Le livre de Harry Houdini
Fanch Guillemin, outre le fait d’être une personne très chaleureuse et
très sympathique, est selon moi un de nos meilleurs historiens de la
prestidigitation. Il est l’égal, à mon avis, de grandes sommités comme
l’américain William Kalush, l’allemand Volker Huber, l’écossais
Edwin Dawes ou l’italien Mariano
Tomatis.
Comme ce blog porte sur le mentalisme, je vais évoquer
aujourd’hui la double vue (ou télépathie) (voir aussi cet article
et celui-ci ).
Avant toute chose, il faut signaler un débat qui
existe en histoire de la prestidigitation. Robert-Houdin a-t-il inventé le
numéro de seconde vue en novembre 1845 ou a-t-il eu des précurseurs ?
Personnellement, je pense qu’il l’a porté à un grand niveau de perfection mais
que, constamment dans la littérature magique, il y a eu des allusions à ce
thème. J’ai, pour étayer mon argumentation, deux sources : Mentalistes de jadis de Fanch Guillemin
et Pierre Taillefer et The Unmasking of Robert-Houdin de Harry Houdini (qui en plus d’être magicien était un grand
collectionneur). Dans Mentalistes de
jadis, p.14, dans le chapitre sur « La divination des pensées (seconde
vue, codes, bandeau sur les yeux) », les auteurs citent le livre du moine
franciscain Luca Pacioli (fin du XV ° siècle) De Viribus Quantitatis, où diverses techniques de transmissions de
pensées truquées sont exposées (utilisation de compères, communication par code
avec un enfant éduqué à cet effet) : « Tu pourras aussi apprendre à
cet enfant, tout en étant enfermé ou en ne regardant pas, à deviner quelle
carte a été prise par des spectateurs sans les voir. Il faudra pour cela te
mettre d’accord avec lui grâce à des nombres : en donnant un numéro aux
figures et aux cartes selon les tours et selon un accord passé entre vous, vous
divertirez grandement la galerie […]. »
Quant à Harry Houdini dans The Unmasking of Robert-Houdin, chapitre
7 “Second sight” (p. 209 dans l’édition que je possède), il cite deux
magiciens qui, selon lui, pratiquaient la télépathie truquée avant Robert-Houdin,
l’allemand Philip Breslaw et l’italien Giuseppe Pinetti. Houdini donne même
(p. 210) la copie d’un programme de Pinetti dans le London Post de décembre 1784 où il est question de double vue. Il
note aussi que Henri Decremps dans son ouvrage La magie blanche dévoilée propose déjà en 1784 un tour de seconde
vue « Les cartes devinées, les yeux bandés » (chapitre 14).
Dans son ouvrage l’Histoire
de la magie blanche avant Robert-Houdin, Fanch Guillemin parle des mémoires du marquis de Bombelles où celui-ci
semble certain d’avoir été abusé par un numéro de télépathie truquée.
Le 15 avril 1785, le marquis de Bombelles assista à
Paris à une séance de double vue présentée par le marquis de Puységur, disciple de Mesmer, et sa somnambule
Magdeleine. Cette dernière, les yeux bandés, indiquait les objets « pensés »
et accomplissait des gestes désirés « mentalement » par les
spectateurs.
Voici un extrait des mémoires du marquis de Bombelles
(1744-1822) :
« Dès que Magdeleine a été endormie, M. de
Puységur nous a dit qu’en mettant l’un de nous en communication avec elle, nous
lui ferions faire ce que nous voudrions…
Madame de Genlis annonçait dans sa contenance qu’en
cédant à la curiosité, elle ne venait que pour être plus certaine de voir de
misérables tours de gobelets. Cependant, elle a paru aussi surprise que nous du
fait suivant… On avait bandé les yeux à Magdeleine.
M. de Jarnac, tout en plaisantant à part lui, a pensé
sans que rien ne pût dénoter cette pensée, qu’il voulait que Magdeleine sentit
le bouquet de Madame de Genlis. Elle a obéi à cette pensée avec précision… Le
Comte de Puisigneux avait mis dans sa poche des gants, un éventail et des pelures
d’orange. Il avait prévenu la comtesse de Ségur qu’il voudrait que Magdeleine
prît dans ces trois choses les pelures ; cela s’est fait exactement, etc…
Il a été connu, depuis, que Magdeleine était une habile drôlesse et moi en
compagnie de grands sots. Il se pouvait aussi que parmi nous il y eût quelques
drôles. »
Voilà.
C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.