Un méditant sur la voie difficile du bouddha
Au début, pendant la méditation sur le souffle (anapana-sati) ou le metta-bhavana (méditation de la bienveillance), nous
sommes constamment perturbés par les pensées parasites, qui expriment les
problèmes qui nous habitent, les souvenirs, les projets, les désirs, les peurs.
Le flux ne semble jamais devoir finir, comme
si le fait de demeurer immobile activait le processus mental. La question
se pose alors : quelle attitude adopter vis-à-vis de ces pensées qui
« marchent toutes seules », sans que notre volonté intervienne.
Certains enseignements
préconisent de les chasser avec vigueur, d’autres (les plus nombreux) de les
laisser dérouler leur fil sans s’y attacher. Alors les pensées deviendront
semblables aux nuages qui passent dans un ciel bleu sans le perturber.
Face à cette difficulté,
l’attitude juste est, comme souvent en bouddhisme, la voie moyenne : elle
consiste à remonter l’enchaînement des pensées jusqu’au moment où nous avons
perdu le fil de notre présence mentale. (Ce procédé est extrait du livre d’Erik
Sablé Les 7 clés de la méditation).
Pendant l'anapana-sati, il faut s’arrêter un instant dans
le souffle, entre deux inspirations-expirations. On s’apercevra que l’on s’est
évadé psychiquement. Une pensée-racine, un son qui nous est arrivé du passé, le
chant d’un oiseau, nous a fait penser à un arbre que nous escaladions enfant,
puis à la maison où nous passions nos vacances, puis à notre famille, etc. Lorsque cette pensée racine (le chant de l’oiseau) a
terminé son cycle, une autre sensation, une autre image, un autre souvenir crée
un nouveau cycle de pensées. Les cycles se suivent et les pensées s’enchaînent
sans fin, agréables ou désagréables, chargées d’inquiétude, de passions ou
d’amertume. Parfois notre paysage mental s’anime brusquement lorsqu’une émotion
de désir ou de colère nous habite et les pensées se mettent à tourner beaucoup
plus vite dans notre esprit.
Mais attention, remonter
l’enchaînement des pensées est beaucoup plus difficile qu’il ne le semble car
le mental n’aime pas être vu. La lumière de la pleine conscience le gêne et il
fera tout pour se perpétuer en dehors de cette conscience témoin. Mais, si nous
persistons dans cette pratique de remonter dans les pensées, elle finira par
nous paraître beaucoup plus facile.
Cet exercice est aussi un moyen
de connaître le fonctionnement du mental. Si nous chassons les pensées ou si
nous les laissons dérouler leur fil, nous ne pourrons pas connaître leur
mécanisme. Cette pratique donne le recul nécessaire nous permettant de savoir
le pourquoi de notre identification à nos pensées. En remontant le fil, nous
verrons qu’elles visent seulement à perpétuer l’ego, le moi.
Si nous sommes attentifs, nous
nous apercevrons que le moi n’existe qu’au travers du déroulement des pensées.
Il est ce « je » qui se perpétue à travers leur flux. C’est pour cela
que nous vivons entièrement au niveau de notre pensée, que toutes nos
expériences sont accompagnées par elle. Sans les pensées, le moi tombe, il
n’existe plus.
Or le moi veut vivre, s’éprouver,
se perpétuer. Comme il se sent exister à travers le mouvement des pensées, il
les suscite pour pouvoir se sentir vivre à travers elles. L’arrêt de nos
pensées est perçu comme une crise dépressive, une mort par le moi et cela lui est insupportable. A la
racine de l’effervescence mentale se trouve l’angoisse du moi de ne plus avoir d'activités, de ne plus
exister. Le moi craint par-dessus tout de disparaître, d’être nié, rejeté.
Il est important de ne pas
considérer les pensées comme des « ennemis » mais comme des amis un peu
agités, un peu perturbants, mais avec lesquels nous pouvons dialoguer en étant
à l’écoute de ce qu'ils veulent signifier.
Au fil de cette analyse qui
remonte à la racine de la pensée, le processus sera « vu » dans sa
réalité et ce flux se détachera de notre conscience profonde. Il se déroulera à
une certaine distance sans affecter réellement notre être. Des plages de silence
s’installeront de plus en plus souvent, elles seront de plus en plus longues. Un
silence encore coupé de pensées mais qui se font lointaines, jusqu’au moment où
le silence deviendra le fond sur lequel se déroulera notre vie (ce qui est la caractéristique des grands méditants).
Voilà. C’est tout pour
aujourd’hui.
La suite au prochain numéro comme
dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries
télévisées américaines actuelles.
Amitiés à tous.