mercredi 15 avril 2020

Une routine de mentalisme par Eric Bertrand, coauteur de l'ouvrage « Douceurs Mentales 2 ».









Le mentaliste Eric Bertrand.





Selon moi, « Douceurs mentales 2 » de Fabien ARCOLE et Eric BERTRAND est un des meilleurs ouvrages écrits sur le mentalisme (techniques, tours et réflexions) par des mentalistes de langue française.

Voici un effet de mentalisme proposé par Eric Bertrand à la suite de sa prestation en live sur le site « Virtual Magie ». 



ARTISTE MENTAL


" Cette routine, très simple dans sa structure, constitue une démonstration élémentaire de pouvoir télépathique. Elle est pratiquement impromptue et peut être exécutée devant un participant unique, un petit groupe ou même sur scène. C’est le b.a.-ba du mentalisme.

Techniquement, elle repose sur deux changes de billets et un « peek », ce dernier étant particulièrement facile à réaliser secrètement, comme on le verra plus loin.


EFFET

Le mentaliste propose de réaliser une expérience de transmission de pensée faisant appel à la capacité artistique d’un membre de l’audience (ou du groupe, s’il s’agit d’une prestation impromptue devant un groupe d’amis par exemple).

Un volontaire se présente. Le mentaliste lui tend un morceau de papier pré plié en quatre et un stylo et lui explique : « Dans un instant, je vais vous demander de concevoir mentalement un dessin assez simple et de le dessiner sur ce morceau de papier. Le dessin peut être n’importe quoi. Quelque chose d’abstrait, ou au contraire de concret. Un simple symbole ou quelque chose de représentatif. Vraiment ce que vous voulez. Vous pouvez faire preuve de créativité, mais limitez-vous à quelque chose de simple s’il vous plaît. Vous avez quelque chose en tête ? Parfait. Retournez-vous, que je ne puisse rien voir de ce que vous dessinez, faites votre dessin puis repliez le papier et revenez vers moi. Merci. »

Pendant que le participant s’exécute (le dos tourné), le mentaliste explique : « Si je vous demande de dessiner quelque chose sur ce papier, c’est pour deux raisons. D’abord, cela vous oblige à vous concentrer sur ce que vous avez en tête, à focaliser vos pensées précisément sur la forme que vous dessinez. Ensuite, parce que ce papier nous servira de preuve en fin d’expérience, pour juger du degré de réussite de cette dernière. »

Pendant qu’il délivre cette courte explication, le mentaliste sort de sa poche un autre stylo doté d’un capuchon avec un clip. Il le tient en main gauche.

Quand le participant refait face au mentaliste, ce dernier s’empare du papier du volontaire et le coince très ouvertement sous le clip du stylo qu’il tient à la main. Il peut ensuite montrer l’ensemble « stylo + papier coincé sous le clip » à l’ensemble de l’audience, et ce, sous tous les angles. De toute évidence, le papier est toujours plié et l’information qu’il contient est parfaitement inaccessible.

Le mentaliste dépose le tout sur la table. Il explique : « Pour réussir cette petite expérience, je vais devoir m’appuyer sur la psychologie. Rassurez-vous, rien de bien compliqué. Je vais simplement vous demander de m’indiquer votre chiffre préféré, entre 1 et 9 ?

n  Le 6, répond le participant.
n  Et maintenant, votre couleur préférée ?
n  Le bleu. »

Le mentaliste se concentre quelques instants, puis annonce quelque chose du genre : « Très bien, merci. Voilà ce que vous allez faire. Je vais me retourner et placer mon dos face à vous. Vous allez vous approcher de moi, en restant dans mon dos et vous allez reproduire dans mon dos, sans le toucher, le dessin que vous avez en tête. J’insiste : vous ne devez pas toucher mon dos, mais imaginer qu’il s’agit d’un chevalet et que vous allez peindre un tableau dessus. Du bout de l’index, vous reproduisez votre dessin, en grande taille, sur la surface de mon dos, mais encore une fois, sans jamais toucher mon dos. Vous avez bien compris ? »

