe
André est illustré par un tableau correspondant à l’état d’esprit du chapitre.
Ici il s’agit de La Mélancolie de
Lucas Cranach l’Ancien. L’auteur écrit au sujet de ce tableau : « C’est
un mélange d’ordre et de désordre, insolite, indéchiffrable, qui met
discrètement mal à l’aise. On ne saisit pas ce que le peintre veut nous dire.
Puis, au bout d’un moment, on ne comprend pas mieux, mais au moins on commence
à percevoir l’organisation du tableau. »
Il y a dans cette Mélancolie de Cranach du réel et de l’irréel,
de la tension et du calme, de l’action et de l’ennui. Des choses que l’on
comprend, à peu près, et d’autres qui nous échappent et nous dépassent. Et dont
on pressent que cela nous échappera et nous dépassera toujours.
Mais n’est-ce pas souvent comme
cela que se présente à nous notre propre expérience émotionnelle ?
Quand on fait de la méditation
(surtout celle de pleine conscience) on accueille en soi les ressentis
émotionnels négatifs ou douloureux, on leur permet simplement d'être là. Ainsi,
plutôt que de vouloir chasser sa tristesse ou résoudre son inquiétude, on
commence d'abord par accepter leur présence. Ce qui ne signifie pas accepter
leurs messages et leurs injonctions : permettre à sa tristesse ou à son inquiétude
d'être là, c'est constater que nous sommes tristes mais pas forcément croire
tout ce que nous chuchote la tristesse (« Cette vie ne vaut guère la peine, à
quoi bon agir ? ») ou l'inquiétude (« Il y a un danger, tu dois vite agir et
trouver des solutions »).
Les patients anxieux ou déprimés
n'aiment pas qu'on leur dise de commencer par permettre à leurs affects d'être
là. Ça les scandalise un peu : «J'ai toujours essayé de faire le contraire, de
ne pas souffrir.» Et ça leur fait peur : « Si j'ouvre les vannes, si je baisse
la garde, je vais me faire engloutir par la souffrance.»
Mais non, rassurez-vous, ça ne se
passera pas ainsi. Nos émotions négatives sont comme des animaux (ou des
humains) que l'on voudrait calmer : plus on se jette sur elles pour les
repousser, les ligoter ou les enfermer, plus elles se débattent et peuvent nous
faire mal.
Nous avons plutôt intérêt à créer
un espace autour d'elles pour leur permettre d'exister. Et pour nous permettre
alors de les observer : dans quel état mettent-elles mon corps ? Quelles
pensées induisent-elles ? Vers quoi me poussent-elles ? Ainsi, on n'est pas
dans l'émotion, mais dans l'expérience de l'émotion : accueillir pour moins
subir. Cela pourra parfois suffire à nous apaiser, et nous permettre alors de
décider que faire.
Les émotions sont les moteurs des
pensées négatives, ce sont elles qui leur donnent toute leur force, les solidifient.
Accepter mes émotions, c'est désamorcer leur pouvoir sur les pensées qu'elles poussent devant
elles pour avancer masquées. Je pourrai plus facilement réfléchir à mes pensées
de colère si j'ai reconnu et accepté ma colère ; plus facilement réfléchir à
mes inquiétudes si j'ai reconnu et accepté mon angoisse. Alors que, si j'en
reste à « mais non, je ne suis pas en colère, c'est ce qui se passe qui n’est
pas acceptable » ou à « mais non, je ne suis pas inquiet, c’est la
réalité qui est menaçante », ce travail sur les pensées ne se fera pas.
Puisqu’elles sont, pour mon esprit, non pas pensées mais réalités et évidence.
Qui serait assez fou pour contester la réalité et l’évidence ?
Quelqu’un m’a dit un jour une
phrase que j’ai trouvée amusante et juste (un changement de paradigme pour moi !)
: « Votre esprit est un endroit dangereux. Ne vous y rendez qu’accompagné de
la méditation de pleine conscience. »
Voilà. C’est tout pour le moment.
La suite au prochain numéro.