mardi 27 octobre 2015

Le bouddhisme tibétain, le second des six exercices secrets du yoga de Naropa : Gyulu ou la doctrine du corps illusoire (première partie)





Gyulu ou la doctrine du corps illusoire montre grâce aux miroirs que le corps est une apparence



La seconde étape des six yogas de Naropa se nomme donc « gyulu » ou doctrine du corps illusoire. J’utiliserai, entre autres documentations, pour décrire cet état de gyulu, un excellent petit livre, à la fois clair, précis et détaillé, Les six yogas de Naropa, les pratiques secrètes du bouddhisme tibétain d’un lama du seizième siècle Takpo Tashi Namgyal traduit par l’érudit Erik Sablé.

Le bouddhisme considère l’univers comme une illusion dénuée de consistance, de substance. Quand il évoque le caractère illusoire du monde sensible, il ne s’agit pas seulement d’une théorie mais d’une réalité qu’il faut vivre et réaliser au plus profond de soi, à chaque instant. La pratique de « gyulu », du « corps illusoire » a précisément pour but de nous amener à cette prise de conscience avec des exercices précis.

Comme notre sentiment de réalité passe essentiellement par l’identification à notre corps physique, ce yoga propose un travail destiné à lui faire perdre cette « pesanteur », à effacer notre croyance en sa réalité. Car c’est bien d’une croyance qu’il s’agit. Nous devons donc mettre en doute ce qui nous semble une évidence et ne l’est pas. De plus, le corps est la source principale de notre sentiment d’être un « moi » indépendant. Le corps et le « moi » sont intrinsèquement liés et, en réalisant le caractère illusoire de l’un, on réalise aussi le caractère illusoire de l’autre.

Cependant, illusoire ne veut pas dire inexistant. L’illusion du monde est celle du reflet dans un miroir. L’image reflétée est illusoire dans la mesure où elle n’a pas d’existence en soi. Elle n’existe qu’en fonction de l’objet, du corps qui lui sert de support. C’est dans ce sens que les textes bouddhistes disent que l’univers est dénué de substance. Il ne trouve pas en lui-même son fondement. Il est la manifestation temporaire de la Vacuité. Il surgit aussi brièvement que l’arc-en-ciel, autre symbole bouddhiste, qui apparaît brusquement pour s’effacer ensuite.

La pratique du gyulu, corps illusoire, peut se diviser en trois étapes principales (pour des raisons de lisibilité sur Internet, cet article est divisé en deux parties) :

1) Comme avant toutes les pratiques des six yogas de Naropa, il est d’abord nécessaire de méditer sur l’impermanence de toutes choses, la souffrance inhérente au cycle des renaissances, de cultiver la compassion et l’esprit d’Eveil (aspiration à l’Illumination). A présent, le pratiquant devra consacrer un tiers du temps à la pratique de tumo, le premier exercice, et deux tiers à celle du corps illusoire car tumo est le fondement des autres pratiques. Il lui faudra imaginer que la totalité des objets de l’univers sensible, les villes, les maisons, les montagnes, les rivières, les hommes, les animaux, notre propre corps, tout ce qui nous semble le plus évident, le plus réel, le plus palpable, sont des créations de notre esprit, dénuées de réalité, semblables à des mirages, des rêves, des bulles dans l’eau, des ombres, la rosée du matin, ou encore des reflets dénués de substance.

En fait, il est nécessaire de comprendre que tous les phénomènes de notre pseudo-réalité sont transitoires et n’ont pas de consistance. Leur caractère irréel vient du fait qu’ils ne durent pas. Ils s’effacent comme la rosée se volatilise avec la chaleur du soleil ou comme les bulles disparaissent dans l’eau. Le pratiquant méditera sur la vacuité et l’illusion. Et c’est grâce à cette méditation qu’il parviendra à se défaire de toute forme d’attachement. Cependant, encore une fois, il ne s’agit pas de méditations superficielles, mais de pensées qui pénètrent dans les couches les plus profondes de la psyché, jusqu’à provoquer un choc libérateur, une prise de conscience de la réalité du devenir.

2) La doctrine du corps illusoire impur.

Pour cette pratique, il est nécessaire de se placer face à un miroir afin d’observer le reflet de son propre corps. L’exercice consiste d’abord à réaliser que l’image dans le miroir est dépendante du corps et qu’elle n’a aucune substance propre. Elle n’est qu’une apparence vide.

Maintenant, il s’agit de se mettre en colère contre soi-même, d’insulter sa propre image dans le miroir et d’observer dans quelle mesure nous en sommes affectés. En fait, il nous faut comprendre que nous ne sommes en rien différents de ce reflet de nous-mêmes. Cet exercice nous permet de réaliser que toute colère, tout sentiment de vanité, sont illusoires, le produit de notre propre esprit et, finalement, un peu ridicules, comme il est ridicule de croire en la réalité de l’image dans le miroir.

Cette façon de procéder peut sembler simpliste, primaire, mais ceux qui ont pratiqué cet exercice savent qu’il est très efficace. Le méditant finit par comprendre le caractère parfaitement illusoire de notre éternelle quête de reconnaissance, de notre volonté infantile d’être au centre de l’univers.

Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. La prochaine fois, j’aborderai la fin de la pratique de Gyulu, le corps illusoire, à la fois corps impur et pur (la troisième étape avec le yidam ou Ishta-deva, notre divinité personnelle). La suite au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées américaines contemporaines.


Amitiés à tous.

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