Un autre livre sur la
Gestalt-thérapie
Des amis m’ont demandé d’apporter des
approfondissements sur la gestalt-thérapie, la psychothérapie que je préfère
actuellement. J’ai déjà abordé ce sujet à plusieurs reprises dans ce blog. En
voici quelques exemples :
Cet article est la suite de celui-ci.
Le livre de référence sur le sujet
est Gestalt-thérapie, nouveauté,
excitation et développement de Frederick Perls, Paul Goodman
et Ralph Hefferline.
L’ouvrage est divisé en deux parties
distinctes. La première partie porte sur l’orientation du moi et se subdivise
en 4 chapitres. Le chapitre 1 définit l’aspect scientifique de la gestalt
thérapie. Le chapitre 2 présente différentes expériences visant à développer ou
à accroître chez l’individu sa capacité à entrer en contact avec son
environnement. Les chapitres 3 et 4 présentent les différentes techniques de
prise de conscience intégrée du soi. La deuxième partie de l’ouvrage porte sur
la manipulation du moi. On y retrouve également 4 chapitres qui traitent
globalement de 3 types de mécanismes névrotiques à l’origine des troubles
psychologiques vécus par les individus. Ces mécanismes sont : la rétroflexion,
l’introjection et la projection.
Je vais, pour que vous compreniez bien
la démarche de la Gestalt, aborder le thème de la première partie,
l’orientation du moi.
Première partie, Orientation du Moi.
Chapitre 1, Le point de départ.
Dans l'examen « objectif » du
comportement humain, l'organisme est un instrument opéré par une sorte de
contrôle lointain. Le contrôle peut être appelé diversement relations de cause
à effet, influence de l'environnement, pressions sociales, mais, dans; tous les
cas, l'organisme est considéré comme l'héritier non consulté d'un héritage non
demandé. Cette attitude est devenue si prédominante que l'homme moderne est
assimilé à un spectateur de sa propre vie. On ignore ou nie la mesure dans
laquelle il détermine sa propre situation — s'il s'agit d'un patient, ses
symptômes. Alors qu'il est certain qu'on peut y gagner à jeter un regard «
objectif » sur soi, à tenter de voir comment son comportement peut apparaître à
un observateur extérieur, on acquiert aussi la tendance à se parler et à parler
de soi comme si l'on transcendait le statut et les limites de sa vie organique.
Ce qui nous ramène au vieux problème de
la responsabilité. Puisqu'on tient sa vie à bout de bras, qu'on l'examine de
l'extérieur, alors la question de la contrôler, de la manipuler, de la modeler
d'une façon ou d'une attire devient matière de psychologie. Si la technologie
échoue, alors — déception ou soulagement — on est libéré de toute
responsabilité personnelle, car on peut dire, « dans l'état actuel de nos
connaissances, nous n'avons pas encore trouvé comment résoudre ce genre de
difficultés personnelles ».
On ne peut pas rationnellement prendre
la responsabilité de quelque chose avec lequel on n'est pas en contact. Cela
s'applique à des événements se déroulant dans des endroits lointains dont
personne peut-être n'a jamais entendu parler ; mais cela s'applique aussi
également à des événements qui se produisent dans notre propre vie. Si on entre
en contact avec eux et qu'on devienne intimement conscient de leur nature et de
leur rôle dans notre propre fonctionnement, alors on en assume la
responsabilité, non pas comme on assumerait un fardeau qui n'existait pas
avant, mais plutôt en reconnaissant qu'il dépend de nous, la plupart du temps,
qu'ils continuent ou non d'exister. Ce concept de la responsabilité est
totalement différent de ce que contient la notion morale de blâme.
Si nous avons réussi, dans la discussion
ci-dessus, à montrer d'une façon convaincante que la différence fondamentale
entre l'expérimentaliste et le clinicien c'est que le premier s'efforce de
définir des processus impersonnels fonctionnant d'une manière neutre dans
l'univers, alors que le second s'ingénie à travailler sur l'expérience humaine
-- cette dernière étant, selon le dictionnaire, « le vécu d'un ou de plusieurs évènements
» —, le problème se pose alors de savoir si ces deux approches doivent
s'exclure mutuellement, comme cela a été le cas jusqu'à présent ; ou si elles doivent,
admettant leur existence mutuelle avec réticence, accepter leur désaccord ; ou
encore, si elles peuvent, au moins en ce qui concerne l'étude de la manière
dont les êtres humains se règlent les uns par rapport aux autres et se modèlent
eux-mêmes, unir leurs forces en vue de résoudre un problème commun. Sur ce
sujet, c'est encore le brouillard le plus complet, à l'exception de quelques
points déjà éclaircis.
La pratique clinique, dans sa forme la
plus avancée, obtient des résultats par des méthodes « subjectives », tout à
fait susceptibles d'être mesurées et évaluées selon des critères « objectifs »,
acceptables pour l'expérimentaliste le plus rigoureux. Par exemple, les études
sur le degré de tension musculaire chronique chez l'être humain, déterminé
avant, pendant et après le traitement par des méthodes « subjectives », ont
abouti à des découvertes positives selon les critères des techniques « objectives
».
Le discours entre le clinicien et le
patient entre dans la même catégorie que l'éternel problème, toujours non
résolu, des « instructions au sujet » de l'expérimentaliste. Qu'il conduise son
expérience sans donner d'instructions verbales à ses sujets, il découvrira vite
qu'ils n'ont pas opéré dans le vide, mais se sont donné des instructions à
eux-mêmes. Comme expédient, il présente maintenant des instructions extrêmement
guindées, imprimées sur une carte, par exemple. Il a commencé aussi à faire des
expériences uniquement pour déterminer l'effet des variations des instructions
— leur clarté, leur distribution, leur quantité, leur genre, etc. —, qu'on peut
étendre à la pratique clinique et à l'éducation en général.
Par contraste avec l'aide que l'expérimentaliste
donne ou peut donner à la pratique clinique, il serait intéressant de voir ce
qui se produirait chez ces derniers s'ils se soumettaient aux expériences non formalisées
décrites dans les pages suivantes. Dans la mesure où cela changerait leur personnalité,
il devrait y avoir également une répercussion sur leur rôle professionnel.
Peut-être comprendraient-ils plus clairement que la science, aussi pure
soit-elle, n'est que le produit d'êtres humains engagés dans cette aventure
excitante qu'est la vie.
Le langage employé pour parler
d'expérience personnelle est nécessairement moins précis que celui dont nous
disposons pour décrire des objets et des activités courantes. Si l'on a appris
à un enfant que son animal favori à quatre pattes est un « chien-chien » et
qu'on l'approuve quand il dit « chien-chien » en présence d'un quadrupède
similaire, rien ne l'empêchera de dire « chien-chien » à chaque fois qu'il
verra un animal à quatre pattes, quel qu'il soit. Mais supposons que, essayait
d'attirer l'attention de sa mère sur un cheval, il s'écrie : « Oh ! maman,
regarde le grand chien-chien ! », elle répondra : « Non chéri, c'est un cheval
», et lui montrera les caractéristiques qui différencient un chien d'un cheval.
Ainsi, au fur et à mesure, il va acquérir un vocabulaire précis dans ce domaine
et dans d'autres, où l'objet nommé peut exciter simultanément ses
extérocepteurs et ceux d'un précepteur versé dans le langage courant.
Les événements personnels, tout en ayant
certaines définitions, ne peuvent pas être aussi précisément dénommés, car ils
ne sont pas sujets à correction quand ils sont mal définis. Un enfant apprend à
dire : « Ça fait mal », même quand il n'y a pas de signe extérieur qui puisse
indiquer à quelqu'un d'autre la nature du mal. Dans ce cas, la capacité de
rapporter en langage courant ce qui est purement personnel dérive d'autres
expériences — chutes, bosses, écorchures — expérimentées par l'enfant et qu'une
personne pleine de sollicitude aura souligné d'un : « Ça fait mal, hein ? »
Mais on ne peut pas dire : « Tiens, sens mon mal de tête. » En outre, cet
événement est si personnel qu'on peut, si l'on veut, le diminuer ou l'exagérer
à volonté, sans crainte d'être démasqué.
L'expérience est en grande partie
rapportée en termes métaphoriques et son partage effectif avec les autres a
traditionnellement été l'apanage du poète et du romancier. Un enfant peut très
bien s'y livrer avant que ses expressions verbales soient émasculées par les
conventions. Un petit garçon, marchant sur le trottoir en plein soleil avec sa
mère, peut annoncer : « J'aime mieux l'ombre. Le soleil fait du bruit dans mon
ventre. »
Cependant, même si nous étions des
poètes, la poésie serait un véhicule inadéquat pour vous communiquer ce que
nous voulons vous dire. Car si la poésie, sans aucun doute, peut émouvoir
profondément et éclairer sur beaucoup de points, elle peut aussi n'avoir aucun
effet ou produire des effets entièrement inattendus. Nous proférons donc
renoncer à tout envol de langage et rester terre à terre. Pour toute l'aide
qu'elle peut nous apporter, nous utiliserons la terminologie développée par la
Gestalt psychologie.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.