lundi 16 mars 2015

Milton H.Erickson, jour 6 : "L'apprentissage par l'expérience" et " Prendre sa vie en charge"





Jour 6


Compte rendu de lecture
par Sidney Rosen
Chapitres 7 et 8, « L’apprentissage par l’expérience » et 
« Prendre sa vie en charge »




Le chapitre 7 de Ma voix t’accompagnera, Milton H. Erickson raconte est consacré à « L’apprentissage par l’expérience ». On n’apprend pas parce que l’on vous dit que quelque chose se passe de telle façon, il faut tester dans le réel pour véritablement apprendre. Et en plus, durant l’expérience, il n’est pas productif de s'observer, de comprendre ce qui nous arrive. Si l’on veut vraiment comprendre son expérience, il vaut mieux la différer, la remettre à plus tard, pour pouvoir faire, dans une seconde phase, l’observation, la critique et l’analyse de son expérience. Erickson aime employer souvent des exemples d’anecdotes arrivées aux membres de sa famille. Il nous dit dans l’historiette « Goûter à tout »  qu'un de ses fils aurait pu être un excellent psychiatre mais qu’il a choisi d’être fermier. Il a eu six garçons et une fille. Il s’est soucié de la question du tabac, de l’alcool, des drogues et de ce genre de choses à propos de ses enfants. Il les a donc confrontés très tôt à des produits sans danger. Il leur présentait une jolie bouteille : « Pourquoi ne sens-tu pas ? » C’était très désagréable, l’ammoniaque ! Chacun des gosses a ainsi appris à être prudent avec les choses. C’était une bonne façon de grandir. Erickson, par cet exemple, affirme sa conviction que le meilleur mode d’apprentissage, c’est de faire l’expérience. Et il y a trois personnes très importantes qui donnent en général cette occasion de faire l’expérience : c’est le parent, le professeur ou le thérapeute. Peut-être pourrait-il y rajouter dans certains cas des amis très proches et doués d’une forme de psychologie innée.

Le chapitre 8 « Prendre sa vie en charge » est peut-être un des chapitres les plus importants de l’ouvrage. Erickson y parle de sa propre mort, de celle de ses parents, de sa conception de la vie en général, de son engagement dans celle-ci, dans la vie du couple, de la famille, etc. 
Une anecdote sur ce sujet « Brouilles » est à la fois plaisante et sérieuse ; Erickson raconte que, peu de temps après leur mariage, sa femme a demandé à sa mère : « Quand vous vous disputez avec Papa, comment ça se passe ? 
─ Je dis ce que je pense, et puis je me tais. »
Alors elle est allée dans la cour pour interroger mon père :  « Comment faisiez-vous quand vous vous disputiez avec maman ?
─ Je disais ce que j’avais à dire et ensuite je me taisais.
─  Bon, et alors qu’est-ce qui arrivait ?
─ L’un ou l’autre faisait comme bon lui semblait. On s’en est toujours tiré comme ça. »
Sidney Rosen fait un court commentaire sur cette histoire : « Les parents d’Erickson ont été mariés pendant environ soixante-dix ans. De toute évidence, l’harmonie du couple était basée sur le respect mutuel, et ils avaient pour principe de ne jamais tenter d’imposer leur opinion. »
On peut faire des remarques supplémentaires. D’abord, il faut noter que, peut-être du fait du désir d’être heureux de manière simple avec sa femme, le père d’Erickson se donne des buts modestes. Il ne dit pas en triomphant : « On y est très bien arrivé » mais d’une manière euphémique « On s’en est toujours tiré comme ça. ». Ensuite la question de la femme d’Erickson, qui était elle aussi psychothérapeute, est une question typiquement psy : « Bon, et alors, qu’est-ce qui arrivait ? » Et alors ? Et alors, il n’arrivait rien de catastrophique, ils ne se séparaient pas, ne s’engueulaient pas, ne se battaient pas, la vie reprenait son cours. Poser la question de ce « Et alors ? » dans une thérapie peut être déterminant car elle montre la relativité de certains événements que nous pensons devoir nous traumatiser pour la vie, comme ici une brouille dans le ménage.

Le deuxième récit que j’ai choisi dans ce chapitre « Prendre sa vie en charge » peut paraître absolument impossible, totalement délirant, mais je pense qu’il est véridique. Il montre simplement les ressources, les possibilités de quelqu’un de très doué qui, dans chaque étape de son existence, prend sa vie en charge, en mobilisant l’intégralité de son potentiel psychique. Il est intitulé « La brique de Pearson ».
Robert Pearson, un psychiatre du Michigan, alors qu’il passe à côté de sa maison reçoit une brique sur la tête qui lui cause une fracture du crâne. Il commence d’abord à s’affaisser sur les genoux, puis se reprend en se disant : « Si seulement Erickson était là. Mais, bon dieu, il est en Arizona, je ferais mieux de me prendre en charge moi-même ». Il procède donc rapidement à une anesthésie locale, conduit pendant cent kilomètres jusqu’à l’hôpital et effectue les formalités d’admission. Il demande un neuro-chirurgien et lui dit : « Je n’ai pas besoin d’anesthésie. » Le chirurgien insiste courtoisement pour qu’il soit anesthésié. Pearson demande à l’anesthésiste : « Prenez note de tout ce qui sera dit pendant que je serai endormi. »
Robert Pearson reprend rapidement conscience après l’opération ; il déclare à l’anesthésiste : « Le chirurgien a dit ça, ça et ça. » Il se souvient de tout ce qui a été déclaré, et le chirurgien est horrifié de découvrir que Pearson l’avait écouté discuter de l’opportunité de poser une plaque métallique. La semaine d’après, il se retrouve, comme il l’avait prédit et contre l’avis du chirurgien, à faire une communication à une assemblée de psychiatres. Erickson lui dit : « Comment t’es-tu égratigné ? ». Il répond : « J’ai eu une fracture du crâne » et il lui raconte l’histoire.
Le commentaire de Rosen est le suivant : « Cette histoire montre le pouvoir de l’esprit sur le corps dans la récupération après des traumatismes graves. Pearson dit : « Je ferais mieux de me prendre en charge. » Cette idée peut s’appliquer à chacun de nous et la prise en charge peut survenir lors d’un danger extrême, lorsque contraint par une dure nécessité, on découvre des ressources intérieures qu’on ne soupçonnait pas.
L’histoire de Pearson fait aussi la démonstration que, généralement, nous en savons bien plus sur ce qui se passe en nous-même que nous ne nous y autorisons. Ce médecin est capable de se souvenir des choses qu’il a entendues même sous anesthésie. Il est intéressant de voir que, non seulement il en est capable, mais surtout qu’il est capable également d’anticiper, puisqu’il demande à l’avance à l’anesthésiste de prendre des notes écrites.
Une remarque subtile de Rosen : « Une dominante de cette histoire, c’est que les rôles habituels que nous assumons se trouvent inversés. Le patient se prend en charge alors que le chirurgien et l’anesthésiste l’assistent. »
En réalité, c’est le rôle des docteurs mais la plupart des patients régressent lorsqu’ils tombent malades et mettent le médecin dans la position d’un personnage ayant du pouvoir, d’un parent tout-puissant. En fait, la fonction actuelle du médecin est d’utiliser ses connaissances pour traiter et soigner selon les désirs et les besoins du patient.
En ce qui concerne la véracité et la probabilité d’une telle histoire, j’ai connu, peu de fois mais indubitablement, des cas prodigieux similaires. Lorsqu’encore jeune, je faisais les vendanges dans le Bordelais, la propriétaire du vignoble nous avait dit qu’un jour son mari, qui faisait au moins ses cent kilogrammes, était tombé dans une cuve de vin et qu’elle avait réussi à le sortir de celle-ci en le tirant par les bras avec sa seule force nerveuse. Seulement quand ce fut terminé, quand il fut sauvé, elle constata qu’elle avait les bras en sang.

C’est tout pour aujourd’hui. La suite au prochain numéro. Ce sera « Retrouver l’œil innocent » et « Observer : noter les différences »

Milton H.Erickson, jour 5, hypnose et recadrage




Jour 5 



Compte rendu du livre
par Sidney Rosen
Chapitre 6 : recadrage



Comme je ne peux malheureusement pas tout aborder, je ne tirerai qu’une anecdote du chapitre 6 « Recadrage ». Avant tout, il faut savoir que recadrer signifie changer l’ensemble ou le point de vue conceptuel et/ou émotionnel à travers lequel une situation donnée est vécue, et la replacer dans un autre cadre qui s’adapte tout aussi bien et même mieux aux « faits » concrets de la même situation, et qui change ainsi toute sa signification. Erickson, dans le recadrage, exploite une vieille, très vieille idée d’Epictète : « Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui nous dérangent, mais l’opinion que nous avons d’elles. »

L’anecdote « Visage de cannelle », outre son recadrage, est un bon exemple de l’humour et de la créativité d’Erickson. C’est l’histoire d’une petite fille qui hait tout le monde parce qu’elle a le visage rempli de taches de rousseur. Les enfants de son école l’appellent « Grain de son » et bien sûr, elle déteste les grains de son. Elle entre dans le bureau d’Erickson et reste debout à attendre, la mâchoire serrée. Celui-ci lui crie : « Tu es une voleuse ! Tu as volé ! »
Elle répond qu’elle n’est pas une voleuse et qu’elle n’a pas volé. Erickson continue : « Oh, mais si, tu es une voleuse. Tu as volé quelque chose. Et même je sais quoi. Je vais te prouver que tu as volé.
─ Vous n’avez aucune preuve, je n’ai jamais rien volé.
─ Je sais même où tu étais quand tu as volé ce que tu as volé.
La fillette est alors très fâchée contre le thérapeute. Il lui dit : « Je vais te dire où tu étais quand tu as volé ce que tu as volé. Tu étais dans la cuisine à la table de cuisine. Tu es montée sur la table pour atteindre le pot où il y avait des galettes à la cannelle, des petits pains à la cannelle ─ et tu as renversé de la cannelle sur ton visage ─ tu es un visage de cannelle. »
Erickson commente l’histoire ainsi : « Elle a eu une réaction émotionnelle très favorable envers ses taches de rousseur. Elle était dans un cadre où elle pouvait réagir favorablement parce que j’avais, de façon délibérée, augmenté son hostilité et sa colère et qu’est littéralement apparu dans son esprit un vide. Parce que je lui ai dit que je savais où elle était quand elle avait volé, et que je savais ce qu’elle avait volé. Et j’avais des preuves. Et ainsi elle s’est sentie soulagée de l’accusation d’être une voleuse. De plus, j’avais trouvé un nouveau nom pour ses taches de rousseur. Ce sont ses émotions, ses pensées et ses réactions qui ont été thérapeutiques. Mais elle n’avait pas besoin de le savoir. »

Voilà. C’est fini ! La suite au prochain numéro avec « L‘apprentissage par l’expérience » et « Prendre sa vie en charge ».