jeudi 23 avril 2020

Compte rendu de l’ouvrage « Conférences de Philippe Marlin aux rencontres de Berder de 2014 à 2018 » (deuxième partie).






Ubbo-Sathla.



C’est un livre que j’ai trouvé passionnant et instructif : Conférences de Philippe Marlin aux rencontres de Berder de 2014 à 2018 aux éditions de l’Œil du Sphinx .

J’ai rencontré Philippe Marlin en l’an 1999. Il avait créé déjà depuis l’année 1989 l’association l’Œil du sphinx consacrée entre autres à l’écrivain américain de littérature fantastique Howard Phillips Lovecraft, et moi je venais de traduire deux romans d’un épigone allemand de cet auteur, Wolfgang Hohlbein, intitulés Le mage de Salem  et L’héritage de la nuit. J’ai donc adhéré à son association.

C’était l’époque des publications d’amateurs (fanzines), et toute une série de titres sortirent des presses d’origine de l’association : Dragon & Microchips (Science-Fiction, Fantastique), Murmures d’Irem  (Ésotérisme),  Rôle’ and’ Rêve  (Jeu de Rôle). Le succès rencontré (62 volumes publiés) amena les fondateurs en 2000 à doubler l’association d’une véritable structure commerciale, sous forme de SARL, Les Editions de l’Œil du Sphinx. L’entreprise multiplie désormais les incursions dans de nombreux domaines, mystères de l’histoire, fortéanisme et cryptozoologie, ufologie et parapsychologie tout en continuant à rendre hommage à H.P. Lovecraft.

Conférences de Philippe Marlin aux rencontres de Berder de 2014 à 2018 est la transcription des 8 conférences que Philippe Marlin a données aux Rencontres de Berder organisées depuis juin 2008, au départ sur l’Ile de Berder dans le Morbihan. Les Rencontres de Berder ont été créées après la disparition de l’écrivain ésotériste Jean-Charles Pichon (qui était aussi dramaturge, poète, scénariste, philosophe, et mathématicien), laissant une œuvre considérable sur l’histoire de notre temps, à la fois métaphysique et philosophique. Elles sont organisées par l’association des Portes de Thélème (label «  Le Collège des Temps »). .

Ces rencontres réunissent autour de conférences, des universitaires, des musiciens, des physiciens, des poètes, des peintres, des éditeurs, des scientifiques et des créateurs ; ils confrontent leur vision de l’avenir de notre société, voire de notre civilisation, quels que soient leurs appartenances ou leurs parcours.


Voici un extrait d’une des conférences de Philippe Marlin, Régression en littérature :


« RÉGRESSION ET SUPPORTS MATÉRIELS


Le terme de caisson n’est pas utilisé, et pourtant.

De l’au-delà (1920, August Derleth, From Beyond in Fantasy Fan, 1934 et Weird Tales, 1938). Une courte nouvelle dans laquelle le narrateur retrouve l’un de ses amis, C. Tillinghast, passionné par les recherches psychiques et l’élargissement des capacités sensorielles. Il lui propose une démonstration d’une étrange machine qu’il a mise au point pour contempler ce qui est au-delà de nos sens. Ce seront bien sûr des visions effrayantes peuplées de monstres sans forme et de temples terrifiants. L’expérimentateur succombera d’apoplexie alors que le narrateur frôlera la folie. Il est vrai que les domestiques de Tillinghast resteront introuvables, ayant manifestement franchi les portes de l’indicible.

Selon S.T. Joshi, ce récit aurait été inspiré par la lecture de Modern Science and Materialism de Hugh Elliot (1919).

Il serait dommage de ne pas évoquer les amulettes et autres gris-gris.

Ubbo-Sathla (1932, Clark Ashton Smith, in Weird Tales 1933).

Un beau produit du «Cercle lovecraftien» dont Le Livre d’Eibon est le véritable héros. Paul Tregardis, grand passionné d’occultisme, découvre chez un antiquaire londonien un curieux cristal laiteux en forme d’orbe. Le marchand n’en connaît pas l’origine, mais suppose que c’est une pièce très ancienne, venant du Groëland d’avant la période glaciaire et ayant certainement appartenu à un sorcier de Thulé. Il en fait l’acquisition pour un vil prix et entreprend des recherches sur cet objet dans les ouvrages sulfureux de sa bibliothèque. Cette pierre est brièvement évoquée dans Le Livre d’Eibon qui précise effectivement qu’elle aurait appartenu à Zon Mezzamalech, sorcier de Mhu Thulan. En fixant la pierre du regard, il suscite d’étranges visions et subit une véritable régression qui le conduit à ne faire plus qu’un avec le sorcier. 

