samedi 4 avril 2020

« Petite histoire du close-up » (dossier de la rédaction paru dans le journal de prestidigitation « Magicus Magazine », N° 209, janvier – février 2018).





  
Un autre numéro de Magicus Magazine.



Dans le cadre de mon projet de publier un article chaque jour dans ce blog pour desennuyer les magiciens confinés, le journal Magicus Magazine et son directeur de publication Didier Puech m'ont autorisé d'une manière très généreuse à reproduire cet  ancien article de leur journal du numéro 209 (janvier-février 2018). Un grand merci à eux pour leur formidable action. Je rappelle que le journal Magicus Magazine en est à présent à son 221 ème numéro. Tous les numéros sont passionnants. Abonnez-vous donc au Magicus Magazine : pour l’instant et ce jusqu’au 1 juillet 2020, vous pouvez bénéficier d’un tarif préférentiel de 50 euros qui est celui des étudiants, au lieu de 70 (en indiquant juste « JF ») ;  commandez les anciens numéros dont par exemple ce numéro 209 dont j’ai extrait cet article consacré à une Petite histoire du close-up écrite par l’ensemble de la rédaction. 


« Petite histoire du close-up. Magie de proximité, micromagie… Le close-up, des cours royales à l’événementiel…

 Prétendre que la magie de proximité, le close-up, a déboulé dans les années 1960 aux USA et dans les années 1970 en France est non seulement ridicule mais surtout totalement faux.
Tout comme le très à la mode mentalisme serait un art annexe découvert il y a une quinzaine d'an­nées. Déjà, à l'Antiquité, les devins endiablés de­vinaient que dans le petit coffret en os c'était bien une étoile qu'avait dessiné le malheureux qui se signait avant de fuir en courant...
Voyons d'un peu plus près (!) ce qu'il en est du close-up, terme anglo-saxon signifiant au cinéma et dans la photographie le « gros plan ». On a adopté ce terme bien que dans les années 70 on retrouvait le mot « micromagie » dans les catégo­ries de concours.
En 1420 des « joueurs de gobelets » seront vic­times de l'intégrisme catholique qui les fera condamner et tuer. Le Pape ne rigole pas avec la concurrence ! D'ailleurs, ces fripouilles et nigauds installaient leurs tables devant les églises autant que dans les foires et sur les places publiques. Magie de rue certes, mais magie de proximité as­surément. Notre futur « close-up » était déjà à la mode. Le tableau de Jérôme Bosch (1450-1516), L'Escamoteur, est un modèle universellement connu du joueur de gobelets.
Maître Gonin (vers 1713), ce coquin affabulateur, jouait des gobelets à quelques centimètres de ses spectateurs, sur le Pont Neuf, son lieu de prédilec­tion, mais acceptait volontiers contre monnaie sonnante et trébuchante quelques représentations privées à la Cour.
Il fera une promesse aux badauds : faire prochai­nement disparaître les tours de Notre-Dame, une sorte d'escamotage divin. Le public le lui réclamera sans ménagement et il n'aura d'autre argument que de prétendre que c'est l'archevêque de Paris qui s'y oppose farouchement...
Dans les accessoires produits des gibecières, nos assimilés sorciers - mais véritables prestidigita­teurs - ne se contenteront pas de gobelets. Pièces d'or, muscades, œufs, couteaux, mouchoirs, anneaux et autres fe­ront partie du répertoire de la magie de près. Sans oublier quelques illusions effrayantes,
graduant entre le sim­ple nez qui saigne abon­damment jusqu'à la tête tranchée et naturelle
ment restaurée...

