lundi 23 juillet 2018

Compte rendu du livre « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls (quarantième partie).





Laura Perls.


Je viens de lire un livre que j’ai trouvé à la fois passionnant, précis et instructif sur la création de la Gestalt-thérapie. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans »  de Fritz Perls.

Cet article est la suite de celui-ci. 

Voici le résumé de ce livre.

Un neurologue se plaisait à moi de sa mauvaise mémoire. Je découvris qu’il «était incapable de se souvenir des éléments relatifs à une période de trois ans. Cette période correspondait à celle d'un mariage malheureux.

Et voici le point décisif : ce n'était pas le refoulement qui était cause de l'amnésie, mais les moyens par lesquels cet homme concrétisait sa phobie de ce souvenir pénible. Et, pour y parvenir, il lui fallait tout effacer de ces trois années. Or, Freud serait d'accord avec moi qu'il n'est pas suffisant d'être rétabli, bien qu'il ait soutenu aussi que l'intégration prenait soin d'elle-même. Dans le cas présent, il dirait que le patient doit « vivre entièrement » sa situation.

Bien sûr, tant que le patient bloque ses souvenirs, il maintient la Gestalt incomplète. S'il accepte d'aller jusqu'au bout de la souffrance que lui causent son malheur et son désespoir, il parviendra à la clore. Il composera avec ses ressentiments et restaurera sa mémoire, y compris toutes les expériences qui ne sont pas directement en rapport avec son mariage malheureux.

Lore a, comme Goethe, une mémoire visuelle très vive. Les gens de ce type n'ont qu'à fermer les yeux et à regarder leurs images qui racontent l'histoire avec une exactitude photographique. Je peux obtenir cette précision avec la psilocybine, une drogue psychédélique extraite d'un champignon.

La plupart des gens ont cette sorte de mémoire juste avant de s'endormir. Je l'ai seulement après des promenades en voiture ou des expériences du même genre. La plus grande partie de ma mémoire visuelle est dans le brouillard, et mes hallucinations hypnagogiques (les images qui se présentent juste avant le sommeil) sont encore essentiellement de nature schizophrénique. Elles sont en langage codé, comme les rêves, et disparaissent dès que j'essaie de les capter avec mon intellect en éveil. Je soupçonne que ce brouillard et le fait de fumer ne sont pas étrangers l'un à l'autre. Hormis des spéculations oiseuses, je n'ai encore rien fait à ce sujet jusqu'à présent, mais je sais que ce problème, je le résoudrai aussi. Déjà, depuis que j'ai commencé ce livre, il s'est produit trois choses.

Premièrement, l'ennui initial qui a été ma première raison d'écrire s'est transformé en intérêt. Ensuite, je vois plus de choses et mieux. Une bonne part de mon intérêt qui allait au système moteur, comme la masturbation ou l'agression, va maintenant au système sensoriel. Je me contente de plus en plus, à présent, de regarder et d'écouter.

Enfin, j'ai remarqué depuis quelques mois des moments de fatigue accrue. En tant que thérapeute, j'avais l'habitude de me retirer dans un demi-sommeil — rarement dans un sommeil complet — chaque fois qu'un client m'assourdissait de sa voix hypnotique, ou n'était pas en contact avec moi. Depuis peu, je me retire moins, je reste davantage à mi-chemin, et même maintenant je reste en contact avec ma fatigue et avec le monde, les deux intégrés dans une attention bien plus aiguë qu'auparavant.

En ce qui concerne les déficiences de mémoire de ma puberté, en fait, elles n'ont jamais existé. J'ai fait à ce moment-là les mêmes erreurs que je fis si souvent plus tard. Je m'accusais, alors que j'aurais dû m'en prendre à quelqu'un d'autre. J'avais une mauvaise mémoire pour retenir les dates d'histoire et les mots latins. Les deux étaient des choses détachées de leur contexte, étranges, peu familières. Autrement dit, ma mauvaise mémoire était en réalité une bonne chose. Apprendre ces mots, etc., n'aurait été qu'exercice et répétition : quelque chose d'artificiel. J'ai déjà montré que dans un contexte significatif je n'ai pas de difficultés à intégrer quelque chose d'intéressant. J'ai donné comme exemple la façon dont j'ai appris l'anglais. Mon vocabulaire n'est pas énorme, mais il est adéquat et précis.

Ma situation à Los Angeles n'était pas difficile du tout. J'y avais été en 1950. Il y avait déjà un certain intérêt pour mes méthodes dans les milieux professionnels, et Jim Simkin avait été le premier à s'installer comme Gestalt-thérapeute en Californie.

L'intérêt que porte Jim à la Gestalt-thérapie date de ses années d'université. Il avait suivi sa formation à New York avec Laura (Lore a américanisé son nom) et moi. Depuis, sa formation terminée et nos rencontres ayant lieu beaucoup plus dans un contexte social et confraternel, nombre de difficultés avaient surgi. Il était collet monté, constipé, trop précis, avec un fort penchant pour un cercle restreint d'intimes. Jim et sa femme Ann sont très fortement marqués par la tradition juive et n'ont pas rompu avec le judaïsme. Je sais que Jim respectait mon génie naturel et méprisait ma mollesse et mon insouciance. Les années passant, il devint beaucoup plus spontané et ouvert, et mit son exactitude au service de son style spécifique, qui lui réussissait en Gestalt-thérapie. Nous devînmes finalement de bons amis, dans une confiance réciproque.

Je pris plus d'intérêt à mon travail, mais je ne me sentais pas accepté. Même les professionnels qui travaillaient à mes côtés avec succès veillaient à se démarquer de la Gestalt-thérapie et de ce vieux cinglé de Fritz Perls.

Dans un de mes groupes, il y avait un type qui s'intéressait à toutes sortes de choses « loufoques » — le massage, le yoga, la thérapie, la conscience sensorielle de Charlotte Selver. Son nom est Bernie Gunther. C'est un bon entrepreneur d'esprit peu créatif, mais capable de faire une synthèse et de tirer un bon parti de ce qu'il puise à différentes sources. Bernie, comme Bill Schutz, arrive à plaire aux gens. A mon avis, il fera son chemin.

Il organisa pour moi quelques conférences à Los Angeles. Je fus étonné d'y voir accourir une telle foule. Je ne m'étais pas rendu compte que la Gestalt-thérapie avait commencé à prendre racine.

A Noël 1963, il me proposa de participer à un séminaire organisé à Esalen, un endroit situé en Californie centrale.

Et voilà la cible Esalen touchée dans le mille par la flèche Fritz Perls. Un paysage comparable à Eilat ; dans l'équipe, des gens aussi merveilleux que ceux de Kyoto. L'occasion d'enseigner. Le bohémien trouva un havre et bientôt une maison.

Il trouva aussi autre chose : un répit pour son cœur souffrant.

L'homme moderne vit et évolue entre les pôles extrêmes du concret et de l'abstrait.
Nous entendons habituellement par concret ces choses, faits et processus qui sont en principe accessibles à chacun, qui appartiennent à l'Umwelt — à l'environnement de tout un chacun —, monde personnel, zone de ce qui est autre, zone extérieure.

Si nous avons deux ou plusieurs personnes ensemble, alors leurs mondes personnels, pour une large part, coïncideront ; l'Umwelt devient un Mitwelt — un monde commun, un environnement partagé. A l'a surface, ces personnes s'occupent des mêmes faits et des mêmes choses, et les identifient.

Dès que nous regardons plus en profondeur, nous reconnaissons l'erreur de cette grossière simplification, parce que nombre de choses et de faits ont, pour chacun de nous, des significations différentes, significations qui dépendent de nos intérêts spécifiques et de nos besoins, pour compléter la situation inachevée du déséquilibre de chacun.

Prenons comme exemple le cas du journal du dimanche, attendu avec impatience par toute la famille. Sans la diversité des intérêts, ce serait la mêlée générale pour s'emparer du journal. Comme les choses se présentent, le père prendra la première partie, la mère les pages féminines, la fille sophistiquée la section littéraire, le grand frère les pages consacrées aux sports, le pauvre d'esprit les bandes dessinées, et le politicien la section consacrée à la politique internationale.
Ce n'est pas un exemple d'abstraction. Le journal a été concrètement mis en pièces et partagé entre les membres de la famille.

Maintenant, regardons les petites annonces. Est-ce que quelqu’un, à part le correcteur, a jamais lu les petites annonces en entier ? McLuhan dit que toutes les annonces sont de bonnes nouvelles : vous allez avec espoir vers une situation qui vous promet un accomplissement. Cette fois, les membres de la famille laissent intacte cette section et n'en tirent que ce qui a de l'intérêt. Vous avez le choix. Vous pouvez découper l'annonce qui vous intéresse ; en ce cas, vous soustrayez, le journal a diminué. Ou alors, vous pouvez abstraire en recopiant l’annonce et laisser le journal intact.

Si vous copiez l’annonce, cette copie appartient encore à la zone extérieure ; si vous vous la rappelez, cela appartient à la zone intermédiaire, et si vous êtes heureux de ce que vous venez de trouver, elle rejoint même la zone du Moi.


Voilà. C’est tout pour le moment comme dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle. Amitiés à tous.