jeudi 26 mars 2020

« Le mot et la mouche » du poète René Daumal, un conte magique.


René Daumal.



" Un magicien avait coutume de divertir son monde du petit tour que voici. Ayant bien ventilé la chambre et fermé les fenêtres, il se penchait sur une grande table d’acajou et prononçait attentivement le mot «mouche». Et aussitôt une mouche trottinait au milieu de la table, tâtant le vernis de sa petite trompe molle et se frottant les pattes de devant comme n’importe quelle mouche naturelle. Alors, de nouveau, le magicien se penchait sur la table et prononçait encore le mot «mouche». Et l’insecte tombait raide sur le dos, comme foudroyé. En regardant son cadavre à la loupe, on ne voyait qu’une carcasse vide et sèche, ne renfermant aucun viscère, aucune humeur, aucune lueur dans les yeux à facettes. Le magicien regardait alors ses invités avec un sourire modeste, quêtant les compliments, qu’on lui accordait comme il se doit.

J’ai toujours trouvé ce tour assez misérable. A quoi aboutissait-il? Au commencement, il n’y avait rien, et à la fin il y avait un cadavre de mouche. La belle avance! Il fallait encore se débarrasser des cadavres — encore qu’une vieille admiratrice du magicien les collectionnât, quand elle pouvait les ramasser à la dérobée. Cela faisait mentir la règle: « jamais deux sans trois». On attendait une troisième profération du mot «mouche», qui eût fait disparaître sans traces le cadavre de l’insecte ; ainsi toutes choses à la fin eussent été comme au commencement, sauf dans nos mémoires, déjà bien assez encombrées sans cela.

Je dois préciser que c’était un assez médiocre magicien, un raté qui, après s’être essayé avec aussi peu de bonheur à la poésie et à la philosophie, avait transporté ses ambitions dans l’art des prestiges; et même là, il lui manquait encore quelque chose."

Voilà. C'est tout pour le moment. Amitiés à tous !

Vie et œuvre du magicien Tony Slydini.






Tony Slydini.


Tony Slydini (1901-1991) est né en Italie. Son vrai nom est Quintino Marucci. Slydini est le fils d'un magicien amateur qui l'a encouragé dès son plus jeune âge à persévérer dans la prestidigitation. C'est la psychologie de cet art qui a attiré le jeune Tony au début, ce qui permettra à Slydini de devenir un expert dans l'utilisation du détournement d'attention. Il a également été intéressé par la relation qui se crée entre le magicien et son public, ce qui l'amena à devenir un artiste de close-up.

Encore jeune, Slydini et sa famille ont quitté l'Italie pour l'Argentine. C'est là-bas que Slydini commence sérieusement la magie. « En Argentine, dit-il, j'ai créé ma propre magie. Il y avait plusieurs moyens pour y arriver. J'ai pris le plus direct. J'ai créé la magie ».

Slydini travaille quelque temps en Amérique du Sud dans un spectacle de music-hall, mais bientôt la crise arrive et le travail devient rare. En 1930, il déménage à New York, mais où le travail reste rare, particulièrement pour un jeune homme qui ne parle pas anglais. Finalement Slydini trouve du travail dans un musée de la 42ème avenue. A partir de là, il continue dans les carnavals et divers attractions.

Alors que Slydini rendait visite à sa sœur à Boston, il en profita pour chercher du travail. Par chance, il y rencontra un impresario qui lui trouva un travail rémunéré 15$ par jour pendant 3 jours. Tous ceux qui purent l'admirer pendant ces 3 jours ont remarqué son professionnalisme, et notamment un autre impresario qui lui offrit un autre travail. Il continua ainsi quelques temps ; Slydini travailla à Boston pendant 7 ans. Mais New York rappelait le désormais célèbre Slydini, et il y déménagea à nouveau.

Il est important de noter, qu'à cette époque, le close-up n'existait pas comme aujourd'hui. Le close-up n'était présenté qu'en première partie des spectacles de scène. Slydini ouvrit de nouvelles perspectives mais il était le seul à s'en rendre compte. C'est en 1945, à la nouvelle Orléans, qu'il prit pleinement conscience des nouveaux aspects de la magie qu'il explorait.

A ce moment, à la nouvelle Orléans, il y avait un congrès de magie où Slydini en profita pour montrer ce qu'il apportait de nouveau à la magie. « Personne ne reconnaissait l'art du close-up en tant que tel, dit-il, on ignorait que j'avais trouvé quelque chose d'aussi beau. Même les magiciens ne savaient pas ce que c'était. A la Nouvelle Orléans j'ai eu une standing ovation de 20 minutes. Les gens ont dit : "La magie de Slydini c'est autre chose." ».
   
Évidemment Slydini n'a pas inventé le close-up ; il existait depuis des siècles. Mais le style de close-up de Slydini était quelque chose de nouveau. Slydini était le premier à montrer le close-up comme un art à part entière et non comme une simple entrée en matière pour des grandes illusions.

La magie de Slydini était improvisée : au lieu de prévoir un enchaînement de tours, il laissait les spectateurs lui dicter son spectacle. Il disait, « je fais mieux un tour si j'aime ce tour, mais, si le public l'aime et que moi je ne l'aime pas, je le fais quand même pour eux. »

Mais pour Slydini, la magie c'est bien plus que des tours. « Il faut connaître tous les détails, car à chaque instant, il se passe quelque chose. Il faut comprendre chaque moment. Il faut savoir tenir son public, le distraire. Vous devez avoir conscience de la signification de tout ce que vous faites, des mouvements de votre corps, où regarder et comment vous asseoir ou vous tenir debout ».

C'était un homme d'un charme européen, d'un esprit vif, d'une indéniable habileté et subtilité. Slydini prenait beaucoup de plaisir à faire ses spectacles, autant devant des profanes que devant des magiciens. Il faisait ses spectacles avec beaucoup de précision, de grâce et d'intelligence et était capable de surprendre tous ses spectateurs aussi bien que de les distraire. Dick Cavett a demandé, un jour, à Dai Vernon qui pouvait encore le duper. Le Professeur répondit comme un regret, « personne », puis rajouta avec un sourire, « Si bien sûr, Tony ».

Voilà. C'est tout pour aujourd'hui. Amitiés à tous.