Un traité considérable évoquant en profondeur la mnémotechnie.
Le premier livre que j’ai lu sur
l’histoire de la mnémotechnie est un ouvrage formidable, une étude de
référence, L’art de la mémoire de
l’historienne britannique Frances Yates.
Elle étudie cet art depuis l’utilisation qu’en faisaient les orateurs de
l’Antiquité jusqu’à la forme occultiste qu’il prit à la Renaissance et au début
du XVII ème siècle en passant par la métamorphose morale que le Moyen Age
gothique lui fit subir. Sont abordés notamment des orateurs latins puis Giulio
Camillo, Giordano Bruno, Pierre de La Ramée et Robert Fludd.
Frances Yates recense d’abord les
trois premières sources latines sur la mnémotechnie : La rhétorique à Hérennius (d’auteur inconnu, écrite vers 86-82
avant Jésus-Christ), chapitre 4 consacré à la mémoire, L’Institution oratoire de
Quintilien (35-96 après Jésus-Christ), De
l’orateur de Cicéron (106-43 avant Jésus-Christ).
Aujourd’hui, j’évoquerai La rhétorique à Hérennius qui est le
plus détaillé des traités latins.
Un maître de rhétorique romain
dont nous ignorons le nom a rédigé, vers 86-82 avant Jésus-Christ, un manuel
pratique pour ses étudiants intitulé Rhétorique
à Hérennius. Ce texte anonyme ne nous est donc parvenu sans autre
information que le nom de son dédicataire. Ce maître traite des cinq parties de
la rhétorique (inventio, dispositio, elocutio, memoria, pronuntiato).
Quand il
en arrive à la mémoire, comme partie essentielle du bagage de l’orateur, il
commence son exposé par ces mots : «Tournons-nous maintenant vers la salle au
trésor des inventions, vers le gardien de toutes les parties de la rhétorique,
la mémoire. » Ensuite, l’auteur distingue deux sortes de mémoires :
1) La mémoire naturelle, gravée dans notre esprit et née en
même temps que la pensée.
2) la mémoire artificielle, qui est une mémoire renforcée ou
consolidée par l’exercice.
La Rhétorique à Hérennius est la
source principale sur l’art classique de la mémoire des Grecs et des Latins,
car les remarques de Quintilien et de Cicéron ne constituent pas des traités complets
et supposent que le lecteur connaît déjà la mémoire artificielle et sa
terminologie. Ce traité jouera aussi un rôle d’une importance capitale pour la
transmission de l’art de mémoire de l’Antiquité au Moyen Âge.
Les règles de la Rhétorique à
Hérennius.
1) Règles pour les lieux.
La mémoire artificielle est
fondée sur des lieux et des images. Les lieux doivent être aisément retenus par
la mémoire : maison, rue… Les images sont des formes ou des symboles de ce dont
nous désirons nous souvenir.
L’art de la mémoire est comme une
écriture intérieure car les lieux ressemblent beaucoup à des tablettes enduites
de cire ou à des papyrus, les images à des lettres, l’arrangement et la
disposition des images à l’écriture.
Si nous voulons nous rappeler
beaucoup de choses, nous devons nous munir d’un grand nombre de lieux. Ces
lieux doivent être choisis dans un bâtiment de taille moyenne, peu fréquenté ou
désert et solitaire, pas trop brillamment éclairé. Un homme qui se déplace
lentement dans un bâtiment solitaire et s’arrête de temps à autre, le visage
attentif, est un étudiant en rhétorique qui forge un ensemble de lieux de
mémoire… Des lieux de mémoire bien fixés peuvent être parcourus dans les deux
directions : en avant ou en arrière. Ce qui explique les capacités de Sénèque
le Rhéteur ou de l’ami de Saint Augustin à réciter à l’envers.
2) Règles pour les images.
Il y a deux types d’images. La
mémoire « pour les choses » fabrique des images pour rappeler un argument, une
idée ou une « chose », tandis que la mémoire « pour les mots » doit trouver des
images pour rappeler chaque mot.
Il faut aider la mémoire en
suscitant des chocs émotionnels à l’aide d’images frappantes et inhabituelles,
belles ou hideuses, comiques ou grotesques.
Nous devons donc créer des images
capables de rester le plus longtemps possible dans la mémoire. Et nous y
réussirons si nous établissons des ressemblances aussi frappantes que possible
; si nous créons des images qui ne soient ni nombreuses ni vagues mais actives ;
si nous leur attribuons une beauté exceptionnelle ou une laideur particulière ;
si nous les enlaidissons d’une façon ou d’une autre, en introduisant par
exemple une personne tachée de sang, souillée de boue ou couverte de peinture
rouge de façon à ce que l’aspect en soit plus frappant ; ou encore si nous
donnons un effet comique à nos images. Mais une condition est essentielle : il
faut régulièrement parcourir en esprit tous les lieux originaux pour raviver
les images.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.