Laura Perls.
Je viens de lire un livre que j’ai
trouvé à la fois passionnant, précis et instructif sur la création de la
Gestalt-thérapie. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de
ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une
poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de celui-ci.
Voici le résumé de ce livre.
Un neurologue
se plaisait à moi de sa mauvaise mémoire. Je découvris qu’il «était incapable
de se souvenir des éléments relatifs à une période de trois ans. Cette période
correspondait à celle d'un mariage malheureux.
Et voici le
point décisif : ce n'était pas le refoulement qui était cause de l'amnésie,
mais les moyens par lesquels cet homme concrétisait sa phobie de ce souvenir
pénible. Et, pour y parvenir, il lui fallait tout effacer de ces trois années.
Or, Freud serait d'accord avec moi qu'il n'est pas suffisant d'être rétabli,
bien qu'il ait soutenu aussi que l'intégration prenait soin d'elle-même. Dans
le cas présent, il dirait que le patient doit « vivre entièrement » sa
situation.
Bien sûr, tant
que le patient bloque ses souvenirs, il maintient la Gestalt incomplète. S'il
accepte d'aller jusqu'au bout de la souffrance que lui causent son malheur et
son désespoir, il parviendra à la clore. Il composera avec ses ressentiments et
restaurera sa mémoire, y compris toutes les expériences qui ne sont pas
directement en rapport avec son mariage malheureux.
Lore a, comme
Goethe, une mémoire visuelle très vive. Les gens de ce type n'ont qu'à fermer
les yeux et à regarder leurs images qui racontent l'histoire avec une exactitude
photographique. Je peux obtenir cette précision avec la psilocybine, une drogue
psychédélique extraite d'un champignon.
La plupart des
gens ont cette sorte de mémoire juste avant de s'endormir. Je l'ai seulement
après des promenades en voiture ou des expériences du même genre. La plus
grande partie de ma mémoire visuelle est dans le brouillard, et mes
hallucinations hypnagogiques (les images qui se présentent juste avant le
sommeil) sont encore essentiellement de nature schizophrénique. Elles sont en
langage codé, comme les rêves, et disparaissent dès que j'essaie de les capter
avec mon intellect en éveil. Je soupçonne que ce brouillard et le fait de fumer
ne sont pas étrangers l'un à l'autre. Hormis des spéculations oiseuses, je n'ai
encore rien fait à ce sujet jusqu'à présent, mais je sais que ce problème, je
le résoudrai aussi. Déjà, depuis que j'ai commencé ce livre, il s'est produit
trois choses.
Premièrement,
l'ennui initial qui a été ma première raison d'écrire s'est transformé en
intérêt. Ensuite, je vois plus de choses et mieux. Une bonne part de mon
intérêt qui allait au système moteur, comme la masturbation ou l'agression, va
maintenant au système sensoriel. Je me contente de plus en plus, à présent, de
regarder et d'écouter.
Enfin, j'ai
remarqué depuis quelques mois des moments de fatigue accrue. En tant que
thérapeute, j'avais l'habitude de me retirer dans un demi-sommeil — rarement
dans un sommeil complet — chaque fois qu'un client m'assourdissait de sa voix
hypnotique, ou n'était pas en contact avec moi. Depuis peu, je me retire moins,
je reste davantage à mi-chemin, et même maintenant je reste en contact avec ma
fatigue et avec le monde, les deux intégrés dans une attention bien plus aiguë
qu'auparavant.
En ce qui
concerne les déficiences de mémoire de ma puberté, en fait, elles n'ont jamais
existé. J'ai fait à ce moment-là les mêmes erreurs que je fis si souvent plus
tard. Je m'accusais, alors que j'aurais dû m'en prendre à quelqu'un d'autre.
J'avais une mauvaise mémoire pour retenir les dates d'histoire et les mots
latins. Les deux étaient des choses détachées de leur contexte, étranges, peu
familières. Autrement dit, ma mauvaise mémoire était en réalité une bonne
chose. Apprendre ces mots, etc., n'aurait été qu'exercice et répétition :
quelque chose d'artificiel. J'ai déjà montré que dans un contexte significatif
je n'ai pas de difficultés à intégrer quelque chose d'intéressant. J'ai donné
comme exemple la façon dont j'ai appris l'anglais. Mon vocabulaire n'est pas
énorme, mais il est adéquat et précis.
Ma situation à
Los Angeles n'était pas difficile du tout. J'y avais été en 1950. Il y avait
déjà un certain intérêt pour mes méthodes dans les milieux professionnels, et
Jim Simkin avait été le premier à s'installer comme Gestalt-thérapeute en
Californie.
L'intérêt que
porte Jim à la Gestalt-thérapie date de ses années d'université. Il avait suivi
sa formation à New York avec Laura (Lore a américanisé son nom) et moi. Depuis,
sa formation terminée et nos rencontres ayant lieu beaucoup plus dans un
contexte social et confraternel, nombre de difficultés avaient surgi. Il était
collet monté, constipé, trop précis, avec un fort penchant pour un cercle
restreint d'intimes. Jim et sa femme Ann sont très fortement marqués par la tradition
juive et n'ont pas rompu avec le judaïsme. Je sais que Jim respectait mon génie
naturel et méprisait ma mollesse et mon insouciance. Les années passant, il
devint beaucoup plus spontané et ouvert, et mit son exactitude au service de
son style spécifique, qui lui réussissait en Gestalt-thérapie. Nous devînmes
finalement de bons amis, dans une confiance réciproque.
Je pris plus
d'intérêt à mon travail, mais je ne me sentais pas accepté. Même les
professionnels qui travaillaient à mes côtés avec succès veillaient à se
démarquer de la Gestalt-thérapie et de ce vieux cinglé de Fritz Perls.
Dans un de mes
groupes, il y avait un type qui s'intéressait à toutes sortes de choses «
loufoques » — le massage, le yoga, la thérapie, la conscience sensorielle de
Charlotte Selver. Son nom est Bernie Gunther. C'est un bon entrepreneur d'esprit
peu créatif, mais capable de faire une synthèse et de tirer un bon parti de ce
qu'il puise à différentes sources. Bernie, comme Bill Schutz, arrive à plaire
aux gens. A mon avis, il fera son chemin.
Il organisa
pour moi quelques conférences à Los Angeles. Je fus étonné d'y voir accourir
une telle foule. Je ne m'étais pas rendu compte que la Gestalt-thérapie avait
commencé à prendre racine.
A Noël 1963,
il me proposa de participer à un séminaire organisé à Esalen, un endroit situé
en Californie centrale.
Et voilà la
cible Esalen touchée dans le mille par la flèche Fritz Perls. Un paysage
comparable à Eilat ; dans l'équipe, des gens aussi merveilleux que ceux de
Kyoto. L'occasion d'enseigner. Le bohémien trouva un havre et bientôt une
maison.
Il trouva
aussi autre chose : un répit pour son cœur souffrant.
L'homme
moderne vit et évolue entre les pôles extrêmes du concret et de l'abstrait.
Nous entendons
habituellement par concret ces choses, faits et processus qui sont en principe
accessibles à chacun, qui appartiennent à l'Umwelt — à l'environnement de tout
un chacun —, monde personnel, zone de ce qui est autre, zone extérieure.
Si nous avons
deux ou plusieurs personnes ensemble, alors leurs mondes personnels, pour une
large part, coïncideront ; l'Umwelt devient un Mitwelt — un monde commun, un
environnement partagé. A l'a surface, ces personnes s'occupent des mêmes faits
et des mêmes choses, et les identifient.
Dès que nous
regardons plus en profondeur, nous reconnaissons l'erreur de cette grossière
simplification, parce que nombre de choses et de faits ont, pour chacun de
nous, des significations différentes, significations qui dépendent de nos
intérêts spécifiques et de nos besoins, pour compléter la situation inachevée
du déséquilibre de chacun.
Prenons comme
exemple le cas du journal du dimanche, attendu avec impatience par toute la
famille. Sans la diversité des intérêts, ce serait la mêlée générale pour
s'emparer du journal. Comme les choses se présentent, le père prendra la
première partie, la mère les pages féminines, la fille sophistiquée la section
littéraire, le grand frère les pages consacrées aux sports, le pauvre d'esprit
les bandes dessinées, et le politicien la section consacrée à la politique
internationale.
Ce n'est pas
un exemple d'abstraction. Le journal a été concrètement mis en pièces et
partagé entre les membres de la famille.
Maintenant,
regardons les petites annonces. Est-ce que quelqu’un, à part le correcteur, a
jamais lu les petites annonces en entier ? McLuhan dit que toutes les annonces
sont de bonnes nouvelles : vous allez avec espoir vers une situation qui vous
promet un accomplissement. Cette fois, les membres de la famille laissent
intacte cette section et n'en tirent que ce qui a de l'intérêt. Vous avez le
choix. Vous pouvez découper l'annonce qui vous intéresse ; en ce cas, vous
soustrayez, le journal a diminué. Ou alors, vous pouvez abstraire en recopiant
l’annonce et laisser le journal intact.
Si vous copiez
l’annonce, cette copie appartient encore à la zone extérieure ; si vous
vous la rappelez, cela appartient à la zone intermédiaire, et si vous êtes
heureux de ce que vous venez de trouver, elle rejoint même la zone du Moi.
Voilà. C’est tout pour le moment comme
dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième
siècle. Amitiés à tous.