François 1er sera particulièrement friand de séances de prestidigitation qu'il fera donner dans ses palais royaux. A la Cour d'Espagne, des illu­sionnistes se produiront régulièrement parmi les jongleurs, cracheurs de feu et montreurs d'ours. Les magiciens passaient-ils aux tables des grands seigneurs ? On peut le supposer même si les cartes n'étaient pas l'accessoire encore à la mode.
En 1931, on parle de « vest pocket magic » pour évoquer le close-up dans le fameux Linking Ring. C'est à Chicago que l'on commence à voir fleurir des « bars à close-up » avec une forme moins ra­coleuse, plus aboutie techniquement, et l'arrivée des cartes peu pratiquée au siècle précédent à l'exception de la magie de scène avec les fiori­tures et manipulations.
Matt Schulien (1890-1967), res­taurateur et magicien né à Chi­cago, opère durant cinquante ans aux tables de son restau­rant et celui d'un confrère avec des tours de cartes : carte au mur, carte sous la nappe mais ...4 aussi la pièce dans la bouteille.
Ses fils Charlie et Robert conti­nuent de distraire les clients avec du « close-up » dans le restaurant familial, jusqu'au décès prématuré de Charlie en 1998.
D'autres magiciens opèreront dans les bars : Doc Eason, Scotty York, JC Wagner.
La magie de proximité trou­vera sa place dans les bars aux USA mais aussi en France avec l'incontournable Mystag (1919­1988) et en Europe. Cet artiste, connu pour son combat obses­sionnel contre le paranormal, sera l'un des premiers Parisiens à imposer le close-up dans les cafés populaires. D'autres confrères, comme Samy Liardet, passeront dans des restaurants assez chics où il se taillera un beau succès avec ses cordes qu'il rangeait soigneusement dans les sacoches de sa mobylette garée discrètement dans la cour du res­taurant...
L'ami Gérard Kunian animera joyeusement et magiquement le Bœuf à L'Escamote dans les an­nées 1970 où il sera remplacé par Abdul Alafrez, Duraty, Gaétan Bloom et quelques autres... Le close-up commence à être à la mode en France et les premiers artistes qui deviendront des réfé­rences jusqu'à nos jours : Dominique Duvivier et Bernard Bilis, inspirés respectivement par Ernest Pancrazi et Jacques Tandeau, entre autres. Les frères ennemis (?) imposeront leur style teinté d'humour à une clientèle généralement huppée des restaurants chics de la capitale mais pas que... Un marché plus large, celui des grandes sociétés, offrira un espace à cet art de proximité lors de soi­rées prestigieuses : lancement de voiture et de produits, salons VIP, etc.
Autre référence et figure incontournable : l'ami Jean-Pierre Vallarino qui fera les beaux soirs de grands établissements monégasques, en bon voi­sin niçois. Il sera l'un des plus notables artistes du tapis vert avec ses inimitables chorégraphies de cartes et de pièces. Il crée une école de magie à Nice, ouvre une boutique et donne des cours à de nombreux magiciens parmi lesquels quelques étoiles filantes actuelles amnésiques... 
Jean-Jacques Sanvert (Champion du monde de cartomagie à la FISM 79), un temps en duo avec Bernard Bilis, mènera une très honorable carrière nationale et internationale tandis que Bébel, l'un des plus doués de sa génération, trouvera son bonheur et celui de son public, en s'installant dans le quartier St Michel, entouré du public qui le touche presque, diaboliquement doué avec des cartes qui racontent des histoires. Il reste l'un des magiciens de close-up les plus appréciés de ses confrères dans le monde entier, notamment lors des rencontres madrilènes à L'Escorial autour du grand maître Juan Tamariz.
Parmi les quadragénaires français signalons Sylvain Mirouf, Alexandra Duvivier, Boris Wild, Maurice Douda, David Stone et Mathieu Bich. On ne peut les citer tous ici et nous n'allons pas nous excuser d'oublier ceux qui vont se manifester fu­rieusement... Répétons que la liste n'est pas exhaustive.
David Stone, éternel adolescent à la mèche re­belle, maintiendra le cap avec son style roman­tique et bad boy. Il publiera un excellent ouvrage qui reste une référence en la matière (Close-up, les vrais secrets). Mathieu Bich, secret comme un Sébastien Clergue, crée et élabore des idées et produits à la mesure des plus grands magiciens de la planète. Lors de la récente émission de TF1, au milieu d'éloges et d'insultes, il interviendra fort intelligemment dans les réseaux sociaux pour rappeler la déontologie en matière de protection des droits dans la jungle magique.
Chez nos voisins de tous pays on doit signaler l'incontour­nable monument : Dai Vernon. Jusqu'à son lit de mort à l'hôpital, il tiendra en main un paquet de cartes et publiera nombre de notes et ouvrages indispen­sables aux spécialistes. Larry Jennings tiendra son rang très dignement, comme Derek Dingle, Edward Marlo, Jimmy Grippo, Michael Skinner, Alex Elmsley et quelques autres figures du close-up aux USA.
En Hollande, Fred Kaps, trois fois champion du monde (en scène !), sera redoutable derrière une table. Pour les pièces, l'américain David Roth est en tête de liste. Harry Lorayne, spécialiste du close-up, se fera remarquer par ses études por­tant sur la mémoire. Le réputé mentaliste Phil Goldstein ne démentira pas son double Max Maven dans le répertoire de la magie de proximité. Toujours côté USA, le très créatif Paul Harris et le faux-maladroit suédois Lennart Green...
En Espagne, l'universel Juan Tamariz, depuis les années 1970 où le monde magique le découvre dans les congrès, ajoutera à de redoutables tech­niques une dimension dramatique ou comique dans son jeu. Il reste l'un des cinq plus importants artistes dans le monde et apporte par ses écrits toute l'approche psychologique et « physique » de cet art exigeant.
Toujours côté ibérique, Pepe Carroll, un peu vite oublié, imposera un style tout à fait intéressant. L'imposant Ascanio, olympien, technicien hors pair, laissera son empreinte dans la cartomagie.
Leurs enfants spirituels, comme Miguel Angel Gea et Dani Daortiz, promettent un bel avenir à la micromagie. Ils sont les figures de pointes ac­tuelles et donnent des conférences très courues.
L'Argentin René Lavand, figure légendaire avec son bras unique, sera un grand parmi les grands du close-up. On ne peut oublier les regrettés Aldo Colombini et Daryl dans la contribution artistique et littéraire du close-up.

C'est une approche technique et artistique très particulière. Reste à savoir s'il s'agit de « direct » ou d'émissions enregistrées. Dans le premier cas mieux vaut pas se louper... Dans le second il est possible de recommencer.
Le réalisateur tient un rôle primordial car c'est lui qui place les caméras. Celle en « douche » est sou­vent la plus intéressante car elle peut cadrer un tapis et des mains. Tout ce qui s'y passe mais qui enlève l'aspect humain et artistique pour ne garder que le « gros plan » sur la prouesse technique.
Il est assez imprudent pour un magicien d'arri­ver avec un joli croquis pour placer les caméras à son goût. Généralement le réalisateur voit rouge... Car le professionnel de la télé c'est lui !
Un des premiers en Europe à imposer le close-up à la télévision - outre de véritables shows de scène - c'est le madrilène Juan Tamariz. Déjà dans les années 80, comme Paul Daniels en Angleterre, il déroutait les téléspectateurs avec des tours de cartes. Aux USA, Copperfield préfèrera les grandes illusions au close-up et invitera quelques spécialistes du genre dans ses émissions.
L'un des premiers à présenter du close-up à la télévision : Bernard Bilis dans « Coucou c'est nous» de Christophe Dechavanne au début des années 90. Puis peu après le sémillant Sylvain Mirouf ne démé­ritera pas chez Michel Drucker dans « Studio Gabriel ».
Actuellement, et depuis... plus de quinze ans, c'est l'incontournable et talentueux Bernard Bilis (Le Plus Grand Cabaret du Monde/France 2) qui est la figure télévisuelle de la magie de près en France et bien au-delà grâce à TV5.
Terminons pas le lieu incontournable en France pour applaudir du close-up : le Double Fond. Trente ans déjà que Dominique Duvivier fondais à Paris une véritable institution qui a vu passer les plus grands noms du close-up contemporain. Alexandra et Dominique Duvivier s'y produisent régulièrement, en solo ou duo, et apportent à ce lieu une ambiance très parisienne.


LES REVUES DE MAGIE, entièrement ou principalement consacrées au close-up 

EN FRANCE
Les trois n'existent plus mais ont eu leurs heures de gloire.
En tout premier Le Magicien (1937­1972) d'André Mayette qui sera ré­édité un temps par Dominique Duvivier au début des années 90. De très prestigieux contributeurs s'ajoutent à Dominique Duvivier qui livre pas mal de ses créations. L'infatigable Tran gère la mise en page des nombreuses pages de ce magazine peu avare en pagination...
Michel Balandras et Jean-Yves Prost publient à Lyon Arcane (1976­2014) qui propose principalement des traductions de routines extraites de la littérature anglaise ou des notes de conférences. Une référence en matière de close-up.
François Montmirel fonde Joker DeLuxe en 1993 et publie 40 numéros de la luxueuse revue Imagik princi­palement composée de routines de close-up sous la rédaction en chef de Daniel Rhod.

À L'ÉTRANGER
 La presse magique internationale, principalement en anglais, compte pléthore de maga­zines consacrés au close-up, la plupart ont cessé de paraî­tre et ont eu leurs  heures de gloire et quelques rares persistent dans le monde virtuel florissant...

Pabular (1974-1985) - Fred Robinson, Walt Lees et Stephen Tucker (revue anglaise).
 The Minotaur
(1988-2011) - Marvin J. Leventhal et Dan Harlan (revue américaine).

 Apocalypse (1978­1997) - Richard Kaufman et Harry Lorayne (revue américaine).

Magigram (1966­1995) - Ken de Courcy (revue an­glaise).

Spell-Binder (1981­1984) - Stephen Tucker (revue an­glaise).

Chicanery (1986­1988) - Stephen Tucker (revue an­glaise).

Pentagram (1946­1959) - Peter Warlock       (revue anglaise).

New Pentagram (1969-1989) - Peter Warlock (revue an­glaise).

Magical Arts Jour­nal (1986-1990) -Michael Ammar et Adam Fleischer (revue    américaine).

Club 71 (1970‑2007) - Geoff Maltby (revue an­glaise).

Blueprint (1974-1981 ?) - lan Baxter et Barry Govan (revue australienne).

Richard's Almanac (1982-1987) - Ri­chard Kaufman (revue américaine).

Pallbearer's Review (1965-1975) -Karl Fulves (revue américaine).

Chronicles (1978-1988) - Karl Fulves (revue américaine).

Arcane (1980-1995) - Jeff Busby (revue américaine).

Newtops (1961-1994) - Neil Foster (revue américaine).

Hierophant (1969-1980) -Jon Racherbaumer (revue américaine),

Kabbala (1971-1981) - Jon Racherbaumer (revue américaine).


  BIBLIOGRAPHIE
Quelques incontournables français :
 - La prestidigitation sans appareils (Camille Gaultier) - 1914
- Les « Very Best Of» traduits par Richard Vollmer (Editions Magix -Techniques du spectacle): Dai Vernon, Edward Marlo, Roy Walton, Simon Aronson, etc.
- Petite Anthologie des tours de cartes automa­tiques (Richard Vollmer - Editions Magix -Tech­niques du spectacle)
- Cours de cartomagie moderne de Roberto Giobbi
- La magie de Michael Stutzinger


Quelques incontournables américains :
- The Dai Vernon Book of Magic (Lewis Ganson ­1957)
-               The Magic of Slydini (Lewis Ganson - 1960)
-               Expert Card Technique (Hugard and Braue - 1940)
-               Encyclopedia of Card Tricks (Jean Hugard - 1937)
-                Expert at the Card Table (S. W. Erdnase - 1902)
-               Stewart James in Print : The First 50 Years (Hermetic Press - 1989)
- Strong Magic (Darwin Ortiz - Kaufman and
Greenberg - 1994)
- The Book of Wonder (Tommy Wonder - Hermetic Press - 1996)
- Greater Magic (Harlan Tarbell - 1938)
- The Fine Art of Magic (George Kaplan - 1948)
- Modem Coin Magic (J.B. Bobo - 1952)
- La magie de Matt Schulien par Philip Willmarth (1959) « 

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous !