Alice au pays des merveilles.
Je viens de lire un livre que
j’ai trouvé à la fois formidablement bien écrit, original et passionnant. Je
voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit
de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de
celui-ci.
Voici le résumé de ce livre.
Aux gens qui comptaient à
Francfort, j'ai ajouté le professeur Gelb. J'ai oublié son prénom. Bien sûr, je
pourrais décrocher le téléphone et le demander à Lore qui préparait avec lui
une thèse de doctorat sur la constante de Farben. Non, ce n'est pas vrai. Je ne
puis la joindre à présent, car elle est à Tampa pour diriger un séminaire,
probablement auprès de l'Académie américaine des psychothérapeutes.
Gelb était un personnage de peu
de relief, mais bon professeur. Il est connu pour ses travaux, avec Goldstein,
sur les traumatismes crâniens, surtout le cas de Schneider. Ils ont découvert
qu'un traumatisme crânien ne signifiait pas seulement la perte de certaines
facultés, mais que c'est toute la
personnalité qui subit un changement. Une régression, une «
dé-différenciation » s'installe. Le plus significatif, c'est que le patient
perd la capacité de penser et de comprendre en termes abstraits et de langage.
Il acquiert l'innocence du petit enfant. Par exemple, il ne peut mentir. Si
vous lui demandiez de répéter la phrase « la neige est noire », il ne le ferait
pas et rien au monde ne pourrait le lui faire dire. Avec entêtement, il
s'obstinerait à répondre : « La neige est blanche. »
Mes rapports avec les
psychologues gestaltistes étaient curieux. J'ai admiré beaucoup de choses dans
leurs travaux, en particulier les premiers travaux de Kurt Lewin. Mais je n'ai
pu les suivre quand ils sont devenus des logiciens positivistes. Je n'ai lu aucun de leurs livres,
exception faite de quelques articles de Lewin, Wertheimer et Köhler. Le plus
important pour moi fut la notion de situation inachevée, de Gestalt incomplète.
Bien entendu les gestaltistes
universitaires ne m'acceptèrent jamais. Il est certain que je n'étais pas un
pur gestaltiste.
Mon impression dominante, c'est
que c'étaient tous des alchimistes qui cherchaient l'or de la vérification
complète, tandis que moi, je me contentais d'utiliser les matériaux moins
spectaculaires, mais plus utiles, que je trouvais sur le bord de la route.
Une Gestalt est un phénomène
irréductible. C'est une essence qui est là et qui disparaît si l'ensemble se
disloque en ses composantes.
Quelque chose de très intéressant
vient de se produire. J'étais en train de réfléchir au moyen d'expliquer les
principes de cette Gestalt par l'exemple de la molécule d'eau — H2O et ses
constituants H et O — quand je me suis rendu compte que la formulation, telle
qu'elle est exprimée par les gestaltistes, ne peut en aucun cas être correcte.
Ils disent que le tout est plus que l'ensemble
des parties. En d'autres termes, quelque chose s'ajoute au monde uniquement
par la configuration. Mais cela détruirait notre image de l'équilibre des
énergies de l'univers. Quelque chose serait créé à partir de rien, une idée qui
transcenderait même le pouvoir créateur de Dieu. Car il est écrit que Dieu créa
le monde à partir du chaos — du tohu-bohu. Faut-il alors laisser les gestaltistes
attribuer à la formation de la Gestalt plus de pouvoir que nos pieux ancêtres
n'en ont attribué à Dieu ?
Avant d'admettre un tel
raisonnement, examinons la chose de plus près, et, même s'il ne s'agit vraiment
que d'une petite idée à moi, essayons de trouver une autre explication. Je ne
suis ni chimiste ni physicien, de sorte que je puis me tromper à cent pour
cent. 2H + O = H2O, en tant que formule, c'est correct ; en tant que réalité,
c'est faux. Si vous essayez de mélanger les deux gaz, oxygène et hydrogène,
rien ne se produit. Si vous ajoutez l'élément température, ils explosent,
perdent leur qualité d'atomes et forment la Gestalt moléculaire H2O, ou eau.
Dans ce cas, la Gestalt est, dynamiquement parlant, inférieure à celle de ses
constituants, puisqu'il manque la chaleur qui s'est produite. De même, pour
séparer les atomes, pour décomposer la Gestalt, il faut ajouter l'électricité,
afin de donner aux atomes une existence à part. D'où nous pouvons tirer
plusieurs conclusions. Sans le support électronique, une fois qu'ils ont perdu
leur énergie de chaleur intrinsèque, les atomes perdent leur indépendance et
doivent créer une alliance. Cette intégration, cette alliance, pourrait bien
être un signe non pas de force, mais de faiblesse.
Les gestaltistes pourraient ne
pas être d'accord là-dessus.
« Regardez ce moteur, le tout est
plus que les parties qui le composent. Même si vous avez des pièces de rechange
— bougies, pistons, etc. — elles ne sont rien comparées au moteur. » Je ne suis
pas d'accord. J'accepte le moteur qui fonctionne comme une Gestalt et j'accepte
les pièces détachées comme une autre Gestalt.
C'est peut-être une marchandise,
de la camelote, ou un moteur en puissance, selon le contexte, la toile de fond
contre laquelle ils apparaissent. Certainement pas une forte Gestalt, sauf
peut-être si les pièces étaient empilées au milieu d'une salle de séjour.
II existe une contribution très
intéressante à notre compréhension, créée par les gestalistes : la
différenciation de la Gestalt en image et en arrière-plan. Cette contribution
renvoie à la sémantique, ou à la signification de la signification.
En général, lorsque nous pensons
à la signification, nous avons deux opinions opposées — l'objective et la
subjective. L'objective dit qu'un mot ou une chose a une ou plusieurs
significations qui peuvent être fixées au moyen de la définition, ou sinon ce
serait la mort des dictionnaires.
L'autre, la subjective, c'est
celle d'Alice au pays des merveilles, celle qui dit : « Un mot veut dire seulement
ce que je veux qu'il dise. » Aucune de ces deux positions n'est tenable. Une
signification, ça n'existe pas. C'est un processus créateur, qui participe de
l'ici et du maintenant. Cet acte créateur peut être habituel et si rapide qu'on
ne peut en saisir les origines, au il peut exiger des heures de discussion.
Dans chaque cas, une signification est créée en reliant l'image, l'avant-plan,
à l'arrière-plan, sur lequel apparaît l'image. Cet arrière-plan est souvent
appelé contexte, rapport ou situation. Séparer un énoncé de son contexte
engendre facilement l'erreur. Dans Le
moi, la faim et l'agressivité, j'ai longuement parlé de cette question. Il
n'y a pas de communication possible sans la claire compréhension de cette
relation de l'image avec l'arrière-plan. C'est comme si l'on vous demandait
d'écouter la radio quand le signal (des paroles, par exemple) est noyé par le
bruit de fond.
Il est possible que la propriété
la plus intéressante et la plus importante de la Gestalt soit sa dynamique — le
besoin qu'a une forte Gestalt de trouver sa conclusion. Et cette dynamique, on
en fait l’expérience maintes fois chaque jour. La meilleure appellation de la
Gestalt incomplète, c’est la situation inachevée.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.