mercredi 23 août 2017

« Le Théâtre de la Mémoire » de Giulio Camillo (septième partie).


Platon.

Je me suis rendu compte, plusieurs semaines après avoir écrit mon article « Histoire de la Mnémotechnie : Moyen Age, Renaissance & Dix-Septième siècle » que j’avais oublié de mentionner le travail de Giulio Camillo (1480-1544), un érudit italien, qui a consacré toute sa vie à la fabrication d’un édifice qu’il appela le Théâtre de la Mémoire et qui était un gigantesque théâtre décoré d’images, conçu afin de mémoriser l’ensemble des connaissances de l’époque.
Vers la fin de sa vie, Camillo consacra sept matinées à dicter à Girolamo Muzio une esquisse de son Théâtre. Après sa mort, le manuscrit passa entre d’autres mains et il fut publié à Florence et à Venise en 1550 sous le titre L'Idea del Theatro dell' eccellen. M. Giulio Camillo. C'est cet ouvrage qui nous permet de reconstruire le Théâtre dans une certaine mesure. Il a été traduit en français sous le titre Le Théâtre de la Mémoire de Giulio Camillo aux éditons Allia et comporte sept chapitres. Je vais vous donner un résumé du texte de chacun de ceux-ci avec des commentaires explicatifs par rapport aux croyances de l’époque et de l’auteur.
Le texte du chapitre d’ouverture « Le premier degré » se poursuit de cette façon : 
" Notre plus haute tâche consistait donc à trouver dans ces sept mesures un ordre qui soit juste, suffisant, distinct, qui tienne toujours l'esprit en éveil et qui frappe la mémoire. Cependant, il serait trop difficile de présenter directement ces très hautes mesures fort éloignées de notre connaissance et que seuls les prophètes approchèrent par des voies détournées. Nous prendrons donc pour les remplacer les sept planètes dont les différentes natures sont bien connues de tous ; toutefois, dans l'usage que nous en ferons, nous ne les proposerons pas comme des termes ultimes, mais comme ce qui a toujours correspondu aux sept mesures supracélestes dans l'esprit des sages. Aussi, la nature des choses inférieures dont nous parlerons sera représentée par les sept planètes puisque chaque nature est soumise à une planète particulière ; ainsi les principes d'où les planètes tirent leur vertu nous reviendront à l'esprit lorsque nous parlerons d'elles.
Cette haute et incomparable disposition nous sert non seulement à conserver les choses, les mots et les arts que nous lui confions afin de pouvoir en disposer rapidement à chaque fois que nous avons besoin d'être informés, mais elle nous donne encore la vraie sagesse, aux sources de laquelle nous connaissons les choses à partir des causes et non à partir des effets. Nous exprimerons ceci plus clairement à l'aide de l'exemple suivant. Si nous étions dans une vaste forêt et que nous voulions en voir toute l'étendue, nous ne pourrions pas satisfaire ce désir en y demeurant, car notre champ de vision ne nous permettrait d'en voir qu'une petite partie et la végétation environnante nous empêcherait de distinguer celle qui est plus loin; mais s'il se trouvait, à proximité, un chemin montant à une colline élevée, il nous serait alors possible, en sortant de la forêt, de commencer à apercevoir son aspect général depuis le chemin et, une fois la colline gravie, de se la représenter en entier. La forêt est notre monde inférieur, le chemin, les cieux et la colline sont le monde supracéleste. Il est donc nécessaire pour bien comprendre les choses inférieures de s'élever vers les supérieures et, en les regardant depuis le haut, d'en avoir une connaissance plus sûre. Il semble que les anciens auteurs païens n'étaient pas éloignés de cette manière de comprendre les choses. Ainsi, Maxime de Tyr invoque ce passage d'Homère où Ulysse est conduit à observer les coutumes des habitants depuis un lieu élevé. Aristote écrivit en ce sens que si nous nous trouvions au-dessus des cieux nous pourrions connaître par nous-mêmes les causes de l'éclipse du Soleil et de la Lune, sans avoir besoin pour cela de remonter jusqu'à elles par leurs effets. Et Cicéron, dans le songe de Scipion le jeune, rapporte que l'aïeul de celui-ci lui montrait les choses terrestres depuis le ciel."

Commentaire :
Cette vue cavalière de la nature semble inspirée d'une image du De coelesti agricultura (1541) du cabaliste Paul Rici. L'image de la montée de l'âme à travers le cosmos et de la contemplation supérieure est aussi l'un des grands thèmes de la philosophie d'inspiration platonicienne.


Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro.