dimanche 1 juillet 2018

Compte rendu du livre « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls (vingt-huitième partie).




  
Le Zen.


Je viens de lire un livre que j’ai trouvé à la fois passionnant, précis et instructif sur la création de la Gestalt-thérapie. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans »  de Fritz Perls.

Cet article est la suite de celui-ci.

Voici le résumé de ce livre.

L'une de mes expériences les plus frappantes et spontanées de satori se produisit il y a environ douze ans à Miami Beach.

Je descendais Afton Road lorsque je sentis une transformation qui s'emparait de moi. A cette époque, je ne savais rien des drogues psychédéliques, à plus forte raison n'en avais-je jamais pris. Je sentis mon côté droit presque paralysé par une crampe. Je me mis à boiter, les traits de mon visage se relâchèrent, je me trouvai comme l'idiot du village, mon cerveau s'engourdit et s'arrêta complètement de fonctionner. Comme en un coup de foudre, le monde se mit à exister en trois dimensions, plein de couleur et de vie — certainement pas dans un climat de dépersonnalisation, de clarté inanimée — mais avec le sentiment de : « C'est cela, c'est bien réel. » C'était un réveil complet, je revenais à mes sens, ou mes sens venaient à moi, mes sens avaient un sens.

J'avais, bien entendu, connaissance (surtout par mes rêves et par la lecture de Korzybski) d'un niveau d'existence non verbal, mais je l'avais considéré comme un substratum plutôt que comme une forme réelle, la plus réelle de l'être.

Je tombai amoureux de Kyoto, au contraire de Tokyo, au point de songer sérieusement à m'y installer. Des gens doux, pleins d'égards les uns pour les autres, aux regards ouverts et respectueux. Une fois, j'avais laissé dans un café un journal que je venais de lire et la patronne m'avait couru après dans la rue pour me le rendre. Même les chauffeurs de taxi étaient honnêtes.

Je restais assis des heures dans le jardin de mon hôtel, à regarder les canards rappeler à l'ordre les vieilles carpes imprudentes, et les cygnes arrogants qui dédaignaient de tourner le cou du côté de pareils manèges.

Harmonie et sérénité à profusion, et pas seulement dans le palais et le temple doré. Je les ai même trouvées quelquefois dans une boîte à strip-tease des bas quartiers. Un numéro qui aurait été obscène dans n'importe quel spectacle occidental devenait ici une manifestation artistique. L'actrice jouait le rôle d'une veuve qui se masturbait devant la tombe de son mari. Elle le faisait avec tant de dévotion et de grâce que le message d'amour qui en émanait toucha le public, qui garda le silence au lieu d'applaudir.

Parlons à présent du Zen. L'endroit s'appelait, je crois, le temple de Daitokuji, comme il y en a des centaines au nord de Kyoto. La propriétaire, une Américaine, présidait et gérait le sanctuaire de son mari, une bibliothèque, ainsi que ses nombreux manuscrits. Un jour, pour recevoir une foule de visiteurs, elle mit un costume impressionnant. Une vraie grande-prêtresse Zen.

Les étudiants formaient un groupe international hétérogène. Certains d'entre eux menaient une vie simple et faisaient semblant d'être des moines Zen. Je les aimais vraiment beaucoup pour leur tentative sincère de rédemption. Nous nous rencontrions souvent le soir avant la « séance ». Au début, Mme Sasaki nous parlait de respiration et d'autres sujets Zen, mais, au bout d'un mois, elle et ses élèves s'intéressèrent de plus en plus à la Gestalt-thérapie. Je livrais aussi peu de choses que je pouvais. Je voulais étudier leur position et les résultats de leur travail.

Roshi était un jeune moine Zen qui s'attacha beaucoup à moi. Avant de quitter Kyoto, je l'invitai avec les autres à un dîner chinois sophistiqué (et, je dois l'admettre, délicieux) qui avait douze plats. J'avais appris qu'il désirait vraiment une montre-bracelet. Deux jours plus tard, je m'aperçus qu'il ne portait pas la montre que je lui avais offerte. Je ne pouvais comprendre cela, car c'était une montre de bonne qualité. Puis je découvris qu'il avait mis la montre, avec ses biens les plus précieux, d'ans son sanctuaire, là où il faisait ses dévotions.

Le Zen m'avait attiré .en tant que possibilité de religion sans dieu. Je fus donc surpris de voir qu'avant chaque séance il fallait invoquer une statue du Bouddha et s'incliner devant. Symbolisme ou pas, pour moi c'était encore une réification conduisant à une déification.

Rester « assis » ne demandait pas un grand effort, étant donné que nous interrompions la séance de deux ou trois heures pour faire quelques pas. Il fallait respirer d'une certaine façon et concentrer notre attention sur cette respiration afin de minimiser l'intrusion des pensées dans notre esprit, pendant que le maître allait et venait en se pavanant, corrigeant le cas échéant notre posture. Chaque fois qu'il s'approchait de moi, je me sentais pris d'anxiété. Naturellement, cela faussait le rythme de ma respiration. Il ne me frappa que rarement. Il avait de puissants muscles abdominaux, qu'il aimait à montrer. J'eus l'impression que ses muscles lui importaient plus que l'illumination. Je n'eus pas le temps, en deux mois, d'aborder vraiment le jeu du koan. Je n'eus droit qu'à un koan enfantin et simplet : « De quelle couleur est le vent », et il me parut satisfait lorsque, en guise de réponse, je lui soufflai au visage.

Me voici de nouveau bloqué. J'ai relu les deux derniers paragraphes et leur trouve quelque chose d'agité et de mensonger Que va faire le directeur littéraire ? Je me rends bien compte à présent que ce scribouillage entend devenir un livre. Cela fausse mes intentions premières qui étaient d'écrire pour moi seul, pour essayer de me définir, de m'étudier, d'essayer de comprendre pourquoi je fais telle ou telle chose, pourquoi je fume, ainsi que mes autres symptômes. Cela fausse également mon honnêteté. Non seulement je me suis surpris par deux fois à pécher par omission, mais, qui plus est, j'ai commencé à hésiter à parler de personnes vivantes. Crainte d'être poursuivi, etc. Eh bien, que será será, « ce qui sera, sera », comme chantait Edith Piaf!

Jusqu'ici, ce que j'ai écrit m'a beaucoup aidé. Mon ennui du début a fait place à la passion. J'écris de trois à six pages par jour, la nuit ou entre les séminaires. Je deviens avare de mon temps, et je préfère écrire plutôt que descendre dans la salle commune. J'aime faire lire quelques pages de mon manuscrit à mes amis et je suis chaque fois ravi de leurs réactions. Quand Teddy, ma secrétaire, vient faire mon courrier ou mettre de l'ordre, elle doit d'abord lire ce que j'ai écrit et me donner son avis.

Grâce à cette mobilisation provoquée par l'excitation de l'écriture, je me sens mieux de fond en comble. Je reçois et donne de plus en plus d'amour. Le vieux cochon devient un tantinet plus propre. Mais que puis-je faire si de plus en plus de jolies jeunes femmes et de moins jeunes, et souvent des hommes, se serrent contre moi et m'embrassent ?

Ma sérénité, mon humour et mes capacités thérapeutiques augmentent au rythme de mon bonheur. Il est intéressant de constater que, ces dernières années, je me sens non plus condamné à vivre, mais béni par la vie.


Voilà. C’est tout pour le moment comme dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle. Amitiés à tous.