En ces temps troublés, pour échapper à la morosité ambiante, j'ai décidé de
publier des textes que j'avais rédigés sur celui qui est pour moi le plus grand
des auteurs de science-fiction (à égalité avec Philip K. Dick), Roger Zelazny.
Biographie : de la Sécurité sociale à la science-fiction lyrique
(suite)
En 1949, Roger Zelazny entre au lycée Shore
Junior d’Euclid où il commence une œuvre qu’il poursuivra pendant plusieurs
années et lui servira d’aire de lancement pour ses récits futurs : une
épopée interminable intitulée The Record dont les héros sont deux monstres,
le Zlaz et le Yok, qui vivent dans les catacombes sous Paris, passent leur
temps à dormir et à boire du Zyphoam, l’alcool plus terrible que
l’alcool. Ces créatures croient travailler mais leur patron essaie surtout de
les tenir éloignés de toute activité terrestre, de peur qu’ils ne provoquent
une catastrophe. La série des récits qui forment l’épopée raconte quelques-unes
de leurs erreurs et les effets miraculeux qui en découlent : comment, par
exemple, la dépouille pétrifiée d’un dinosaure gigantesque se recouvre
d’alluvions pour devenir un jour les Montagnes Rocheuses. Comme pour un roman
feuilleton, Zelazny lit au fur et à mesure les épisodes à ses amis, Carl Yoke
et Richard Covert.
Puis il rencontre chez deux de ses professeurs,
Mme Ruby Olson (responsable du cours « Écriture et Créativité ») et M.
Myron Gordon (journalisme) une appréciation critique de son travail et un
encouragement à écrire. A cette époque, il publie deux récits et un poème dans Eucuyo,
la revue littéraire de l'institution, réalise sa première vente lorsque Mister
Fuller's revolt paraît dans Literary Cavalcade en 1954. Roger
Zelazny a dix-sept ans. Un temps, il a déjà tenté de vendre des récits de
science-fiction aux magazines professionnels, sans succès, et s'est découragé.
« J'ai écrit peut-être deux cents histoires à ce moment, et l'une après
l'autre, elles furent toutes rejetées. Enfin, de temps en temps je recevais un
petit mot gentil d'un rédacteur » (If, 1969).
Après le lycée, en 1955,
Zelazny entre à la Western Reserve University (aujourd'hui une division de la
Case Western Reserve) à Cleveland. Il commence par une licence de psychologie,
mais change pour l'anglais quand il commence à penser à la façon dont il allait
gagner sa vie après l’université :
« J'ai commencé à me demander ce que je
ferais après l’université afin de survivre pendant mes tentatives d'écriture.
Obtenir un diplôme et enseigner, ai-je supposé. Puis, après avoir regardé les
labyrinthes et respiré l’ambiance du laboratoire, je me suis demandé
« Est-ce vraiment la psychologie que tu veux enseigner ? » » (Aikido
black).
Zelazny prend l’habitude à l'université
d'assister à n'importe quel cours qui lui semble intéressant sans y être
inscrit. Ce désir de balayer l’ensemble des connaissances annonce déjà le
programme de lecture qu'il développera des années plus tard. Pendant quelques
temps, il lit abondamment Sigmund Freud, Carl Jung et Havelock Eilis, qu'il
apprécie plus en littéraire qu’en scientifique. Il reçoit deux fois, en 1957 et
en 1959, le Finley Foster's Prize de poésie, mais aussi le Holden Essay Award
pour une longue dissertation sur Geoffrey Chaucer. II prépare sa licence en
lisant Thomas Mann, Rilke, Whitman, Shakespeare et les poètes symbolistes français.
Ses loisirs sont consacrés à la course de haies et au judo. Il termine un
recueil de poèmes — Chisel in the Sky — qui restera partiellement
inédit.
Après son diplôme à la Reserve
University, Zelazny quitte l'Ohio en 1959 pour l'université de Colombia à New
York, afin d’y continuer ses études d’anglais. En maîtrise, il se spécialise
dans les dramaturges élisabéthains et jacobites et continue à assister aux
cours en dehors de son domaine. Il poursuit également son écriture poétique. Il
achève sa thèse, mais son conseiller ne lui fait pas soutenir à temps pour être
diplômé au printemps. Ce
séjour à New York sera l'occasion pour lui de se livrer à une année
d'orgie culturelle où il hantera les théâtres et les musées de la ville,
circulera autour de Greenwich Village en quête de Folk Music, une des musiques
qu’il préfère. Puis il traverse une période de remise en question où il quitte
la vie frénétique de New-York pour s'engager dans la Garde Nationale de l'Ohio.
Il passe six mois de service actif à Fort Bliss (Texas) à la sortie duquel il
s'engage au 137° bataillon d'Artillerie des États-Unis, puis au 112° bataillon
du Génie. II servira dans un corps armé de missiles nucléaires à tête
chercheuse, une activité profitable à la réflexion qu'il emploiera à travailler
l'épée.
Quand sa première période de trois
ans se termine en 1963, Zelazny se rengage mais change de service :
« Je pus continuer dans
l'armée de réserve parce qu'un type que j'avais connu dans une unité de
fantaisie avait proposé de m'y faire entrer (le 2370 ème Groupe des Affaires
Civiles - Arts, Monuments et Archives - cf. son roman Toi l’immortel -
le groupe étant spécialisé dans le fait de se déplacer dans les pays conquis
pour préserver les trésors nationaux). Plus tard, il a été dissout, je pouvais
obtenir d’être transféré dans le 2350 ème Groupe Public d’Information - des
gens chargés de la presse - et je terminai dans une unité de guerre
psychologique avant d'obtenir finalement d’être honorablement désenrôlé.
(Lettre à Jane Lindskold, du 28 octobre 1989)
Bien que ses six ans dans l’armée aient été à
temps partiel, l'atmosphère et l’étrange bagage de connaissances qu’il y
collecte interviendront continuellement dans sa fiction. En 1961, après avoir
fini son service actif, Zelazny pointe au chômage et recommence à écrire en
cherchant du travail (sans trop d’empressement). Une Rose pour l’Ecclésiaste,
pour laquelle il recevra sa première nomination à un Hugo en 1963, est écrite à
cette époque. Il remanie également sa thèse et la repasse et cette fois elle
n’est pas seulement acceptée mais reçoit des honneurs. En février 1962, il
trouve un travail dans l'administration de la sécurité sociale au service des
contentieux.
« Je suis allé à Dayton et
j’ai commencé ma formation pour travailler au service des réclamations de
l'administration de la sécurité sociale, et j’ai commencé à écrire des
nouvelles pendant mes soirées la semaine même où je suis arrivé. J'ai vendu ma
première nouvelle le 28 mars, puis seize autres cette année-là. J'ai passé mes
examens en mai et j’ai eu mon diplôme. J'ai posé ma candidature pour des
boulots d’enseignants dans l’Ohio, mais la situation n’était pas facile et je
n’ai pas eu de propositions, c’est ainsi je suis resté avec le gouvernement et
ai continué à écrire pendant mes soirées. » (Lettre à Jane Lindskold,
28 octobre 1989)
Voilà. C'est tout pour le moment. Amitiés à tous.