mardi 15 novembre 2016

Présentation de l’étude « Atteindre l’excellence » de Robert Greene, Introduction (sixième partie).



Charles Darwin


J’ai extrait ma biographie de Marcel Proust d’un livre de l’écrivain américain Robert Greene Atteindre l’excellence que je trouve très bien pensé (et réaliste). Je vais vous détailler certains passages de cet ouvrage. « Atteindre l’excellence » ne signifie pas, de manière compulsive, être premier de la classe ou être le plus remarqué à son boulot mais seulement développer le meilleur de ce qu’il y a en vous.

Robert Greene nous parle d’un processus très important, la maîtrise, et de ses secrets. 
Il cite Ralph Waldo Emerson :
« Un homme devrait apprendre à repérer et à surveiller en lui-même ce rayon de lumière qui, venu de l’intérieur, illumine par éclairs son esprit, plutôt que l’éclat du firmament des bardes et des sages. Pourtant, sans y prendre garde, il rejette sa pensée parce que c’est la sienne. Dans chaque œuvre de génie, nous reconnaissons nos propres pensées, que nous avons rejetées : elles nous reviennent avec une certaine majesté née de l’aliénation. »

 Si nous avons tous à peu près le même cerveau, avec une configuration pratiquement identique et le même potentiel de maîtrise, comment se fait-il que l’on ne trouve dans l’histoire qu’un nombre limité de personnes ayant véritablement atteint l’excellence et réalisé leur potentiel ? De façon tout à fait terre à terre, cette question est certainement la plus importante à laquelle il nous faille répondre.

Les explications les plus courantes concernant un Mozart ou un Léonard de Vinci tournent autour de leur talent naturel. Comment expliquer leurs travaux prodigieux autrement que par quelque chose d’inné chez eux ? Des milliers et des milliers d’enfants font preuve de compétences et de talents exceptionnels dans tel ou tel domaine, mais rares sont ceux qui parviennent à quelque chose, alors que des gens moins brillants dans leur jeunesse réussissent bien davantage. Le talent naturel ou le coefficient intellectuel n’expliquent pas les réalisations ultérieures.

Pour reprendre un exemple classique, comparons la vie de sir Francis Galton et celle de son cousin Charles Darwin. Galton était à tous égards un immense génie au QI prodigieux, bien supérieur à celui de Darwin (on connaît ces chiffres grâce à des travaux d’experts réalisés après l’invention de cet instrument de mesure). Galton était un enfant prodige qui eut une carrière scientifique illustre, mais qui n’atteignit jamais la maîtrise dans les domaines auxquels il s’est attaqué. Il était d’une instabilité notoire, comme beaucoup d’enfants prodiges.

Darwin, en revanche, est à juste titre respecté comme un grand scientifique, un des rares qui a changé pour toujours notre vision de la vie. Comme Darwin le reconnaissait lui-même, il était « un garçon très ordinaire, plutôt en dessous de la moyenne sur le plan intellectuel… Je n’étais pas très rapide à comprendre… Ma capacité à suivre un long raisonnement purement abstrait était limitée. »  Darwin néanmoins possédait quelque chose qui faisait défaut à Galton.

 A bien des égards, l’étude de la jeunesse de Darwin offre la solution de cette énigme. Quand il était enfant, Darwin était avant tout un collectionneur passionné de spécimens biologiques. Son médecin de père voulait qu’il embrasse la carrière médicale et l’inscrivit à l’université d’Edimbourg. Darwin ne s’intéressa guère à ses études et fut un étudiant médiocre. Son père, désespérant de le voir arriver un jour à quelque chose, l’orienta en désespoir de cause vers une entrée dans les ordres. Pendant que Darwin se préparait à cela, un de ses anciens professeurs l’avertit que le HMS Beagle allait partir faire le tour du monde et avait besoin d’un biologiste pour ramasser des spécimens à renvoyer en Angleterre. Malgré l’opposition de son père, Darwin obtint ce poste. Quelque chose dans ce voyage l’attirait.

Du jour au lendemain, sa passion de collectionneur trouva à s’exprimer de façon parfaite. En Amérique du Sud, il ramassa une collection ahurissante de spécimens, de fossiles et d’os. En constatant l’immense variété de la vie sur la planète, il en vint à se poser la question fondamentale de l’origine des espèces. Il consacra toute son énergie à cette entreprise et accumula tant de spécimens qu’une théorie commença à se dessiner dans son esprit. Après cinq ans de mer, il rentra en Angleterre et consacra le reste de sa vie à élaborer sa propre théorie de l’évolution. Pour ce faire, il dut fournir un énorme travail : par exemple, huit ans d’étude exclusive des bernaches pour devenir un biologiste crédible. Il lui fallut acquérir un sens politique et des capacités de relations très évoluées pour lutter contre les préjugés suscités par sa théorie dans l’Angleterre victorienne. Il persévéra grâce à sa passion pour le sujet.

Les principaux éléments de cette histoire se retrouvent dans la vie de tous les grands maîtres de l’histoire : une passion de jeunesse, une rencontre fortuite qui leur permet de découvrir la façon de l’exploiter, un apprentissage pour appliquer toute leur énergie en se concentrant sur leur raison de vivre. Grâce à un travail acharné, ils suivent ce processus avec rapidité, grâce à leur intense désir d’apprendre et à leur attachement à ce domaine. Au cœur de cette capacité de travail se cache une qualité génétiquement innée : non pas un talent ou un QI exceptionnels, qu’il faut développer, mais plutôt une profonde et puissante inclination vers un sujet donné.

Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.