jeudi 16 avril 2015

La mnémotechnie selon Aristote



Apollon, le dieu des Arts, Mnémosyne, la déesse de la Mémoire et ses filles, les neuf Muses



Jour 4 



Sur la mémoire et la mnémotechnie,
compte rendu du livre
de Benoît Rosemont



Chapitre 6, Principes de la mnémotechnie : Aristote

Aristote a exposé sa théorie sur la mémoire dans un ouvrage intitulé De anima. Selon lui, les perceptions données par les cinq sens sont d’abord traitées par la faculté de l’imagination. Les images ainsi formées deviennent le matériau de la faculté intellectuelle. C’est sur la formation de ces images que s’appuie la mnémotechnique. L’imagination est l’intermédiaire entre la perception et la pensée, d’où son importance. Ainsi, alors que toute connaissance dérive, en dernière analyse, d’impressions sensorielles, ce n’est pas sur cette matière brute que la pensée travaille, mais seulement une fois que ces impressions ont été traitées ou absorbées par la faculté imaginative.
C’est pour cela qu’un bon mnémotechnicien est avant tout capable de générer des images inventives et efficaces.

Lorsque vous chercherez une image, dites-vous que la première est la bonne… sauf si elle est trop évidente. En effet, si elle est trop évidente, elle passera pour ordinaire et marquera moins la mémoire. En revanche, si elle est spontanée, c’est qu’elle est logique et qu’elle vous guidera naturellement. Il faut bien peser ces deux critères lorsqu’on crée une image mnémonique.
Les débuts pourront vous sembler laborieux, tout dépend de l’utilisation actuelle que vous faites de votre imagination. Ce qui est certain, c’est que plus vous ferez appel à elle, plus elle se développera, et votre capacité à mémoriser aussi.
D’une manière générale, il faut retenir deux principes : l’association et l’ordre. L’association, selon Aristote, se produit du fait de trois éléments : la ressemblance, la différence ou la contiguïté. Il y introduit la méthode des lieux de mémoire pour illustrer les remarques qu’il fait sur l’association et l’ordre dans le processus du souvenir.

Benoît Rosemont a isolé de la pensée de ce philosophe six principes sur la mémoire :

Pour associer deux images, il faut qu’elles n’en forment plus qu’une. Il est impératif de prendre la première, puis de prendre la seconde et de créer une nouvelle image à partir de ces deux-là. Pour cela, il faut les modifier. Je vais en donner un exemple très concret après avoir passé en revues les six principes pour la mémoire.

Pour bien marquer l’esprit, mettez vos images en mouvement, créez des actions. C’est plus mémorisable qu’une représentation statique.

Placez vos images dans un contexte précis. Il faut qu’elles racontent une histoire. Cela vous prendra du temps au début, mais avec l’entraînement, cela viendra naturellement et rapidement.

N’hésitez pas à déformer les images, les agrandir exagérément, jouer sur le surnombre. Tout ce qui sort de l’ordinaire se retient mieux. Plus l’image est incongrue, mieux elle sera retenue.
Concevoir, mais voir ! Il ne faut pas se contenter de concevoir les images, mais il faut les voir. Lors de vos premiers exercices, prenez le temps de fermer les yeux quelques instants, et de voir sur le tableau noir de vos paupières les images que vous formez.

Il faut que tout cela vous soit personnel, c’est pour cela que, même s’il est plus facile de choisir les images que je vous suggère, il est préférable que vous fassiez l’effort de créer les vôtres. Relisez au moins trois fois ce principe !

Pour que vous compreniez bien la méthode d’association de deux images, nous allons faire un petit exercice entièrement pratique. Il s’agira pour nous (vous et moi) d’associer l’image d’un « hérisson » avec celle d’une « H.L.M. ».

D’abord, voyons ce qu’il ne faut pas faire :
Imaginer le hérisson à côté de la H.L.M. car il est trop petit et deviendrait invisible.
Poser le hérisson sur la H.L.M., car vous vous souviendriez qu’il y a quelque chose sur l’immeuble, mais vous ne sauriez pas quoi.

Maintenant, construisons ensemble une association durable entre les deux images que nous avons choisies en respectant un certain nombre de règles :

Le hérisson doit courir dans la H.L.M. (un peu à la manière d’un dessin animé, quand le chat et la souris se coursent dans la maison en passant par toutes les portes du couloir) : une image en mouvement se mémorise mieux, c’est la première règle.

Il y a le feu dans l’immeuble, c’est pour cela que tout le monde court : une image chargée émotionnellement, dramatique, se retient mieux, c’est la deuxième règle.

Il y a plein de hérissons, et ils sont de la taille d’un chien ! En plus, ils savent grimper aux murs. Ici trois principes : premièrement, une image à personnages multiples se grave mieux dans l’esprit, en deuxième lieu une image grandiose, gigantesque, impressionne plus la mémoire, et, pour finir, une image étrange, impossible, inattendue s’incruste définitivement dans notre cerveau.

Définissez vous-même la quatrième règle. C’est à vous de travailler, de faire marcher votre imagination. Vous le pouvez. Tout le monde le peut.

Notre image finale sera donc une H.L.M. où il y a le feu, où courent des hérissons gigantesques qui peuvent, soit grimper aux murs, soit pointer leur tête aux fenêtres pour essayer d’échapper à l’incendie. Vous verrez que vous n’oublierez jamais cette image mentale.
Mais vous vous dites peut-être qu’il faut beaucoup d’imagination pour créer ces images et vous pensez ne pas l’avoir. Je peux vous affirmer que tout le monde fait des progrès, cependant il faut travailler régulièrement. Benoît Rosemont a fait des exercices de mnémotechnie tous les jours pendant quinze ans. Personnellement, j’ai commencé ces exercices d’associations d’images en apprenant ma table de rappel en 1983 (nous verrons cette méthode géniale qui permet de retenir des dizaines de mots par cœur dans mes prochains articles) et c’est en travaillant que j’ai développé mon imagination (en même temps d’ailleurs que ma créativité).

En résumé, le point primordial est de marquer l’esprit en exagérant les associations, en les rendant uniques, en y mettant une émotion intense. Vous vous souvenez probablement de beaucoup de détails liés à la naissance de votre premier enfant ou alors au décès d’un proche. Vous vous rappelez le temps qu’il faisait, la couleur de votre tenue…

Le 11 septembre 2001, lorsque les avions se sont écrasés sur les tours à New York, où étiez-vous ? La plupart d’entre nous est capable de le dire avec précision. Je m’en souviens parfaitement : j’étais à Radio France ; la nouvelle a fait l’effet d’un coup de pied dans une fourmilière. Tout le monde courait partout et j’attendais bêtement tout seul pour une interview. Pourquoi je m’en souviens, pourquoi vous vous en souvenez, c’est parce que nous avons eu l’occasion de faire un lien fort. Une intense émotion à la fois d’horreur et d’incompréhension a été générée en nous, qui nous a marqués profondément et a fait que nous nous ressouviendrons toujours de ce jour tragique dans ses moindres détails.

Le processus sera le même avec les exercices de ce blog : il faudra que vous formiez des images uniques avec une émotion intense. Si l’image qui vous vient à l’espritvous dérange, vous heurte dans votre sensibilité, alors vous vous en souviendrez. N’oubliez pas que vous êtes seul à savoir ce que vous pensez. Donc, libérez- vous !
Plus il y aura d’émotions liées à vos images, plus il y aura de liens créés, donc plus les images seront codées dans votre mémoire. Et plus le codage créé dans votre mémoire à court terme sera riche, plus vous aurez de moyens pour retrouver l’information dans votre mémoire à long terme.


Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. La suite au prochain numéro !