lundi 20 juillet 2015

Borges et le bouddhisme, synthèse bibliographique (deuxième partie)



Comme je l'ai mentionné en première partie, cet ouvrage "Inquisiciones"n'a jamais été traduit en français.


Voici la deuxième partie de ma synthèse bibliographique sur Borges et le bouddhisme.

5) « La personalidad y el buddha »
Sur (Sud), octobre-décembre 1950, numéros, 192-193-194
Cet article n’a jamais été traduit en français.

Borges y évoque la comparaison déjà faite en 1890 par Edmund Hardy entre Bouddha et Jésus, l’hypothèse d’un Bouddha mythe solaire par Emile Senart. On y trouve beaucoup d’éléments de sa vie mythique repris ensuite dans la biographie légendaire de Qu’est-ce que le bouddhisme ? (les dieux, après ses années de privation dans la montagne, croient qu’il est mort ; les armées de Mara le bombardent de montagnes de feu qui se transforment, par la force de son amour, en palais de fleurs).

Borges y parle du Milindapañha, les questions de Milinda, un petit traité du Canon Pali qui relate l'entretien entre le roi Indo-grec Ménandre (Milinda) et le moine bouddhiste Nagasena, originaire du Cachemire. Le texte aurait été écrit au début de notre ère. Sous forme de questions et réponses, il y est évoqué les grands problèmes de la religion bouddhiste : réalité de l’individu, existence de l’âme, métempsycose, karma, samsara, nirvana. On y trouve notamment la parabole du char du roi (livre 2, chapitre 1). Le char est composé d’un timon, d’un essieu, de roues, d’une caisse, d’une hampe mais il est impossible de définir le char, ce n’est qu’un mot, il n’y a pas de char. De même Nagasena est en relation avec ses cheveux, ses poils, sa cervelle, ses sensations, ses constructions psychiques, sa conscience mais ils ne sont pas Nagasena. Sous le nom Nagasena, personne ne se trouve. De même qu’on dit « char » pour un assemblage d’éléments, de même où se trouve un certain groupement, on s’accorde à dire « être vivant ».

Puis Borges y évoque à nouveau le Visuddhimagga (déjà cité), un des premiers traités bouddhistes, La voie de la pureté, qui déclare que tout homme est une illusion.

Il décrit ensuite les idées du moine Nagajurna, fondateur du Grand Véhicule, qui a été le grand spécialiste du principe de la vacuité. La pensée de celui-ci est extrême. Il a créé l’école Madhyamaka qui se base sur son livre La voie du milieu. À la suite du Bouddha, les Madhyamaka mettent en cause l'existence intrinsèque des phénomènes, en général, et de soi-même, en particulier. Ils professent donc la vacuité, Sunyata, de tous les phénomènes sans exception. C'est l'objet du chapitre 15 de La voie du milieu, qui est le chapitre central de l'ouvrage. Nagarjuna y déclare, par exemple:

« Dire « il y a » c'est prendre les choses comme éternelles, dire « il n'y a pas » c'est ne voir que leur anéantissement. C'est pourquoi l'homme clairvoyant ne s'attachera ni à l'idée d'être ni à l'idée de non-être. »

Borges adore cette métaphysique qui peut paraître à la fois désespérante et déconcertante. Il se régale aussi du fait que les littératures de l’Inde semblent, à la différence des nôtres, n’avoir pas d’auteurs. « Il est commun, dit-il de les attribuer à des écoles déterminées, des familles ou des communautés de moines, ou même à des êtres mythiques. »

Synthèse de conférences données au Collège Libre d’études supérieures.
Ce livre est déjà développé dans mes articles précédents.

7) Le Bouddhisme in Sept nuits (1980) in Œuvres complètes, tome 2, 1999, La pléiade, in Conférences.
C’est une des sept conférences donnée au Teatro Coliseo de Buenos Aires. Elle a été lue le 6 juillet 1977. Elle a été reprise dans le volume Conférences.

Je ne vous donnerai que quelques pistes. Il faut que vous lisiez le texte de Borges. L’écrivain argentin constate que le bouddhisme est une religion de tolérance : « Il n’a jamais eu recours au fer ou au feu, il n’a jamais pensé que le fer et le feu étaient des moyens de persuasion. […] Un bon bouddhiste peut être luthérien, méthodiste, presbytérien, calviniste, shintoïste, taoïste ou catholique, il peut en toute liberté faire du prosélytisme pour l’islam ou la religion juive. Toutefois, il n’est pas permis à un chrétien, à un juif ou à un musulman d’être bouddhiste. »

D’une discussion que Borges a avec un ami bouddhiste, il ressort qu’il n’est même pas important de croire à l’existence historique du Bouddha. Celui-ci lui dit que « croire à l’existence historique du Bouddha ou s’y intéresser, c’est un peu comme confondre l’étude des mathématiques avec la biographie de Pythagore ou de Newton ». L’important, c’est d’adhérer à la Doctrine du Bouddha.
Borges aborde le problème du karma, de la réincarnation, puis celui du moi, exactement comme dans « Futilité du culte du moi ». En voici un extrait significatif :

« Une des désillusions majeures est celle du moi. En cela le bouddhisme est d’accord avec Hume, avec Schopenhauer et avec notre Macedonio Fernandez. Il n’y a pas un sujet pensant mais une série d’états mentaux. Si je dis « je pense », je commets une erreur car je suppose un sujet constant puis l’œuvre de ce sujet, qui est la pensée. Il n’y a rien de tel. Il faudrait dire, note Hume, non pas « je pense » mais « il est pensé » comme on dit « il pleut ». En disant « il pleut » nous ne pensons pas que la pluie exerce une action, non, il se passe quelque chose. »

La conclusion est exemplaire :
« Mes propos d’aujourd’hui sont fragmentaires. Il eût été absurde que je vous expose une doctrine à laquelle j’ai consacré de si nombreuses années – et qu’à vrai dire j’ai peu comprise – comme on exhibe une pièce de musée. Pour moi le bouddhisme n’est rien de tel : c’est une voie de salut. Non pas pour moi seulement mais pour des millions d’hommes. C’est la religion la plus répandue dans le monde et, en vous l’exposant ce soir, je pense l’avoir traitée avec tout le respect qu’elle mérite. »

Je ne sais pas quelle était la situation des religions à l’époque de Borges mais actuellement le bouddhisme est la quatrième religion, après le christianisme, l’Islam et l’hindouisme ( !).

La suite donc au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées américaines actuelles. Amicales salutations.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire