Un livre du cabbaliste Francesco Giorgio.
Je me suis rendu compte, plusieurs semaines après avoir écrit mon article
« Histoire de la Mnémotechnie : Moyen Age, Renaissance & Dix-Septième siècle » que j’avais oublié de mentionner
le travail de Giulio Camillo (1480-1544), un érudit italien, qui a consacré
toute sa vie à la fabrication d’un édifice qu’il appela le Théâtre de la
Mémoire et qui était un gigantesque théâtre décoré d’images, conçu afin de
mémoriser l’ensemble des connaissances de l’époque.
Vers la fin de sa vie, Camillo consacra sept matinées à dicter à Girolamo Muzio
une esquisse de son Théâtre. Après sa mort, le manuscrit passa entre d’autres
mains et il fut publié à Florence et à Venise en 1550 sous le titre L'Idea del Theatro dell' eccellen. M. Giulio
Camillo. C'est cet ouvrage qui nous permet de reconstruire le Théâtre dans
une certaine mesure. Il a été traduit en français sous le titre Le Théâtre de la Mémoire de Giulio
Camillo aux éditons Allia et comporte sept chapitres. Je vais vous donner un
résumé du texte de chacun de ceux-ci avec des commentaires explicatifs par
rapport aux croyances de l’époque et de l’auteur.
Le texte du chapitre d’ouverture « Le premier degré » se poursuit
de cette façon :
« Mais Cicéron et Aristote, comme ceux qui plus tard n'eurent pas accès
à la véritable intelligence, n'allèrent pas au-delà des cieux. Pour nous qui
avons reçu de Dieu la lumière de la grâce, il ne faut pas nous contenter de
nous arrêter aux cieux, mais nous élever au contraire par la pensée jusqu'à
cette hauteur d'où nos âmes sont descendues et vers laquelle elles doivent
retourner, car telle est la véritable voie de la connaissance et de la
compréhension.
Toutefois, nous ne devons pas présumer pouvoir y parvenir par
notre seule vertu, car Dieu nous dirait ce qu'il répondit au présomptueux Moïse
: « Tu me verras de dos, mais tu ne verras pas ma face » (Ex 33, 23),
c'est-à-dire : tu verras les effets des choses, mais tu ne verras point leurs
causes. En vérité, c'est à nous qu'il revient de prier Sa Divine Majesté de nous
rendre dignes de cette grâce, car elle ne la donne que quand il lui plaît,
comme elle le fit au même Moïse en lui montrant ses nombreuses merveilles, — ce
qui ne nous arrivera qu'une fois annihilés et ne présumant plus rien de
nous-mêmes, lorsque nous pourrons dire avec l'Apôtre : « Et déjà ce n'est
plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).
Or, de même qu'il était rationnel de procéder, comme nous l'avons montré,
en connaissant depuis le haut les choses inférieures et en imitant la fabrique
céleste avec notre nombre septénaire, de même, pour en venir au premier ordre,
j'affirme que je ne vois rien de plus parfait ni de plus divin que d'appliquer
un autre septénaire à chacune des colonnes ou des planètes dont nous avons
parlé, comme il nous plaira de les nommer. Ainsi, les théologiens très secrets,
c'est-à-dire les cabalistes, disent que Moïse passa sept fois par les sept
Sephiroth sans jamais pouvoir dépasser Bina qui est le terme au-delà duquel
l'intellect humain ne peut s'élever. Et bien que Moïse, parvenu à Bina, se soit
trouvé devant la face de la couronne supérieure et devant celle de Chochma, —
c'est pourquoi il est écrit: « Il lui parlait face à face » (Ex 33,
11) —, il ne parla cependant pas à Dieu lui-même directement, mais par l'intermédiaire
de l'ange (comme on le lit dans les Actes
des Apôtres) (Ac 6, 15), car « nul ne connaît le Fils, si ce n'est le
Père, et nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut
bien le révéler » (Mt 11, 27). Ce n'est que lorsque Moïse parvint à Bina,
où se trouve l'office de l'ange nommé Mitrathon, le prince des faces, qu'il put
s'entretenir avec lui.
Ainsi, Moïse étant monté sept fois sept fois, qui font
quarante-neuf, — nombre de la rémission par lequel Jésus-Christ voulut que nous
nous élevions en faisant notre oraison au Père, puisque l’oraison que nous
appelons « dominicale » est composée de quarante-neuf mots selon le
texte hébreu de Matthieu, nous avons attribué à chaque planète, en imitant l’ombre
de ses ascensions, sept portes, degrés ou distinctions comme il nous plaira de
le nommer.
.
Commentaire :
Mitrathon, ou plus communément Métatron, est considéré par la Cabale comme
le chef de toutes les légions célestes (Zohar, I, 4 a). Francesco Giorgio donne
cette explication dans le De harmonia
mundi : « Le Seigneur s'est adressé à Moïse face à face. Et, comme le
disent les Hébreux, l'ange qui parlait avec lui, est appelé Métatron, prince de
la face, parce que son office est d'introduire les autres à la face du prince. »
Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro.