Comme je l'ai mentionné en première partie, cet ouvrage "Inquisiciones"n'a jamais été traduit en français.
Voici la
deuxième partie de ma synthèse bibliographique sur Borges et le bouddhisme.
5) « La
personalidad y el buddha »
Sur (Sud),
octobre-décembre 1950, numéros, 192-193-194
Cet article n’a
jamais été traduit en français.
Borges y évoque la comparaison déjà faite en 1890
par Edmund Hardy entre Bouddha et Jésus, l’hypothèse d’un Bouddha mythe solaire
par Emile Senart. On y trouve beaucoup d’éléments de sa vie mythique repris ensuite
dans la biographie légendaire de Qu’est-ce que le bouddhisme ? (les dieux, après ses années de privation dans la
montagne, croient qu’il est mort ; les armées de Mara le bombardent de
montagnes de feu qui se transforment, par la force de son amour, en palais de
fleurs).
Borges y parle du Milindapañha, les questions de Milinda, un petit traité du Canon Pali qui relate l'entretien entre le roi Indo-grec Ménandre (Milinda) et le moine bouddhiste Nagasena, originaire du Cachemire. Le texte aurait été écrit au
début de notre ère. Sous forme de questions et réponses, il y est évoqué les
grands problèmes de la religion bouddhiste : réalité de l’individu,
existence de l’âme, métempsycose, karma, samsara, nirvana. On y trouve
notamment la parabole du char du roi (livre 2, chapitre 1). Le char est composé
d’un timon, d’un essieu, de roues, d’une caisse, d’une hampe mais il est
impossible de définir le char, ce n’est qu’un mot, il n’y a pas de char. De
même Nagasena est en relation avec ses cheveux, ses poils, sa cervelle, ses
sensations, ses constructions psychiques, sa conscience mais ils ne sont pas
Nagasena. Sous le nom Nagasena, personne ne se trouve. De même qu’on dit
« char » pour un assemblage d’éléments, de même où se trouve un
certain groupement, on s’accorde à dire « être vivant ».
Puis Borges y évoque à nouveau le Visuddhimagga
(déjà cité), un des premiers traités bouddhistes, La voie de la pureté, qui déclare que tout homme est une illusion.
Il décrit ensuite les idées du moine Nagajurna, fondateur du Grand
Véhicule, qui a été le grand spécialiste du principe de la vacuité. La pensée
de celui-ci est extrême. Il a créé l’école Madhyamaka qui se base sur son
livre La voie du milieu. À la suite du Bouddha, les Madhyamaka mettent en
cause l'existence intrinsèque des phénomènes, en général, et de soi-même, en
particulier. Ils professent donc la vacuité, Sunyata, de tous les phénomènes
sans exception. C'est l'objet du chapitre 15 de La voie du milieu, qui est le chapitre central de l'ouvrage. Nagarjuna y déclare, par
exemple:
« Dire « il y a » c'est prendre les choses comme éternelles,
dire « il n'y a pas » c'est ne voir que leur anéantissement. C'est
pourquoi l'homme clairvoyant ne s'attachera ni à l'idée d'être ni à l'idée de
non-être. »
Borges adore
cette métaphysique qui peut paraître à la fois désespérante et déconcertante.
Il se régale aussi du fait que les littératures de l’Inde semblent, à la
différence des nôtres, n’avoir pas d’auteurs. « Il est commun, dit-il de
les attribuer à des écoles déterminées, des familles ou des communautés de
moines, ou même à des êtres mythiques. »
6) Qu’est-ce que le bouddhisme ? (1976)
Synthèse de
conférences données au Collège Libre d’études supérieures.
Ce livre est
déjà développé dans mes articles précédents.
7) Le
Bouddhisme in Sept nuits (1980) in
Œuvres complètes, tome 2, 1999, La pléiade, in Conférences.
C’est une des sept
conférences donnée au Teatro Coliseo de Buenos Aires. Elle a été lue le 6
juillet 1977. Elle a été reprise dans le volume Conférences.
Je ne vous
donnerai que quelques pistes. Il faut que vous lisiez le texte de Borges.
L’écrivain argentin constate que le bouddhisme est une religion de
tolérance : « Il n’a jamais eu recours au fer ou au feu, il n’a
jamais pensé que le fer et le feu étaient des moyens de persuasion. […] Un bon
bouddhiste peut être luthérien, méthodiste, presbytérien, calviniste,
shintoïste, taoïste ou catholique, il peut en toute liberté faire du
prosélytisme pour l’islam ou la religion juive. Toutefois, il n’est pas permis
à un chrétien, à un juif ou à un musulman d’être bouddhiste. »
D’une
discussion que Borges a avec un ami bouddhiste, il ressort qu’il n’est même pas
important de croire à l’existence historique du Bouddha. Celui-ci lui dit que
« croire à l’existence historique du Bouddha ou s’y intéresser, c’est un
peu comme confondre l’étude des mathématiques avec la biographie de Pythagore
ou de Newton ». L’important, c’est d’adhérer à la Doctrine du Bouddha.
Borges aborde
le problème du karma, de la réincarnation, puis celui du moi, exactement comme
dans « Futilité du culte du moi ». En voici un extrait significatif :
«
Une des désillusions majeures est celle du moi. En cela le bouddhisme est
d’accord avec Hume, avec Schopenhauer et avec notre Macedonio Fernandez. Il n’y
a pas un sujet pensant mais une série d’états mentaux. Si je dis « je pense »,
je commets une erreur car je suppose un sujet constant puis l’œuvre de ce
sujet, qui est la pensée. Il n’y a rien de tel. Il faudrait dire, note Hume,
non pas « je pense » mais « il est pensé » comme on dit « il pleut ». En disant
« il pleut » nous ne pensons pas que la pluie exerce une action, non, il se
passe quelque chose. »
La
conclusion est exemplaire :
« Mes
propos d’aujourd’hui sont fragmentaires. Il eût été absurde que je vous expose
une doctrine à laquelle j’ai consacré de si nombreuses années – et qu’à vrai
dire j’ai peu comprise – comme on exhibe une pièce de musée. Pour moi le
bouddhisme n’est rien de tel : c’est une voie de salut. Non pas pour moi
seulement mais pour des millions d’hommes. C’est la religion la plus répandue
dans le monde et, en vous l’exposant ce soir, je pense l’avoir traitée avec
tout le respect qu’elle mérite. »
Je ne sais pas
quelle était la situation des religions à l’époque de Borges mais actuellement
le bouddhisme est la quatrième religion, après le christianisme, l’Islam et
l’hindouisme ( !).
La suite donc
au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou
dans les séries télévisées américaines actuelles. Amicales salutations.