Le mentaliste se retourne et baisse la tête. Il demande au participant de commencer la reproduction de son dessin. Au bout de quelques secondes, il demande : « Vous avez terminé, je crois ? » Quand le volontaire confirme avoir terminé, le mentaliste lui demande : « Recommencez le dessin, s’il vous plaît. Je crois que j’ai l’idée générale, mais il me manque des détails, il me semble. »

Le volontaire s’exécute et le mentaliste le remercie. Ce dernier se retourne et fait de nouveau face à son audience. Il explique :

« Comme je vous le disais tout à l’heure, pour cette expérience je m’appuie sur des données d’ordre psychologique. Laissez-moi vous dire comment je vous perçois, sur la base de vos choix. Le 6, c’est le chiffre de l’Adulte et de l’Harmonie. Vous devez être quelqu’un d’assez équilibré, qui sait donner confiance à son entourage. Vous êtes probablement prêt à mettre de l’eau dans votre vin afin de préserver des conditions de vie harmonieuses autour de vous.  Et vous avez choisi le Bleu, la couleur de l’eau. Un choix qui dénote probablement une certaine intuition, une ouverture aux autres au plan émotionnel… Globalement, je pense donc que votre dessin doit être plutôt rond, avec de nombreuses lignes courbes. Un dessin plutôt sympathique, qui reflète votre nature cordiale. Je dirais… Probablement un chat, assez stylisé. Laissez-moi vérifier. »

Sur ce, le mentaliste reprend le stylo qui était resté visible sur la table à ses côtés. Il retire le papier du clip et l’ouvre. Il sourit. Il le tend à un spectateur et lui demande de vérifier ce que le volontaire a dessiné. Ce dernier confirme qu’il s’agit bien d’un chat !
  

MODUS OPERANDI

Comme indiqué en introduction, cette routine simple et directe repose sur l’utilisation de deux changes de papier et d’un peek.

Le premier change est effectué au moment de la récupération du papier rempli par le participant. Ce papier est changé contre un « dummy » (un papier vierge, plié de la même manière, que le mentaliste avait en sa possession dès le départ).

Le « Microphone switch » de Bob Cassidy est particulièrement pratique pour réaliser ce change. Ce change est explicité entre autres dans Black Box Cinema (vidéo de Bob Cassidy), dans The Natural Billet Switch de Richard Osterlind (que l’on trouve dans son fameux opuscule The Perfected Center Tear) ou bien encore dans la routine B2 de Philipp Gangelberger). Ce change particulier est justifié par le fait que l’on va coincer le billet du volontaire sous le clip du stylo. Tout est donc parfaitement naturel dans ce mouvement.

Le mentaliste avait le « dummy » dans sa poche gauche, accompagné du second stylo. Quand il sort le stylo de sa poche, en main gauche, il sort en réalité le « dummy », placé à l’empalmage des doigts gauches, et le stylo tenu le capuchon vers le haut. Evidemment, seul le stylo est visible. Le papier du volontaire est récupéré en main droite, le change a lieu dans le mouvement de placer le papier sous le clip. En réalité, c’est le « dummy » qui finit sous le clip et le billet contenant le dessin est secrètement conservé en main droite. La consultation des sources indiquées dans le paragraphe précédent devrait rendre tout ceci clair comme de l’eau de roche…

Comme le lecteur l’aura certainement compris, la lecture du papier – et donc la prise de connaissance du dessin – se fait pendant que le mentaliste a le dos tourné (ce qui est parfaitement justifié par la chorégraphie de l’effet). Les coudes bien conservés contre les côtés du corps, il est facile d’ouvrir le papier, de prendre connaissance du dessin, puis de replier le billet. C’est là l’affaire de quelques secondes seulement, et c’est parfaitement indétectable.

Quand le mentaliste refait face à l’audience, le papier du volontaire est de nouveau à l’empalmage des doigts droits et donc invisible.

On notera que ce n’est qu’à ce moment-là que le mentaliste délivre son court « cold reading ». Bien évidemment, comme il connaît alors le dessin, il est facile de produire un reading qui correspond, au moins partiellement, au style du dessin… Et donc d’apparaître particulièrement intuitif !

Le second change est effectué sous le prétexte de vérifier le dessin effectué par le participant. Plusieurs possibilités s’offrent au mentaliste. Par exemple :

Ø  Effectuer le change en faisant glisser le papier (« dummy ») conservé sous le clip. A la fin du mouvement, c’est le vrai papier (avec le dessin) qui est ouvert, puis rendu (ceci peut être vu comme une adaptation du CT Billet Switch de Christopher Taylor dans The Poor Mage’s Billet System) ;
Ø  Dégager le « dummy » du clip et effectuer le change dans l’action de tendre le papier à l’audience pour vérification. Là encore, il n’y a aucune difficulté (n’importe quel change, à une ou deux mains, pourra être utilisé).

Dans les deux cas, le « dummy » finit en main droite, empalmé, et il est déposé dans la poche avec le stylo. Ni vu, ni connu… Le mentaliste finit les mains vides et peut recevoir librement les applaudissements de l’audience.

Une routine simple et directe, avec un peu de « cold reading » pour justifier ou au moins vaguement expliquer la performance de l’artiste. Et rien de compliqué. Deux changes de base et une lecture secrète qui ne peut être repérée, puisqu’effectuée le dos tourné."

Cet article peut être considéré comme la suite de celui-ci de ce blog.

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous !


Extrait de mon livre sur un auteur révolutionnaire « Jean-Patrick Manchette, parcours d’une œuvre » (septième partie) (Humour et parodie).



  

Un autre roman de Jean-Patrick Manchette. 


En l’an 2000, j’ai publié un livre sur un auteur « révolutionnaire », Jean-Patrick Manchette.

Face à la crise que nous connaissons aujourd’hui, ses analyses sur notre société me paraissent être totalement d’actualité. Ici, son sens de l’humour et de la parodie excellent à décrire des situations analogues à celle que nous vivons en ce moment. Voilà pourquoi, j’ai décidé de partager avec vous l’essentiel de mon étude sur cet écrivain à travers plusieurs articles de ce blog.



«  HUMOUR ET PARODIE

Manchette s’est expliqué à ce sujet. De propos délibéré, il a choisi le roman policier pour pouvoir faire passer son message de critique sociale et contourner les défenses de la bourgeoisie. Cependant, son propos risquait vite de devenir austère pour le lecteur moyen, surtout, comme nous l’avons vu, du fait de l’utilisation d’un style impassible et sans rhétorique. Manchette emploie donc une arme universelle, ce qui n’a pas toujours été assez souligné, l’humour ! 

Pour cela, il s’attaque d’abord à des valeurs fortes, l’Art, les sphères du pouvoir, la police, pour montrer le ridicule de leur idéologie ou leur univers pitoyable. Il pratique un humour froid et décalé par rapport à sa propre narration et aux codes du roman policier, codes que le lecteur amateur connaît parfaitement. Cela crée entre l’auteur et celui-ci un esprit de connivence, une complicité, sorte de jeu intellectuel qui fait partie du plaisir de la lecture dans l’œuvre de Manchette.


Le ridicule : jeu de massacre sur les valeurs établies

Dès Laissez bronzer les cadavres !, Manchette s’en prend par le biais de l’humour à tout ce qui est considéré comme sacré ou intouchable dans la société.

D’abord l’Art. Luce, artiste-peintre sur le retour, a des théories complètement abracadabrantes sur la création et la peinture qui font sourire le lecteur. Celles-ci sont une dégénérescence des principes de l’art abstrait. Ainsi quand Gros réalise un tableau en tirant au pistolet, Luce lui dit:
« C’est la spontanéité qui fait la valeur d’une création.
— Quoi? demanda Gros.
— Tire, tire ; t’occupe pas de ce que je raconte. Tire. » (p. 8)

Les intellectuels, d’une façon générale, sont tournés en dérision à la fois du fait de leur prétention et du vide de leur pensée :
« S’il avait été intelligent, il aurait eu quelque chose de stirnerien, si vous voyez ce que je veux dire. Mais il n’était pas intelligent. » (L’Affaire N’Gustro, p. 7)
« L’homme, dit le colonel Jumbo qui a étudié Hegel quand il allait à la Sorbonne ; l’être négatif qui est uniquement dans la mesure où il détruit l’être. » (L’Affaire N’Gustro, p. 63)
Théories fumeuses, verbiages, citations plaquées dans la conversation, stéréotypes mentaux, tel est le lot de l’intelligentsia dans la plupart des romans.

De même Manchette se moque des hautes sphères du pouvoir, de la bourgeoisie et de sa prétention ennuyeuse dans Nada en la personne de la femme de l’ambassadeur Pointdexter.
« [...] on s’accordait à la trouver belle et racée dans le milieu des peine-à-jouir. Elle s’ennuyait beaucoup tout le temps depuis plus de quarante ans. Ils formaient un couple distingué. Ils faisaient chambre à part. Ils faisaient caca deux fois par jour. » (chap. 11)

La police aussi est allègrement ridiculisée par l’humour corrosif de l’auteur. La sagacité du gendarme Roux lui fait dire au sujet des hommes qui ont commis le hold-up:
« Ils sont loin, si vous voulez mon avis, conclut-il. » (p. 56)

Seul l’idiot du village est un admirateur des gendarmes :
« La profusion des uniformes le ravissait. Il bavait de plaisir. » (p. 248)

Même les truands sont mis à mal en des passages hilarants. Luce demande à Rhino si le métier de gangster est d’un bon rapport:
« Combien gagnez-vous par an ? demanda Luce.
— Il y a des frais, dit sèchement Rhino. » (p. 238)

Un humour décalé

Si l’humour de Manchette fonctionne si bien, c’est aussi qu’il est employé de façon imperturbable (sans commentaires comme le reste) et de façon décalée. L’auteur se moque de lui-même, de son propre roman, du genre qu’il investit, de ses scènes et de ses personnages stéréotypés.

Laissez bronzer les cadavres ! est bourré de ces clins d’œil narratifs. Ainsi la chemise de Gros est tachée par le sang d’un animal et il a droit à cette fine remarque (alors qu’il vient d’assassiner des gens dans un hold-up) :
« Cela vous va bien, dit Luce. » (p. 35)

De même quand il s’agit de tuer un animal:
« Je ne saurais pas les tuer, dit Luce.
— Moi, je saurais.
— J’imagine. Cela vous irait très bien. » (p. 36)

Cette forme d’humour culmine dans La Position du tireur couché, le dernier roman policier de Manchette, sans doute aussi le plus décalé et le plus parodique. Le titre même est un clin d’œil. Terrier, devenu minable serveur de brasserie, abandonné par celle qu’il a toujours aimée, Anne Freux, harcelé par les jeunes gens du village quand il s’adonne à l’alcool, ne trouve la paix que dans le sommeil quand il prend inconsciemment « la position du tireur couché ». Cette scène finale, qui donne son titre au livre, procédé qu’appréciait particulièrement Chandler (cf. Le Grand sommeil), est aussi un aboutissement dans l’art du clin d’œil au lecteur.

Tout au long du roman des indices avaient été donnés de cette autodérision, de cette distance par rapport au genre lui-même :

« Vous lisez trop de romans policiers, dit Terrier en riant. » (à un chauffeur de taxi qui lui dit qu’on les suit.) (chap. 13)

Distance vis-à-vis des personnages également, comme dans la superbe scène avec le réceptionniste où celui-ci décrit à Terrier avec une précision clinique tout ce qu’il a vu sur vingt-cinq lignes à la fa¬çon d’un personnage de Conan Doyle et conclut ainsi :
« Je ne sais pas quoi dire. [...]
Je crains de ne pas me rappeler grand-chose d’autre, en fait. Je ne suis pas très observateur et je n’ai pas fait très attention. » (chap. 9)

Jeux sur les mots

Il y a parfois dans les romans de Manchette de superbes calembours qui, noyés dans le roman, pourraient passer inaperçus (« La nuit blanche a fourbu le nègre. » L’Affaire N’Gustro, p. 205) ou alors des comparaisons hilarantes (« Il avait l’air aussi artiste qu’un régiment étranger de parachutistes. » Morgue pleine, chap. 19).

L’auteur sait aussi user à la perfection du comique de répétition et certaines scènes ne sont pas sans rappeler Molière. Ainsi, Gérard Sergent, qui est au courant des activités de semi-prostitution de sa sœur répète à plusieurs reprises cette réplique à Tarpon : « elle est restée pure. » (Morgue pleine, chap. 9)

Tous ces procédés font naître chez le lecteur attentif une jubilation encore accrue par la découverte qu’il fait d’un monde totalement personnel.»


   

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.