Jorge Luis Borges, un amateur de métaphysique et de religions
Cela peut paraître bizarre de
consacrer une série d’articles sur ce blog à Borges et ses relations avec le
Bouddhisme. Quelles compétences l’écrivain argentin aurait-il de plus que les
autres ? En fait, j’en reviens toujours au même principe : Borges
fait son bouddhisme, crée son bouddhisme et c’est incroyablement intéressant.
Pourquoi ? Parce qu’il est poète et trouve une étonnante poésie dans les
textes écrits sur le Bouddha, sa vie et sa prédication, parce qu’il est
métaphysicien et que le Bouddha a élaboré une métaphysique hyper-originale pour
notre pensée occidentale (et en même temps qui peut se comparer à des théories
divergentes de notre société comme celle des gnostiques), parce qu’il est très
imaginatif comme les auteurs des récits bouddhistes eux-mêmes (qui créent des
mythes à foison, des anecdotes, des ramifications sans cesse pour détailler,
développer, étayer le fil principal de leur narration).
Comme je vous l’ai déjà dit, j’ai
consacré en 2003 une biographie thématique à Borges et j’écrivais déjà à l’époque que ce qui me fascine
chez lui, c’est qu’il s’est intéressé et a été connaisseur d’un nombre
incroyable de religions (je ne vais pas citer toutes les références, il y en a
trop). D’abord l’Islam avec « Le teinturier masqué Hakim de Merv » et
« Le Zahir ». Ensuite le Judaïsme sous l’angle de la Kabbale (« La
Kabbale » dans Sept nuits,
« Une défense de la Kabbale » dans Discussion). Mais c’est aussi un passionné des gnostiques avec par
exemple « Une défense du fallacieux Basilide » (je parle longuement
de sa passion pour ces hérétiques dans mon livre). Il connaît naturellement
très bien les textes chrétiens, sa mère étant une catholique pratiquante et sa
grand-mère paternelle presbytérienne, et les cite (titres de plusieurs
poèmes : « Genèse, IV, 8 », « Genèse, IX, 13 »,
« Ecclésiaste, I, 9 », « Matthieu, XXVII, 9 », etc.) ;
il a même publié un article curieux sur un sujet pointu « Histoire des
anges ». Mais la seule religion sur laquelle il ait écrit un livre entier,
c’est le bouddhisme. Il a été rédigé avec Alicia Jurado, une grande femme de
lettres argentine, auteur entre autres de la première biographie de Borges, qui
s’est occupée ici principalement de la partie documentation et qui, l’écrivain
argentin étant aveugle depuis déjà pas mal de temps, a été en quelque sorte ses
yeux. Notons en passant que l’on s’aperçoit en lisant Qu’est-ce que le bouddhisme ? que Borges se passionnait aussi
pour l’hindouisme dont il cite les idées de manière précise à plusieurs
reprises.
L’autre intérêt du livre de Borges
est d’être une sorte de petit compendium, de « Que sais-je ? »
très brillant. N’étant affilié à aucune école, l’écrivain argentin parle de
tous les bouddhismes : le Petit Véhicule, le Grand Véhicule, Le lamaisme,
Le bouddhisme tantrique, le bouddhisme zen. Les thématiques et les idées
principales de cette philosophie (ou religion) sont évoquées avec clarté et
poésie : la cosmologie bouddhiste, la métempsycose, la Roue de la Loi, le
problème du Nirvana, l’éthique bouddhiste. Comme nous l’avons déjà dit, l’écrivain
argentin se délecte de la prodigieuse imagination et de la grande subtilité
orientale des rédacteurs des textes bouddhistes, surtout dans la partie
« Le Bouddha légendaire » qui est un régal littéraire.
Voilà. C’est tout pour
aujourd’hui. La prochaine fois, nous entrons dans le cœur du livre de Borges.
Ce sera notre professeur dans le monde fascinant et étonnant du bouddhisme. Amicales
salutations.