Un autre ouvrage de Debbie Ford.
Beaucoup de chercheurs ont travaillé sur
la partie de notre esprit qu’on peut appeler part d’ombre. Jean-Louis Bernard
dans Les archives de
l’insolite décrit l’ombre comme un moi caricatural,
anarchique et brouillon, un mime, un domestique peu fidèle. Chez la majorité,
l’ombre est inconsistante, mal centrée, un peu folle. C’est Debbie Ford qui a
pour moi (bien que son livre La part d’ombre
du chercheur de lumière soit difficile
d’abord) le mieux abordé ce sujet important.
Recouvrer sa part d’ombre
Nous aspirons généralement tous à
connaître la paix de l'esprit. C'est une quête s'étendant sur la vie entière,
une tâche qui n'exige rien de moins que de recouvrer la totalité de notre être.
Partir à la découverte des cadeaux que même nos défauts les plus détestables
nous réservent constitue une démarche créatrice qui requiert seulement une
attitude composée des éléments suivants : un désir réel d'écouter et
d'apprendre, une volonté de se débarrasser des croyances et des préjugés
irrationnels et l'aspiration à se sentir mieux. Votre moi authentique ne juge
pas. C'est seulement l'ego, dominé par la peur, qui se sert des jugements comme
d'une armure - protection qui, ironiquement, fait obstacle à la réalisation de
soi.
Nous devons nous préparer à accueillir
et aimer tout ce que nous avons redouté et fui. Ainsi que l'affirme Un cours en miracles : « Mes
plaintes font écran à la lumière du monde. »
Pour aller au-delà de l'ego et de ses
défenses, il vous faut acquérir du calme ainsi que du courage, et être à
l'écoute de votre voix intérieure. Derrière le masque social que l'on porte, se
cachent des milliers de visages. Chaque visage possède sa personnalité propre.
Chaque personnalité est dotée de traits caractéristiques. En entretenant un
dialogue intérieur avec ces personnalités mineures - ou sous-personnalités - vous
transformerez vos préjugés et jugements égoïstes en cadeaux inestimables. A
mesure que vous accueillez en vous les messages émis par chaque aspect de votre
ombre, vous recouvrez le pouvoir que vous avez octroyé à d'autres, et vous tissez
un lien de confiance avec votre moi authentique. Lorsque vous les laissez
émerger à votre conscience, les voix de vos aspects occultés vous rétabliront
dans l'équilibre et l'harmonie de vos rythmes naturels. Ainsi vous sera
restituée votre capacité à résoudre vos propres problèmes et à percevoir la
direction de votre mission de vie. Ces messages vous guideront vers la
découverte de l'amour authentique et de la compassion.
Avant de pouvoir communiquer avec mes
personnalités mineures, je devais m'en remettre aux autres pour m'aider à
découvrir ce qui ne fonctionnait pas en moi. J'allais d'un thérapeute à un autre.
Je consultais tout ce que la ville comptait de médiums, voyantes et astrologues
pour obtenir les réponses que j'anticipais. S'il m'arrivait d'éprouver un
malaise intérieur, ou de me sentir agressive, triste, ou même exaltée, je
devais prendre le téléphone ou donner de l'argent à quelqu'un pour qu'on me
dise de quoi il retournait. Quelle pitoyable façon de vivre ! Si leurs propos
correspondaient à ce que je voulais entendre, je trouvais ces personnes
particulièrement brillantes. Dans le cas contraire, j'allais en consulter
d'autres, à tour de rôle, jusqu'à ce que j'obtienne la réponse espérée.
Je savais qu'il y avait une autre façon
de vivre. Pourquoi Dieu nous aurait-il créés ainsi, que nous ne sachions
comment nous comprendre nous-mêmes ; qu'il nous faille payer une autre personne
pour se faire expliquer des choses sur nous ? J'ai pris maintenant conscience
que nous sommes en fait équipés d'une façon remarquable pour nous guérir
nous-mêmes et redevenir des êtres unifiés. Quelquefois, cependant, nous pouvons
avoir besoin d'un peu d'aide. Le fait de s'entretenir avec ses personnalités
mineures constitue un excellent exercice pour accélérer le processus.
Nous pouvons utiliser l'étude de nos
sous-personnalités comme un outil pour nous aider à recouvrer les parties
égarées de nous-mêmes. Il nous faut en premier lieu les identifier, leur
attribuer un nom, pour être capable par la suite de s'en dégager. Le fait de
les nommer crée une distance effective. Roberto Assagioli, le concepteur de la
psychosynthèse, exprime ce phénomène en ces termes : « Nous sommes sous
l'emprise de tous les éléments auxquels notre moi se trouve identifié. Nous
pouvons maîtriser et contrôler tous les éléments dont nous pouvons nous
différencier. » Si je prends l'un de ces aspects que je déteste en moi, par
exemple la plaignarde, et que je la
baptise alors du nom de « Paula la plaignarde », ce travers m'apparaît tout à
coup beaucoup moins menaçant. D'une drôle de façon, dès que je donne un nom à
ces aspects de moi-même, j'éprouve de la sympathie pour eux. Je suis en mesure
de prendre du recul, et je peux les considérer de façon objective. Ce procédé
sert à relâcher progressivement l'emprise que ces comportements exercent sur
votre vie.
La première fois que j'ai expérimenté le
concept des personnalités mineures, ce fut lors d'un cours de psychologie
transpersonnelle, à l'université John F. Kennedy d'Orinda, en Californie.
Chaque semaine, nous faisions l'étude et l'expérience pratique d'une méthode
différente de guérison des émotions. La semaine portant sur la psychosynthèse a
transformé ma vie. C'est là que j'ai amorcé un dialogue avec différents aspects
de moi-même - ce que nous appelions les « sous-personnalités » -, et que j'ai
commencé à découvrir qui elles étaient et ce qu'il leur fallait pour réintégrer
la totalité de l'être. Le but était évidemment de trouver les cadeaux qu'elles
recélaient. En recevant ce cadeau, c'est une partie reniée de moi-même que je
me trouvais à accepter.
Suzanne, notre professeure, dirigeait en
premier lieu une visualisation qui nous entraînait dans une randonnée
imaginaire en autobus. Elle nous demandait de voir en notre esprit un autobus
rempli de passagers. Le mien était rempli de personnes de genres très
différents. Certaines étaient âgées, d'autres, jeunes. Il y avait une grande
diversité dans leurs vêtements, et cela pouvait aller de la minijupe aux pantalons
à pattes d'éléphant. Je voyais toutes sortes de filles, des grosses, des
maigres, des brunes, des rousses, certaines avec des poitrines plantureuses,
d'autres, inexistantes. Il y avait des gens de tout acabit, de forme et de
taille aussi variées que je pouvais imaginer, des grands, des petits, des
personnages de cirque, des gens de toute couleur et nationalité. Il y avait des
putains et des saintes. C'était un grand autobus, bondé de personnes dont, pour
la plupart, je n'avais pas l'intention de faire la connaissance. Ma première
pensée fut la suivante : « Oh non, tu peux faire mieux que ça. » Suzanne nous
informa que nous devions faire la connaissance de toutes les personnes
présentes dans notre autobus, autant celles qui nous attiraient, que celles qui
nous répugnaient.
Chacun de ces passagers représentait un
aspect de moi-même qui détenait pour moi un cadeau particulier. Ils étaient
tous là, chacun offrant quelque chose d'unique, à condition que j'aille les
rencontrer et prêter l'oreille à leur leçon de sagesse. Nous devions descendre
de l'autobus, accompagnés d'une de nos sous-personnalités. Et c'était Grosse
Bertha Grande Gueule qui était là, devant moi, et me tendait la main. C'était
la première personnalité mineure qui voulait avoir une conversation avec moi.
En voyant son visage, je me suis mise à penser : « Il n'est pas question que je
me balade avec cette femme. Je vais aller en trouver une autre. » Bertha
faisait à peu près un mètre cinquante et devait peser au moins cent kilos. Elle
était dans la soixantaine, et représentait, en termes d'apparence, mon pire
cauchemar. Elle avait des cheveux gris clairsemés, décoiffés, qui lui tombaient
dans la figure. Elle empestait le fixatif et la cigarette. Elle portait une
robe hawaïenne, de style muumuu,
beige à gros pois orange. Autour de ses épaules, un chandail de polyester beige
était retenu par une vieille broche rouillée. Ses grosses jambes étaient
recouvertes de bas déchirés. Elle portait des chaussures de plastique
déformées.
Je regardais de tous côtés pour trouver
quelqu'un qui me permettrait de m'échapper de Grosse Bertha. Personne ne se
présenta. Bertha parut ennuyée, et finit par me saisir la main pour m'entraîner
hors de l'autobus. Nous sommes allées nous asseoir sur un banc non loin, et
Bertha commença à parler. Elle me dit qu'elle était l'une de mes
sous-personnalités et que je devais apprendre à vivre avec elle. Elle ajouta
qu'elle n'allait pas s'en aller et que, si je consentais à ouvrir mon esprit
obtus, je verrais qu'elle avait beaucoup à offrir. Suzanne me guida de façon à
ce que je demande à Grosse Bertha ce qu'elle avait à m'apprendre. Grosse Bertha
me dit que je ne devrais pas juger les gens d'après leur apparence. Elle dit
qu'elle pouvait tout à fait percer mon personnage spirituel factice. Je voulus
protester, mais je me suis rendu compte tout à coup que j'avais eu tellement de
préjugés contre Grosse Bertha lorsque je l'avais aperçue, que je ne voulais
même pas discuter avec elle dans l'intimité de mon propre esprit.
Grosse Bertha continua à me dire que je
ne pourrais pas progresser sur le chemin de mon développement spirituel si je
n'arrivais pas à résoudre ce problème. Elle me rappela que j'avais toujours
jugé les gens que je considérais gros et que seules faisaient partie de ma vie
les personnes dont l'apparence extérieure me convenait. Dans mon for intérieur,
je savais que Bertha avait raison. Je faisais semblant d'être évoluée
spirituellement et prétendais ne pas me laisser influencer par les apparences
et les signes extérieurs, mais je me dupais moi-même. J'avais cru en avoir fini
avec ce problème depuis plusieurs années, alors que j'avais fait un certain
travail là-dessus. Mais, là, il y avait Grosse Bertha qui me disait de me
réveiller : il restait encore beaucoup à faire. Suzanne nous fit demander à nos
sous-personnalités quels étaient leurs cadeaux. Grosse Bertha me répondit que
le sien représentait l'unité de l'être. Si je pensais vraiment être une partie
de cet univers holographique, je devais l'accepter, elle, que cela me plaise ou
non. Toutes les personnes que je rencontrais, me dit-elle, je devais les
regarder dans les yeux, avec amour et compassion, afin de me voir moi-même, intégralement.
Et elle ajouta que notre rencontre allait être l'une des plus marquantes de ma
vie. Elle avait raison.
Grosse Bertha Grande Gueule était une
création de mon psychisme, fondée sur un aspect de moi-même que je ne pouvais
pas accepter. Par l'entremise de cette visualisation guidée, elle fut capable
de s'exprimer et de m'enseigner de grandes leçons. C'est une expérience qui m'a
pris des mois à assimiler pleinement. Tout en elle était si réel, si entier, si
naturel. Comment cette personne pouvait-elle faire partie de mon subconscient ?
D'où pouvait-elle venir ? Comment se faisait-il qu'elle possède toute cette
sagesse ? Je n'arrêtais pas de me poser ces questions. Même si j'avais eu tant de
résistances à accepter Bertha, j'en redemandais encore.
Lentement, je parvins à rassembler mon
courage pour aller jusqu'à l'arrière de l'autobus afin de rencontrer d'autres
personnes. Je me dirigeai à l'aide de la visualisation, et me posai la question
de savoir quelle sous-personnalité viendrait à ma rencontre. Lors de ce premier
face-à-face seule avec ce groupe inquiétant, c'est Alice Agressive qui se
manifesta. Elle était frêle et petite, avec des cheveux rouge vif dressés en
l'air, broussailleux et crêpés. Ses premiers mots ont été ceux-ci : « Même si
je suis petite, je suis coriace. Alors n'essaye pas de me chercher ! » Alice me
dit qu'elle en avait marre que je m'efforce de me débarrasser d'elle. Elle me
déclara qu'elle était probablement la meilleure amie que j'aie jamais eue. Ma
colère était là pour me guider et m'avertir et, lorsque j'étais en danger,
Alice criait à tue-tête après moi. Étant donné que j'avais toujours ignoré ses avertissements,
il fallait, pour capter mon attention, qu'elle fasse des scènes et crie après
tous ceux qui m'entouraient. Elle me révéla que son cadeau représentait ma
forte intuition, qui me conduirait toujours vers des relations saines. Elle
ajouta que la raison pour laquelle je n'avais que rarement eu l'expérience de relations
saines, c'était que je passais trop de temps à parler, plutôt que d'écouter mes
voix intérieures.
C'était difficile d'accueillir Alice
Agressive à bras ouverts, étant donné que j'avais toujours cru que j'exprimais
ma colère de façon inappropriée. J'avais essayé depuis des années de me
débarrasser de mon agressivité. Mais Alice n'avait nul besoin de disparaître ;
ce qu'elle voulait, c'était être acceptée et aimée. Elle désirait que j'écoute
mon cœur plutôt que ma tête. Dès que j'ai perçu Alice comme une alliée, elle a
commencé à s'apaiser. De saines et cohérentes manifestations de colère ont
alors pris la place de mes explosions incontrôlables.
Celles dont je fis ensuite la rencontre
étaient Greta Goinfre, qui ne pouvait s'empêcher de manger un gâteau au
chocolat au complet, et Carmen Canaille, qui avait l'habitude de porter des
jupes ultracourtes et de tenir des propos orduriers. Tout en se dandinant sur
elle-même, Greta Goinfre me dit qu'elle était une grande amie de Grosse Bertha
Grande Gueule. Son cadeau était la compassion et le lien intérieur avec tous
les autres êtres humains. Elle me conseilla aussi de ralentir et de m'accorder
davantage d'attention. D'après elle, j'étais complètement inconsciente du fait
que je courais tout le temps dans tous les sens. Je suis effectivement un
bourreau de travail, et Greta est celle qui panique et engloutit la nourriture
afin de se sentir ancrée dans la réalité. Carmen Canaille, de son côté, apporta
le cadeau de la grâce. Ce qu'elle voulait, c'est que je me traite de façon
royale et que je me comporte de manière digne. Lorsque je ne le faisais pas,
elle explosait et faisait des scènes pour se rendre intéressante et devenir le
centre de l'attention. À mesure que j'explorais leur côté positif, et que je
les accueillais en moi-même, tous ces aspects négatifs ont cessé de diriger ma
vie. Ils se sont révélés de grands instructeurs de ma psyché. À partir du
moment où j'ai donné suite à leur demande de recevoir de l'affection de ma
part, ou à leur simple conseil de ralentir, ils sont devenus partie intégrante
de ma conscience, et ont enrichi mon estime de moi-même et mon sentiment de
complétude. Une fois que j'eus accueilli ces défauts, il n'a plus été
nécessaire pour moi d'engloutir un litre de crème glacée, ou de porter des
jupes ultracourtes. En devenant mes amis, ils ont cessé de faire irruption dans
ma vie de façon déplacée.
La suite au prochain numéro comme dans
les romans-feuilletons. Amitiés à tous.