Sigmund Freud.
Je viens de lire un livre que j’ai
trouvé à la fois passionnant, précis et instructif sur la création de la
Gestalt-thérapie. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de
ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une
poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de celui-ci.
Voici le résumé de ce livre.
Dans son
Paracelse, Arthur Schnitzler dit : « Nous ne cessons pas de jouer, mais
seuls les sages le savent. » Et comme c'est vrai ! Nous avons souvent à
jouer des rôles, délibérément, par exemple, pour nous montrer exprès sous notre
meilleur jour. Mais ces rôles que nous jouons sous la contrainte, les
manipulations, qui remplacent l'honnête expression de soi, peuvent et doivent
être surmontés si vous voulez devenir adulte.
Les pôles
extrêmes, dans ce domaine des rôles, sont la vocation et le faux-semblant.
Dans le
premier cas, vous utilisez le rôle comme un véhicule pour faire passer ce qu'il
y a d'essentiel en vous. Vous êtes soutenu par votre talent, par vos sentiments
véritables et par votre sensibilité. Vous êtes du type N (nourrissant).
Dans le
faux-semblant, l'engagement personnel vous fait défaut. Vous feignez une
émotion inexistante, il vous manque de l'assurance concernant votre compétence,
vous n'êtes que du toc.
Du point de
vue du psychiatre, les rôles les plus importants et intéressants sont ceux qui
sont introjectés. Freud ne fait pas de différence entre l'introjection et
l'imitation délibérée qui est un procédé d'apprentissage.
Une
introjection est un dybbouk. Une sorte de « démon » possède le patient et
existe à travers lui. Le dybbouk, comme tout introject véritable, est un corps
étranger dans celui du patient. Au lieu d'être dans la zone extérieure, comme
une personne que l'on peut rencontrer, il occupe une large part de la zone
intermédiaire. Le patient, au lieu d'être régi par lui-même, d'être en accord
avec la dominante image/arrière-plan, est contrôlé par les besoins et les
exigences de son dybbouk, et ne peut revenir à lui que lorsque le démon a été
exorcisé.
J'ai rencontré
un cas extrême de dybbouk il y a environ dix ans, à San Francisco, pendant un congrès
de l'Association des psychologues américains. L'un des participants au
séminaire avait le visage d'un mort, couleur de cire. On aurait dit un cas
d'encéphalite, mais sans les symptômes de lésion du noyau rouge. Son
comportement et son odeur m'évoquaient l'atmosphère créée par un cadavre. J'ai
l'habitude de me fier à mes intuitions, si bizarres qu'elles puissent être, et
je lui posai des questions sur une personne chère qu'il avait perdue. Et, à
vrai dire, il s'agissait d'une mort subite : il n'avait pas eu le temps d' «
enfanter » de son deuil — pour utiliser un excellent terme de Freud — ni larmes
« d'adieu », ni séparation, ni enterrement. Cette personne continuait son
existence, non pas, comme c'est si souvent le cas, en termes de caractère, de
particularités et de façons de penser, mais en tant que cadavre.
Je lui fis
rencontrer son dybbouk, mobiliser sa peine, et dire adieu à la personne aimée.
Nous ne pouvions, bien entendu, achever le « travail » de deuil, parvenir à une
conclusion complète, traiter le symptôme à fond en une seule séance, mais il
était déjà devenu un peu plus vivant, sinon vraiment ressuscité. Ses joues
avaient perdu un peu de leur teint cireux pour recouvrer encore les couleurs de
la santé, et sa démarche était devenue plus souple, bien qu'il ne fût pas
encore prêt à danser.
Parmi les
psychologues qui assistaient à ce congrès se trouvait Wilson van Dusen, un
existentialiste. Il me suggéra de venir sur la côte Ouest pour travailler à
l'hôpital d'Etat de Mendocino. J'accueillis cette idée avec joie. Je voulais
quitter Miami. Marty repoussait l'idée de m'épouser. J'étais trop vieux. Elle
ne voulait pas renoncer à la sécurité de son mariage et mettre en péril la
pseudo-sécurité de ses enfants.
Je pris un
appartement à San Francisco. Deux de mes « parasites » m'avaient suivi, sans cela
je n'aurais pas eu une grosse clientèle. J'accomplissais mon service à
l'hôpital et ne détestais pas faire deux cents kilomètres en voiture à travers
les belles forêts de séquoias. C'est là que je me pris d'amitié pour Paul, un
psychiatre qui adorait vivre à la ferme et élever des enfants ; je crois qu'il
en a onze à présent. Nous avons fait un bon nombre de parties d'échecs
passionnantes.
Au départ, je
me sentais proche de Wilson. Nous nous respections. J'aimais bien ses enfants,
étais souvent invité chez lui où je passais la nuit. Parfois il m'emmenait
promener sur le siège arrière de sa moto. Dans ma jeunesse, j'avais eu deux
motos, mais le siège arrière, à mon âge — j'avais alors environ soixante-cinq
ans —, c'était autre chose. Au début, j'avais peur et restais crispé, mais
bientôt je pus me décontracter et profiter de ces balades. Un jour, je ne sais
plus à quelle occasion, sa femme me lança quelque chose et cassa mon
bracelet-montre.
Pendant que je
travaillais à cet hôpital, je fis l'expérience du L.S.D. J'en prenais assez
souvent, sans me rendre compte de mon évolution, paranoïde et irritable. De
toute façon, Wilson et moi devînmes de plus en plus étrangers l'un à l'autre,
et je partis bientôt pour Los Angeles. Je l'ai revu récemment, et au bout de quelques
jours la glace a fondu, nous avons eu des relations bonnes et chaleureuses.
Entre autres
choses, Wilson a découvert que le schizophrène a des « trous » dans sa
personnalité. Dans sa communication à ce sujet, il signale que la psychiatrie et
la théorie existentielles manquent d'une technique thérapeutique appropriée et
que mon approche du problème comble ce vide. Plus tard, j'ai poursuivi son idée
des « trous » et découvert que la même chose s'appliquait aux névrosés. Un
névrosé n'a pas d'yeux, beaucoup n'ont pas d'oreilles, d'autres n'ont pas de cœur,
ou de mémoire, ou de jambes pour se tenir debout. La plupart des personnes
névrosées n'ont pas de centre.
En fait, cette
théorie découle de la notion bornée de Freud selon laquelle le névrosé n'a pas
de mémoire, mais, à la place, une amnésie totale ou partielle. Freud accuse
cette amnésie d'être la cause non seulement du développement incomplet du
patient, mais encore de son « cinéma » (acting out).
Wilson et moi
prétendons qu'il y a bien d'autres « trous » responsables du développement
inachevé d'un malade. Une personne peut avoir bonne mémoire, mais pas de
confiance en soi, ou d'âme, ou d'oreilles, etc. On peut faire disparaître ces
trous non pas en les comblant par « surcompensation », mais en transformant le
vide stérile en vide fertile. La capacité de réaliser cela dépend, encore une
fois, de la compréhension du néant. Le vide stérile est ressenti en tant que
néant, le vide fertile comme quelque chose qui émerge.
Dans ma
jeunesse, Freud avait été pour moi un sauveur tout trouvé. J'avais la
conviction d'avoir endommagé ma mémoire en me masturbant, et le système de
Freud était centré à la fois sur le sexe et la mémoire. J'étais également
convaincu que je ne pouvais guérir que par la psychanalyse.
Nous appelions
charlatan une personne qui promettait la guérison sans livrer la marchandise.
Freud était un savant sincère, un écrivain brillant, et il avait découvert
maints secrets de « l'esprit ». Aucun d'entre nous, à part peut-être Freud
lui-même, ne s'était rendu compte qu'il était prématuré d'appliquer la
psychanalyse au traitement ; aucun de nous n'avait vu la psychanalyse dans son
véritable contexte et pour ce qu'elle était alors : un sujet de recherche.
Aujourd'hui,
on passe des années et on dépense des millions à vérifier l'innocuité et
l'efficacité de tous les médicaments qui apparaissent sur le marché. Cela n'a
pas été fait très souvent en matière de psychanalyse, malgré l'absence de test
ou la répugnance des analystes à laisser tester leur méthode. Le gouvernement
est très strict au sujet des médicaments ; les différents États sont très
stricts au sujet des permis qu'ils délivrent aux praticiens de la psychothérapie
; cependant, la psychanalyse, sous toutes les formes et toutes les
dénominations, échappe complètement au contrôle officiel en vertu d'une clause
ancestrale qui ne figure dans aucun code.
Voilà. C’est tout pour le moment comme
dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième
siècle. Amitiés à tous.
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