S’il revient de plus en plus difficilement de chacun de ses «voyages », sa dernière expérience lui sera fatale. Il cherche en effet à percer les mystères du «commencement» et, sous forme de larve, rencontre la masse informe originelle de Ubbo-Sathla. Autour de cette masse gélatineuse se trouvent les tablettes de pierre extraites des étoiles qui donneront Le Livre d’Eibon... Car Ubbo-Sathla est la source et l’achèvement. Avant que Zhothaqquah ou Yok-Zothoth ou Kthulhut ne descendent des étoiles, Ubbo-Sathla demeurait dans les marais bouillonnants de la Terre nouvelle ment née; une masse sans tête ni membres, engendrant les premiers tritons gris et informes et les hideux prototypes de la vie terrestre... Et il est dit que toute vie terrestre retournera, à travers la grande roue du temps, à Ubbo-Sathla.

On ne retrouvera jamais Paul Tregardis.

Cette nouvelle, sur les mystères de l’Origine, est bien évidemment à mettre en regard des Chiens de Tindalos de F.B. Long (cf. 1929).


RÉGRESSION SPONTANÉE

Les Parasites de l’Esprit (1967, Néo 1980) est un roman clef pour qui veut pénétrer la pensée étourdissante de Colin Wilson. Elle repose sur deux fondamentaux, la Phénoménologie de Husserl et l’Inconscient Collectif de C.G. Jung, deux penseurs auxquels il consacrera du reste des études très intéressantes. Pour faire simple, et au risque d’être caricatural, on retiendra:

           de la phénoménologie, la question suivante: comment fonder, d’un point de vue critique, l’accès à la connaissance des réalités transcendantales à la conscience?
           de l’inconscient collectif, admettre son existence et son influence, c’est reconnaître que «nous ne sommes pas d’aujourd’hui ni d’hier; nous sommes d’un âge immense ».

Nous sommes dans un monde d’un futur relativement proche, en compagnie du Dr Austin, perturbé par le suicide de son ami et collègue, le Pr Weissman, célèbre pour ses travaux sur la conscience. Un suicide totalement incompréhensible. 

Il laissera à Austin de nombreux dossiers dont l’archéologue repoussera l’examen tout en notant que son collègue travaillait sur le mystère des «parasites de l’esprit» par lesquels il se sentait infecté. Austin est pour l’heure complètement mobilisé par les fouilles de Karatepe en Turquie, suite à la découverte d’une statuette dont la datation va créer une véritable révolution, remettant en cause les chronologies habituelles sur l’apparition de l’homme. De surcroît, le site dissimule sous plusieurs kilomètres de terre des blocs cyclopéens sur lesquels, après déblaiement, d’étranges inscriptions seront relevées:

Avant Pitkanas étaient les Grands Anciens.
Tudaliyas rendit hommage à Abhot le Noir.

Or, August Derleth va écrire au Pr. Reich, un proche collaborateur d’Austin, pour lui signaler qu’Abdoth l’Impur est cité par Lovecraft comme Grand Ancien. Et de fait, il figure dans la nouvelle Dans l’Abîme du Temps (1935), étant également connu sous le nom de Nyogtha. Lovecraft a vraisemblablement pioché dans «son réservoir à rêves – l’inconscient collectif» où il a retrouvé l’archétype de la cité cyclopéenne. Cette «découverte» va susciter un nouvel engouement planétaire pour l’œuvre du Prince Noir de Providence et l’opération Karatepe sera rebaptisée «opération Kadath». Les deux savants sont du reste tellement enthousiastes qu’ils envisageront un instant d’entreprendre des fouilles en Australie sur les traces du Pr Nathaniel Wingate Pealse.

Mais Austin va rapidement mettre ses recherches archéologiques en sommeil, perturbé de plus un plus par des interférences dans son esprit par ce qu’il appelle, clin d’œil à Lovecraft, les Tsathogghiens. Un prétexte pour plonger dans l’abondante littérature laissée par Weissman et ses étonnantes Réflexions Historiques. Commence alors un combat titanesque contre «les Parasites de l’Esprit» sur fond de plongée vertigineuse dans les couches les plus profondes de la conscience. 

Les parasites sont une forme de cancer de l’esprit, et comme tout cancer est apparu lorsque l’homme a perdu son unité face à l’explosion du progrès, générant stress, inquiétude et désespoir. Réussir à les vaincre rendra à l’homme son unité et son émerveillement d’enfance. Un combat très coloré de science-fiction, au parfum d’Apocalypse et d’étranges pouvoirs de la lune.


  

Voilà la deuxième partie de ce compte rendu. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous."