samedi 11 juillet 2015

Borges et le bouddhisme : étude de l’ouvrage " Qu’est-ce que le bouddhisme ? " (1976) (première partie)


Jorge Luis Borges, un amateur de métaphysique et de religions





Cela peut paraître bizarre de consacrer une série d’articles sur ce blog à Borges et ses relations avec le Bouddhisme. Quelles compétences l’écrivain argentin aurait-il de plus que les autres ? En fait, j’en reviens toujours au même principe : Borges fait son bouddhisme, crée son bouddhisme et c’est incroyablement intéressant. Pourquoi ? Parce qu’il est poète et trouve une étonnante poésie dans les textes écrits sur le Bouddha, sa vie et sa prédication, parce qu’il est métaphysicien et que le Bouddha a élaboré une métaphysique hyper-originale pour notre pensée occidentale (et en même temps qui peut se comparer à des théories divergentes de notre société comme celle des gnostiques), parce qu’il est très imaginatif comme les auteurs des récits bouddhistes eux-mêmes (qui créent des mythes à foison, des anecdotes, des ramifications sans cesse pour détailler, développer, étayer le fil principal de leur narration).

Comme je vous l’ai déjà dit, j’ai consacré en 2003 une biographie thématique à Borges et j’écrivais déjà à l’époque que ce qui me fascine chez lui, c’est qu’il s’est intéressé et a été connaisseur d’un nombre incroyable de religions (je ne vais pas citer toutes les références, il y en a trop). D’abord l’Islam avec « Le teinturier masqué Hakim de Merv » et « Le Zahir ». Ensuite le Judaïsme sous l’angle de la Kabbale (« La Kabbale » dans Sept nuits, « Une défense de la Kabbale » dans Discussion). Mais c’est aussi un passionné des gnostiques avec par exemple « Une défense du fallacieux Basilide » (je parle longuement de sa passion pour ces hérétiques dans mon livre). Il connaît naturellement très bien les textes chrétiens, sa mère étant une catholique pratiquante et sa grand-mère paternelle presbytérienne, et les cite (titres de plusieurs poèmes : « Genèse, IV, 8 », « Genèse, IX, 13 », « Ecclésiaste, I, 9 », « Matthieu, XXVII, 9 », etc.) ; il a même publié un article curieux sur un sujet pointu « Histoire des anges ». Mais la seule religion sur laquelle il ait écrit un livre entier, c’est le bouddhisme. Il a été rédigé avec Alicia Jurado, une grande femme de lettres argentine, auteur entre autres de la première biographie de Borges, qui s’est occupée ici principalement de la partie documentation et qui, l’écrivain argentin étant aveugle depuis déjà pas mal de temps, a été en quelque sorte ses yeux. Notons en passant que l’on s’aperçoit en lisant Qu’est-ce que le bouddhisme ? que Borges se passionnait aussi pour l’hindouisme dont il cite les idées de manière précise à plusieurs reprises.

L’autre intérêt du livre de Borges est d’être une sorte de petit compendium, de « Que sais-je ? » très brillant. N’étant affilié à aucune école, l’écrivain argentin parle de tous les bouddhismes : le Petit Véhicule, le Grand Véhicule, Le lamaisme, Le bouddhisme tantrique, le bouddhisme zen. Les thématiques et les idées principales de cette philosophie (ou religion) sont évoquées avec clarté et poésie : la cosmologie bouddhiste, la métempsycose, la Roue de la Loi, le problème du Nirvana, l’éthique bouddhiste. Comme nous l’avons déjà dit, l’écrivain argentin se délecte de la prodigieuse imagination et de la grande subtilité orientale des rédacteurs des textes bouddhistes, surtout dans la partie « Le Bouddha légendaire » qui est un régal littéraire.


Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. La prochaine fois, nous entrons dans le cœur du livre de Borges. Ce sera notre professeur dans le monde fascinant et étonnant du bouddhisme. Amicales salutations.