L’instant présent selon Thich Nhat Hanh,
l’auteur de L’esprit d’amour
Cet article est la suite de celui-ci.
« Vivre l’instant présent » dans « Méditer jour après jour, 25 leçons pour vivre en pleine conscience » de Christophe André.
« Vivre l’instant présent » dans « Méditer jour après jour, 25 leçons pour vivre en pleine conscience » de Christophe André.
Méditer en pleine conscience, ce
n'est pas analyser l'instant présent, ou du moins pas comme on le croit. C'est
l'éprouver, le ressentir, de tout son corps, sans mots. Ce n'est ni habituel ni
confortable de se passer ainsi durablement du langage pour traverser des
moments de notre vie. Et pas facile : ne pas parler, passe encore, mais ne pas
penser ! Juste éprouver, se connecter. Pourtant, nous avons tous déjà fait
cette expérience.
Ce qui se passe alors, et qui va au-delà
des mots, est très précisément décrit dans cet extrait de la Lettre de Lord Chandos, une magnifique
nouvelle de l'écrivain autrichien Hugo von Hofmannsthal : « Depuis lors, je
mène une existence que vous aurez du mal à concevoir, je le crains, tant elle
se déroule hors de l'esprit, sans une pensée. [.. Il ne m'est pas aisé
d'esquisser pour vous de quoi sont faits ces moments heureux ; les mots une
fois de plus m'abandonnent. Car c'est quelque chose qui ne possède aucun nom et
d'ailleurs ne peut guère en recevoir, cela qui s'annonce à moi dans ces
instants, emplissant comme un vase n'importe quelle apparence de mon entourage
quotidien d'un flot débordant de vie exaltée. Je ne peux attendre que vous me
compreniez sans un exemple et il me faut implorer votre indulgence pour la
puérilité de ces évocations. Un arrosoir, une herse à l'abandon dans un champ,
un chien au soleil, un cimetière misérable, un infirme, une petite maison de
paysan, tout cela peut devenir le réceptacle de mes révélations. Chacun de ces
objets, et mille autres semblables dont un œil ordinaire se détourne avec une
indifférence évidente, peut prendre pour moi soudain, en un moment qu'il n'est
nullement en mon pouvoir de provoquer, un caractère sublime et si émouvant, que
tous les mots, pour le traduire, me paraissent trop pauvres.»
« La pleine conscience ne réagit pas à
ce qu'elle voit. Elle voit, simplement, et elle comprend sans mots », disait un
maître bouddhiste. Les mots peuvent nous aider immensément, à certains moments
: nommer une douleur ou une joie peut nous permettre de mieux supporter,
surmonter, comprendre, savourer. Mais parfois ils ne peuvent rien pour nous,
pour exprimer la complexité de ce que nous éprouvons ; ils peuvent même
entraver, falsifier, gâcher notre expérience. Il y a des moments où mieux vaut
ne rien dire. Il faut alors accepter de traverser la réalité différemment :
ressentir, éprouver. On parle parfois ainsi de « conscience immergée » pour
décrire cet état très particulier de notre esprit lorsqu'il est intensément
absorbé, mais sans production de pensée volontaire, lorsqu'il est juste dans l'expérience.
Le goût intense de l'expérience
Lors d'une retraite de pleine
conscience, je me souviens que notre instructeur nous avait proposé un de ces
exercices bizarres, dont les maîtres de méditation ont le secret. Il nous avait
tous réunis en rond. Puis demandé de faire un pas en avant. Après quelques
secondes de silence, il nous avait alors dit : «Et maintenant, essayez de ne
pas avoir fait ce pas.» Je n'avais
jamais entendu, ni surtout vécu quelque chose d'aussi frappant sur l'inanité de
certains regrets. Et surtout, je n'avais jamais compris aussi clairement la
différence entre l'enseignement par la parole et celui par l'expérience. Dans ma surprise et ma perplexité, dans
l'hésitation et le trouble de mon esprit, dans mon corps qui ne savait plus que
faire, tout était transmis sur l'impossibilité d'effacer et l'inutilité de
regretter...
La pleine conscience nous apprend que
l'expérience est aussi importante que le savoir : lire sur la pleine
conscience, ce n'est pas comme la pratiquer. Écouter un CD d'exercices de
méditation pour prendre connaissance
de son contenu, ce n'est pas comme faire
ces exercices.
L'expérience, comme voie d'accès au
réel, ne remplace pas le savoir, la raison ou l'intelligence, mais elle les
complète. Et il n'y a rien de plus simple que l'expérience, il suffit de
prendre le temps : il faut juste
s'arrêter pour éprouver. Pour
regarder, écouter, sentir, il faut suspendre notre action ou notre mouvement.
Faites-le. Maintenant. Arrêtez de lire. Arrêtez de lire, fermez les yeux et
prenez conscience. Notez de quoi est composée votre expérience, juste ici et
maintenant. Pendant une minute, maintenant, tout de suite. Personne, absolument
personne ne peut le faire à votre place.
Et personne, absolument personne ne pourra non plus méditer à votre place.
Fermez les yeux.
Résumé.
Vivre, c'est vivre l'instant présent. On
ne peut pas vivre dans le passé ni le futur: on ne peut qu'y réfléchir, y
spéculer, y ressasser ses regrets, ses espoirs, ses craintes. Pendant ce temps, on n'existe pas. Se
rendre régulièrement présent à la richesse de nos instants de vie, c'est vivre
davantage.
Nous le savons, bien sûr, nous l'avons
lu et entendu ; nous l'avons même pensé. Mais tout ça, c'est du bla-bla : il
faut maintenant le faire, pour de vrai ! Rien ne remplace l'expérience de
l'instant présent.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.