mardi 30 mai 2023
Poème de René-François Sully Prudhomme dans son recueil de poèmes "La vie intérieure" : "Les yeux".
Sans commentaire.
Les yeux
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nombre ont vu l’aurore ;
Ils dorment au fond des tombeaux
Et le soleil se lève encore.
Les nuits plus douces que les jours
Ont enchanté des yeux sans nombre ;
Les étoiles brillent toujours
Et les yeux se sont remplis d’ombre.
Oh ! qu’ils aient perdu le regard,
Non, non, cela n’est pas possible !
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu’on nomme l’invisible ;
Et comme les astres penchants,
Nous quittent, mais au ciel demeurent,
Les prunelles ont leurs couchants,
Mais il n’est pas vrai qu’elles meurent :
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l’autre côté des tombeaux
Les yeux qu’on ferme voient encore.
René-François Sully Prudhomme, La vie intérieure
Extrait de "Bouvard et Pécuchet" de Gustave Flaubert, où il est question de la mnémotechnie, chapitre IV.
L'Histoire ancienne est obscure par le défaut de documents. Ils abondent dans la moderne ; – et Bouvard et Pécuchet revinrent à la France, entamèrent Sismondi.
La succession de tant d'hommes leur donnait envie de les connaître plus profondément, de s’y mêler. Ils voulaient parcourir les originaux. Grégoire de Tours, Monstrelet, Commines, tous ceux dont les noms étaient bizarres ou agréables,
Mais les événements s'embrouillèrent, faute de savoir les dates
Heureusement qu'ils possédaient la mnémotechnie de Dumouchel, un in-12 cartonné, avec cette épigraphe : « Instruire en amusant. »
Elle combinait les trois systèmes d'Allevy, de Pâris et de Fenaigle.
Allevy transforme les chiffres en figures, le nombre 1 s'exprimant par une tour, 2 par un oiseau, 3 par un chameau, ainsi du reste. Pâris frappe l'imagination au moyen de rébus ; un fauteuil garni de clous à vis donnera : Clou, vis – Clovis ; et comme le bruit de la friture fait « rie, ric » des merlans dans une poêle rappelleront Chilpéric. Fenaigle divise l'univers en maisons, qui contiennent des chambres, ayant chacune quatre parois à neuf panneaux, chaque panneau portant un emblème. Donc, le premier roi de la première dynastie occupera dans la première chambre le premier panneau. Un phare sur un mont dira comment il s'appelait « Phar a mond » système Paris, – et d'après le conseil d'Allevy, en plaçant au-dessus un miroir qui signifie 4, un oiseau 2, et un cerceau 0, on obtiendra 420, date de l'avènement de ce prince.
Pour plus de clarté, ils prirent comme base mnémotechnique leur propre maison, leur domicile, attachant à chacune de ses parties un fait distinct, – et la cour, le jardin, les environs, tout le pays, n'avaient plus d'autre sens que de faciliter la mémoire. Les bornages dans la campagne limitaient certaines époques, les pommiers étaient des arbres généalogiques, les buissons des batailles, le monde devenait symbole. Ils cherchaient, sur les murs, des quantités de choses absentes, finissaient par les voir, mais ne savaient plus les dates qu'elles représentaient.
D'ailleurs, les dates ne sont pas toujours authentiques. Ils apprirent, dans un manuel pour les collèges, que la naissance de Jésus doit être reportée cinq ans plus tôt qu'on ne la met ordinairement, qu'il y avait chez les Grecs trois manières de compter les Olympiades, et huit chez les Latins de faire commencer l'année. Autant d'occasions pour les méprises, outre celles qui résultent des zodiaques, des ères et des calendriers différents.
Et de l'insouciance des dates, ils passèrent au dédain des faits.
Voilà ! C'est tout pour le moment. Amitiés à tous.
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